Le retour du Lion des Flandres

Conséquence de la rupture du cartel avec le CD&V : les nationalistes flamands de la N-VA vont seuls aux élections. Ils doivent convaincre que leur parti ne se réduit ni à un seul thème (le séparatisme), ni à une seule personne (Bart De Wever).

Mais où est donc passée la N-VA ? Ses chefs de file ne font plus les gros titres. Ses ultimatums ne mettent plus le feu au gouvernement. Après avoir fait trembler les murs de la maison Belgique, la formation nationaliste flamande est redevenue un (petit) parti parmi d’autres. En rompant son cartel avec les chrétiens du CD&V, et en rejoignant l’opposition tant au niveau fédéral que flamand, au mois de septembre 2008, la N-VA a de facto renoncé à une partie de son influence et de sa visibilité. Quoique… En Flandre, son président, Bart De Wever, demeure omniprésent dans les médias. Depuis sa récente participation au jeu télévisé De slimste mens ter wereld, sa popularité atteint même des sommets. L’impression est tout autre du côté francophone où le fantôme de De Wever ressemble aujourd’hui à un mauvais souvenir. Comme si l’homme appartenait à un cauchemar à présent éloigné. Comme si la magie de Herman Van Rompuy, ce Premier ministre CD&V qui n’a jamais cru dans le cartel unissant son parti à la N-VA, avait définitivement dissipé le danger. Pschitt ! Envolé, De Wever. Perdue de vue, la N-VA.

Lourde erreur de perception. Car les séparatistes n’ont ni disparu ni renoncé. A Bruxelles, au quartier général de la N-VA, pertinemment baptisé  » De Barricade « , De Wever et les siens fourbissent leurs armes. Leur espoir : voir la Belgique se dissoudre  » comme un cachet dans l’eau « .  » Oui, je suis un mauvais Belge « , reconnaît Bart De Wever. Face à sa stature et à sa silhouette massive, difficile de ne pas être impressionné. Le jeune homme (il n’a que 38 ans) est un costaud. Peut-être pas aussi athlétique que Jean-Marie Dedecker, son ex-complice devenu ennemi juré, mais tout de même assez baraqué pour décourager ceux qui seraient tentés par une partie de catch avec lui. Pourtant, de son visage rond, de ses yeux bleus et de son sourire presque enfantin, il émane une fragilité qui cadre mal avec sa réputation diabolique. Pour un peu, on s’apitoierait. Cet homme-là mérite-t-il autant de haine ? Parce qu’il prophétise la fin de la Belgique, souvent avec cynisme, Bart De Wever est devenu la cible d’insultes délirantes – menaces de mort y comprises.  » J’ai reçu des centaines et des centaines de lettres de francophones qui m’accusaient d’être la honte de la Belgique, relate-t-il. Ces gens qui se disent si fiers d’être belges, ils trouvent normal de m’écrire en français. S’ils tiennent tant que ça à la Belgique, la moindre des choses serait d’apprendre la langue majoritaire de ce pays. Moi, je n’aime pas la Belgique, et pourtant, je parle les trois langues nationales. C’est quand même paradoxal ! « 

La Nieuw-Vlaamse Alliantie a été créée en 2001, sur les cendres de la Volksunie, ce parti qui a rassemblé pendant cinquante ans toutes les tendances du nationalisme flamand. Hormis aux élections législatives de 2003, où elle avait échoué de peu sous le seuil fatidique des 5 %, elle s’est toujours présentée en cartel avec le CD&V. Les élections du 7 juin représentent donc une vraie inconnue. A en croire les sondages, les indépendantistes devraient obtenir des élus dans toutes les provinces. Mais quelles sont leurs chances de monter au gouvernement flamand ?  » La majorité actuelle (CD&V, Open VLD et SP.A) va rempiler, sans doute avec le soutien de Groen !, pronostique Bart De Wever. Ou alors, elle fera appel à la Lijst Dedecker. Mais je ne crois pas que nous serons invités. Le CD&V et l’Open VLD ont accepté le statu quo, et ils ne veulent plus de problèmes communautaires. Or, si la N-VA entre dans le gouvernement flamand, ces problèmes vont vite revenir sur le tapis, je ne le cache pas.  » Animées par une soif de revanche à l’égard du CD&V, les troupes de la N-VA y voient une raison de plus pour mener une campagne combative.

Le messie de la cause flamande

Direction : Saint-Nicolas, une ville de 70 000 habitants, juste à côté d’Anvers. Ce jeudi 28 avril, la section locale de la N-VA organise un meeting dans l’arrière-salle du café De Graanmaat, sur la Grand-Place. A l’entrée, un grand drapeau flamand – celui du mouvement nationaliste, avec un lion aux griffes noires. Des petits paniers de chips au sel et au paprika sont disposés sur les tables. En attendant les discours, les militants commentent le classement des parlementaires flamands, que vient juste de publier le quotidien De Standaard. Jan Peumans, un député de la N-VA, arrive en première position. Le groupe N-VA réalise la meilleure moyenne, juste devant Groen !. La présence d’un journaliste francophone suscite des réactions plutôt positives, teintées de curiosité. Conseiller communal à Saint-Nicolas depuis vingt ans, et ancien parlementaire de la Volksunie, Lieven Dehandschutter engage la conversation :  » Vous habitez à Bruxelles ? Vous vous y plaisez ? Moi, je ne pourrais jamais vivre à Bruxelles… Mais attention, hein, je ne voudrais pas non plus habiter dans un petit village.  »

Le meeting débute vers 20 h 30. Un à un, les candidats N-VA originaires du pays de Waas viennent expliquer au micro pourquoi ils se présentent aux élections. Honneur à la benjamine : Cleo Callens, une jeune femme de 25 ans aux cheveux teints en rouge, vêtue d’une veste en jeans. Toute tremblante de stress, la voix chevrotante, elle déclare qu’elle veut  » une Flandre plus forte, car cela signifie plus de chances pour ses habitants, plus de places dans les crèches, une meilleure aide pour les handicapés « . A sa suite, neuf autres candidats prennent la parole.  » La connaissance de l’anglais représente un atout, mais le néerlandais doit rester la langue de l’enseignement supérieur « , indique Matthijs Pietrala (21 ans), queue de cheval et chemise hors du pantalon. Annemie Charlier, ex-déléguée syndicale CSC dans une école technique, et candidate à l’Europe, ironise :  » On essaie de nous vendre Verhofstadt comme l’homme qui va à nouveau sauver le pays…  » Ricanements dans la salle.

Deux invitées de marque s’expriment ensuite : la sénatrice et députée flamande Helga Stevens, première sourde élue au Parlement, et la députée européenne Frieda Brepoels, connue pour ses combats écologistes. Mais la star de la soirée, c’est Geert Bourgeois. Annemie Charlier, la responsable locale de la N-VA, l’introduit comme s’il était le messie de la cause flamande :  » Il n’est peut-être pas Dieu car, en politique, Dieu n’existe pas. Dieu, c’est pour les francophones, c’est pour le PS. Mais il est celui qui défend vraiment le nationalisme flamand, un homme nécessaire pour la Flandre. Chers amis, voici Geert Bourgeois !  » Aux applaudissements qui fusent, Geert Bourgeois répond par un discret hochement de la tête, fidèle à son style de gentleman à l’anglaise, courtois, mais un peu rigide. Ex-président de la Volksunie, fondateur de la N-VA, l’homme incarne le courant classique du nationalisme flamand : conservateur, radicalement antibelge, mais démocratique. Il entame son discours en parlant mobilité, énergies renouvelables, aide au développement… Puis précise :  » Nous défendons un nationalisme humanitaire, un nationalisme inclusif. Voici notre différence avec d’autres partis qui se réclament du nationalisme, des partis qui excluent.  » Une pique adressée au Vlaams Belang.

Peu après 22 heures, Annemie Charlier annonce la fin du programme officiel et souhaite à chacun une bonne soirée.  » Je propose qu’on chante d’abord le Vlaamse Leeuw « , l’interrompt Lieven Dehandschutter. Aussitôt, les 120 personnes présentes se lèvent comme un seul homme, et entonnent l’hymne flamand :  » Zij zullen hem niet temmen, de fiere Vlaamse Leeuw…  » A l’instar de Geert Bourgeois, la plupart chantent avec la main posée sur le c£ur. La ferveur qui se dégage de la scène est saisissante. Sera-ce cet élan-là qui balaiera la Belgique ?

Pour l’indépendance de la Catalogne

Soudés par leur rêve d’indépendance, les cadres de la N-VA arborent par ailleurs des profils très différents. Quoi de commun entre un ultralibéral comme Jan Jambon, ancien patron de Bank Card Company (la société qui gère Visa et Master Card), et un pacifiste comme Piet De Bruyn, homosexuel militant ? Au sujet de l’Otan ou du nucléaire, le parti est divisé. Il apparaît néanmoins bien plus cohérent que ne l’était la Volksunie, une auberge espagnole où se côtoyaient l’extrême gauche et l’extrême droite. La majorité des militants partagent le même attachement à la famille, à la responsabilité individuelle et aux valeurs traditionnelles. C’est cette vision conservatrice de la société qui a permis le rapprochement avec le CD&V. Car, sur le plan économique, les positions de la N-VA ressemblent plutôt à celles des libéraux de l’Open VLD.

De l’ancienne Volksunie, la N-VA a gardé le goût pour la provocation, une conception romantique des identités nationales et un côté don Quichotte.  » Combattre de temps en temps pour des causes perdues, je trouve ça marrant « , avoue Bart De Wever. Le 7 mars, le député flamand Kris Van Dijck a ainsi participé, à Bruxelles, à une manifestation pour l’indépendance de… la Catalogne. Aux murs de son bureau, il a accroché d’anciennes affiches qui assimilent les  » H-Blocks « , où l’armée anglaise emprisonnait les indépendantistes irlandais de l’IRA, au camp de concentration de Dachau. C’est ce même Van Dijck qui a eu l’idée d’organiser, en 2005, un convoi de camions chargés de faux billets de banque, à destination de l’ascenseur de Strépy-Thieu. L’action devait symboliser les 11 milliards d’euros que représenteraient les transferts de la Flandre vers la Wallonie. Soucieux de dissiper tout malentendu, Kris Van Dijck précise néanmoins :  » Je ne suis pas contre les Wallons, je suis contre le système belge.  » Ouf !

F. B.

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