Le retour de Rascar Capac

Guy Gilsoul Journaliste

Le Pérou s’est inscrit au coeur de deux albums d’Hergé. Les Musées royaux d’art et d’histoire présentent leurs trésors légués par les Incas et leurs prédécesseurs, en les confrontant à l’imaginaire du père de Tintin

La momie de Rascar Capac, rendue célèbre par Les Sept Boules de cristal, trône au centre de la première salle de cette nouvelle exposition consacrée au Pérou. Autour d’elle: l’univers des sept savants imaginés par Hergé. Leur sort, on le sait, est lié à la vengeance des Indiens. Ils ont osé. Osé emporter, loin de ses terres, les restes de l’ancêtre et mythique résistant inca. En 1935, lorsque la momie est présentée pour la première fois à Bruxelles, archéologues et spécialistes à col raide ne songent qu’à débattre sur les différentes cultures pré-incaïques qui, du nord au sud et des zones côtières aux sommets des Andes, traversent le temps depuis la préhistoire. Que savent-ils de ces civilisations disparues? Depuis la fin du XIXe siècle, au nom de l’exotisme, les voyages se sont multipliés. Depuis, les comptes rendus se comparent, les dates se bousculent et les objets, céramiques, parures d’or et de plumes, textiles et statuettes de bois s’entassent dans les vitrines de bois des musées européens et, donc, du Cinquantenaire, où Hergé les découvre.

Les Indiens, eux, durant les trois siècles d’occupation espagnole mais aussi depuis l’indépendance, n’ont pas renoncé à leur indianité. Hergé le devine-t-il lorsqu’il admire la momie enchâssée dans sa cage de verre? Et qu’en est-il aujourd’hui alors que, pour la première fois depuis le XVIe siècle, le nouveau président du pays est un Indien pure souche? « No sè », répètent les Indiens aux questions que leur posent Tintin et le Capitaine Haddock partis à la recherche de leur ami, le Professeur Tournesol… Au musée, Hergé copie, durant des heures et des heures, les modèles exposés. C’est dans l’une des vitrines, du reste, qu’il a déjà emprunté l’image du fétiche à L’Oreille cassée qui, contrairement à ce qu’il affirme, ne vient pas de la forêt amazonienne mais bien du Pérou. Il ne s’arrête pas aux seules notices, se laisse emporter par l’univers fabuleux qui peuple les objets. Il s’attarde aussi dans la bibliothèque. Il y trouve, par exemple, un numéro de 1936 du National Geographic consacré au Pérou et bourré d’erreurs. Mais qu’importe! Il y a là des sites et des croquis intéressants, dont un servira de base à la scène presque finale du bûcher. De même, il feuillette longuement un récit de voyage publié en 1880 par Charles Wiener qui, plus de trente ans avant Hiram Bingham, découvre le célèbre site de Machu Picchu.

« On pourrait certes reprocher à Hergé, explique Sergio Purin, le commissaire de l’exposition, d’avoir quelque peu confondu les cultures. Mais il ne faut pas oublier que les Incas ont tout fait pour niveler les diversités et qu’à l’époque des conquistadors (et donc jusqu’il y a peu) l’Indien aura vécu au coeur de ces mixages. En revanche, il me semble que son histoire évoque des questions qui sont toujours à l’ordre du jour, comme celle du pillage des oeuvres d’art et de leur étude scientifique. » C’est la raison pour laquelle la scénographie de l’exposition, tout en étant particulièrement ludique, élargit le propos. Usant du récit d’Hergé comme fil d’Ariane, le circuit traverse chaque culture par le filtre d’un épisode. Ainsi, le visiteur est amené à traverser le rideau d’eau derrière lequel Tintin est tombé. On y découvre la tombe inca avec, mêlés les uns aux autres, des objets bien réels et d’autres, dessinés. On décline là les cultures de l’Horizon ancien et de l’Intermédiaire ancien. C’est-à-dire une suite de céramiques zoomorphes, de textiles hauts en couleurs et de dieux parfois fort menaçants, appartenant aux cultures Chavin, Nazca ou encore Mohica.

On entre ensuite dans la fameuse « tour funéraire », dans laquelle Zorrino et les deux héros belges passent la nuit avant de s’engager dans la neige des hautes montagnes. C’est l’époque de l’Horizon moyen, puis les périodes plus récentes. Dans une autre salle, la lumière peu à peu décline, comme lors de la fameuse éclipse qui sauvera nos héros du bûcher. C’est là qu’ont été réunis les sources livresques de Hergé ainsi que les dessins préparatoires. Après, on entre enfin dans la fameuse salle du trésor inca. Les grandes urnes sont là, remplies à ras bord de pierreries et d’objets d’or.

Tout le long de l’exposition se succèdent une vingtaine de vidéos qui évoquent tout autant le séjour de Rascar Capac à l’hôpital Erasme que la musique des Andes, dont la célèbre flûte n’est qu’un aspect. C’est que, aux côtés d’une documentation sur la recherche archéologique, Purin a voulu mettre l’accent sur le présent et, donc, la réalité quotidienne des Indiens, leur mode de vie, leur farouche indianité. A la question de savoir si, aujourd’hui, il pourrait exister un « temple du soleil » qui soit aussi secret que celui d’Hergé, Purin reste prudent: « Je peux, en tout cas, affirmer que, une fois l’an, sur les hautes montagnes du Pérou, on célèbre toujours le soleil. Je peux aussi dire, pour avoir participé à un repas de bergers lors d’une campagne de fouilles, que les Indiens d’aujourd’hui cuisent leur viande de la même manière qu’il y a des milliers d’années… »

Au Pérou avec Tintin, aux Musées royaux d’art et d’histoire. Bruxelles, parc du Cinquantenaire. Jusqu’au 27 avril 2003. Du mardi au samedi, de 10 à 17 heures. Tél.: 02-741 72 11.

A lire: Le Courrier des Andes, petit journal offert à chaque visiteur.

Guy Gilsoul

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