Le retour du bâton

Quelles réponses donner à la délinquances des mineurs ? A l’instar d’autres pays européens, la Belgique pourrait, elle aussi, brandir l’arsenal sécuritaire. Mais pour quels résultats ?

Les jeunes Européens n’ont qu’à bien se tenir ! En effet, un peu partout sur le Vieux Continent, les Etats sortent le grand bâton. Ils font preuve de plus de sévérité face à la délinquance juvénile, qu’ils tiennent pour principale responsable du sentiment d’insécurité régnant parmi les citoyens-électeurs.

Signe des temps: de nombreux pays ont abaissé l’âge de la responsabilité pénale. En France, en Allemagne ou en Italie, par exemple, celle-ci est établie à 18 ans, mais peut être ramenée à 14 ans (jusqu’à 13 ans même en France), selon la maturité psychologique du délinquant ou selon les circonstances. En Grande-Bretagne, elle est carrément passée, en 1998, de 18 à 10 ans ! Désormais, grâce à la loi « Crime et désordre », issue du gouvernement travailliste de Tony Blair et inspirée des méthodes américaines, les mineurs britanniques peuvent être jugés comme des adultes et enfermés dans de véritables prisons, créées spécialement pour eux. En outre, les « mauvais parents » peuvent, eux aussi, être poursuivis et condamnés.

En Belgique, malgré une récente tentative de revoir vers le bas l’âge de la responsabilité pénale, celle-ci est toujours fixée à 18 ans. Il existe, cependant, une possibilité de dessaisissement du juge de la jeunesse au profit des juridictions d’adultes pour les plus de 16 ans ayant commis des infractions graves (il y a eu une trentaine de dessaisissements au cours de l’année judiciaire 2000-2001). Aujourd’hui, c’est toujours le système paternaliste de la loi de 1965 sur la protection de la jeunesse qui s’applique aux mineurs. Un régime qui, pour certains, a fait ses preuves, mais que d’autres considèrent comme trop déresponsabilisant.

Depuis une dizaine d’années, plusieurs gouvernements successifs ont tenté de réformer ce système. A partir de 1992, une commission nationale, appelée commission Cornelis – du nom de son président – et nommée par le ministre de la Justice de l’époque Melchior Wathelet (PSC), s’est longuement penchée – durant quatre années ! – sur la question. Dans son rapport final, elle constatait le manque de moyens accordés au cadre « protectionnel » en vigueur et prônait le choix d’une approche davantage orientée vers la sanction. En 1997, le ministre de la Justice, Stefaan De Clerck (CVP), a confié une mission d’étude identique à un groupe de chercheurs de la KULeuven, dirigé par le professeur Lode Walgrave. Leur rapport recommandait, lui, une justice plutôt restauratrice, visant, via la médiation par exemple, la réparation des dommages ou des souffrances subis par les victimes.

La grogne des juges

Dernière tentative en date: le ministre de la Justice Marc Verwilghen (VLD) – dont le Plan de sécurité a fixé comme priorité la lutte contre la délinquance juvénile – a présenté, cet été, un avant-projet de loi basé, entre autres, sur le rapport final de la commission Cornelis et qui s’avère donc davantage « sanctionnel ». Un projet d’ores et déjà critiqué et bloqué, au sein du gouvernement, par le PS et Ecolo. La ministre (Ecolo) de l’Aide à la jeunesse à la Communauté française, Nicole Maréchal, accuse notamment Verwilghen de marcher sur ses plates-bandes.

En effet, depuis les réformes institutionnelles de 1988, les Communautés gèrent les infrastructures, telles les IPPJ, au sein desquelles sont exécutées les sanctions judiciaires prononcées à l’encontre des mineurs délinquants. Or le ministre de la Justice propose une nouvelle répartition des compétences, incluant l’enfermement des délinquants dans des centres fédéraux ( Le Vif/L’Express du 14 septembre 2001). Il souhaite également fédéraliser les Services de prestations éducatives et philanthropiques (SPEP), qui s’occupent d’accompagner les mesures de travail d’intérêt général décidées par le juge de la jeunesse.

« Le changement de philosophie est radical, prévient Benoît Van der Meerschen, de la Ligue des droits de l’homme. Après une législation centrée sur la personne du mineur, on focaliserait tout sur la réponse au « fait délictueux ». Lorsqu’on lit l’entièreté du document, on peut certes se réjouir de la mise en place de garanties juridiques plus importantes pour les jeunes. Mais, derrière cela, se cache un objectif principal de nature répressive, calqué sur le modèle de la justice pénale réservée aux adultes. Par contre, on ne retrouve pas d’objectif à portée éducative. »

Ce retour du bâton en inquiète plus d’un, à commencer par Nicole Maréchal. « Il faut, certes, réformer la loi, déclare la ministre. Je suis prête à travailler avec Marc Verwilghen sur un projet plus responsabilisant pour les jeunes et intégrant mieux la notion de sanction. Mais il faut aussi que ce projet soit complètement éducatif. Même s’il s’avère parfois nécessaire, l’enfermement n’est jamais une mesure idéale. Quel espoir et quel avenir resterait-il aux jeunes qu’on incarcérerait dans des centres fédéraux, sans véritable prise en charge sociale ? »

Emprisonner des mineurs n’a jamais eu d’effet dissuasif. Selon des études réalisées en Grande-Bretagne, le taux de récidive est de 80 % chez les adolescents qu’on met derrière les barreaux. « L’arsenal sécuritaire est tentant pour les responsables politiques, parce que c’est une solution facile, analyse Françoise Digneffe, criminologue à l’UCL. Mais, si l’on jette un coup d’oeil chez nos voisins, notamment en France, il semble que, plus on accroît la répression, plus la violence augmente. La situation est loin d’être explosive en Belgique. Nos centres-villes ne ressemblent pas aux banlieues françaises. Les jeunes délinquants très violents restent une petite minorité. Et c’est pour cette minorité qu’on voudrait donner une orientation plus répressive à la loi ! »

Pour l’heure, Nicole Maréchal doit aussi faire face à la grogne des juges de la jeunesse bruxellois. Le 12 octobre dernier, ceux-ci se sont mis en grève pour réclamer un effectif plus important. Les conditions de travail sont, il est vrai, particulièrement pénibles à Bruxelles. Car, contrairement à leurs collègues flamands et wallons, ils s’occupent à la fois des jeunes délinquants et des mineurs en danger (qui souffrent de maltraitance, par exemple). Les magistrats compétents dans le domaine de la protection de la jeunesse appréhendent également la prochaine Saint-Sylvestre. En effet, le 1er janvier 2002, l’article 53 de la loi de 1965 sera définitivement supprimé.

Cet article, qui a valu à la Belgique d’être condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, permet au juge de la jeunesse d’envoyer un mineur délinquant en prison pour une durée limitée de quinze jours, à défaut de places disponibles en institutions. L’année dernière, 250 jeunes ont ainsi fait l’objet de cette mesure, en Communauté française. En effet, les IPPJ, surtout celles qui fonctionnent en régime fermé, affichent régulièrement complet.

Consciente du problème, Nicole Maréchal refuse cependant d’augmenter le nombre de places dans ces institutions communautaires. « Si on ouvre davantage de places, les juges les rempliront d’office », craint-elle. La ministre Ecolo a proposé des mesures alternatives qui auront un impact important sur le taux de récidive, notamment: le renforcement des SPEP, afin de permettre 200 prises en charge supplémentaires pour les mesures de travaux d’intérêt général; la création, dans toutes les IPPJ, de services d’accompagnement des jeunes délinquants après leur période de placement, une expérience qui a déjà fait ses preuves à Braine-le-Château.

Si le dialogue est ouvert avec les magistrats, la discussion est loin d’être terminée. « Malgré ces nouvelles mesures, nous manquerons toujours de réponses adéquates pour les formes de délinquance très violentes, affirme Nadia De Vroede, premier substitut au parquet « famille/jeunesse » de Bruxelles. Il faut augmenter le nombre de places en milieu fermé. Les priorités de Mme Maréchal ne sont pas forcément les nôtres. »

L’enfermement des mineurs délinquants est décidément au centre des préoccupations. Sans doute, serait-il temps d’évaluer de manière concrète les besoins des magistrats concernés en matière de placement. Sans doute, faut-il aussi éviter de se laisser contaminer par le débat français sur la délinquance juvénile, qui, dans un contexte préélectoral, prend des relents sécuritaires dont la Belgique a su, jusqu’ici, se préserver.

Th.D.

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