Le PS face à ses démons

Les socialistes ne se divisent pas seulement sur des questions de personne. Ils divergent sur le sens même du rendez-vous majeur des institutions françaises : l’élection présidentielle.

Le congrès du PS a-t-il désigné le futur vainqueur de l’élection présidentielle de 2012 ? Le rendez-vous de Reims a, en tout cas, durablement éclairci l’horizon de Nicolas Sarkozy. L’Elysée, pour les socialistes, n’est plus un objectif commun ; c’est l’objet de leurs divisions. Un palais maudit pour eux, qui avive les haines au sommet et trouble les consciences à la base.

Dans le rapport de la gauche avec la Ve République, le plus important n’est pas que le Parti socialiste ait perdu les trois dernières élections présidentielles. L’essentiel, c’est qu’un seul de ses représentants ait réussi à l’emporter, et pas n’importe lequel : les origines de François Mitterrand – une France conservatrice, catholique et provinciale – le portaient à appliquer cette Constitution sans scrupule, et même sans complexe. Autant les gènes de la droite la poussent à accepter l’autorité découlant du sommet, autant la culture des socialistes s’oppose à l’esprit de la Ve République.

Le parti peut-il aller contre la logique des institutions ?

L’affrontement entre Ségolène Royal et Martine Aubry, arbitré par Benoît Hamon, résume, presque à la perfection, l’écartèlement du PS. Les racines familiales de la première lui permettraient d’assumer pleinement un rôle de chef ; la formation intellectuelle de la seconde l’incite à se méfier des excès de la personnalisation. Avec, au-dessus de leur combat, de leurs divergences plus ou moins forcées, de leurs caractères peu compatibles, une unique question : jusqu’à quel point un parti de gouvernement peut-il aller contre la logique des institutions ? Pour preuve, le long débat qui a précédé le congrès de Reims – inouï pour quiconque l’observe de l’extérieur – sur le fait d’avoir, ou non, un premier secrétaire  » présidentiable « . Une bonne partie des militants, ainsi que certains responsables, sont sincèrement attachés à l’idéal d’un régime parlementaire.

A cette inadéquation s’ajoute un autre problème : celui de l’incohérence. Car le PS au pouvoir a, presque autant que la droite, contribué à la présidentialisation du régime. Ce fut le cas de François Mitterrand, par sa pratique tout au long de ses deux septennats ; ce fut aussi le cas de Lionel Jospin, par ses décisions, de l’introduction du quinquennat à l’inversion du calendrier, qui a placé les législatives dans la foulée de la présidentielle. L’ancien Premier ministre incarne à lui seul l’ambivalence des socialistes : il énuméra, en son temps, les risques de dérive de la Ve République. Il fut aussi le premier des responsables socialistes à être élu directement par la base.

En 1995, 94 % des militants, soit 64 000 personnes, votèrent en sa faveur. Sur le modèle de la compétition présidentielle – un parallèle qu’il récusa à l’époque, alors qu’il apparaît aujourd’hui dans toute son exactitude.

Naguère, les  » éléphants « commençaient, en effet, par fixer entre eux une orientation politique, avant de réfléchir au nom de leur leader. Tout partait d’un texte théorique. Le congrès de Reims, à l’inverse, a accouché d’une feuille blanche. Tout dépend donc de l’élection du président – pardon, du premier secrétaire, au suffrage universel des militants. D’accord sur beaucoup de points, les responsables du parti ne cherchent dès lors plus des convergences, mais des divergences pour se distinguer. Ils s’ingénient à trouver des lignes de clivage.  » Le parti s’est personnalisé, les courants n’ont plus de substrat idéologique, et le chef tire désormais sa légitimité du vote militant, analyse le député Christophe Caresche. En somme, le PS achève de s’adapter à la présidentialisation de la Ve République. « 

Le futur n°1 à l’épreuve des contestations internes

Si seulement c’était vrai… La meilleure preuve du contraire, c’est l’état du parti : coupé en deux. Ségolène Royal assume cette métamorphose institutionnelle, qui joue sur le lien direct, presque charismatique, avec l’opinion publique.  » C’est du télévangélisme « , rétorquent ses adversaires. Au premier signe de crispation, elle se tourne vers les militants et agite l’arme gaullienne du référendum : elle en a proposé un, le 15 novembre, sur la question des alliances avec le MoDem. Martine Aubry croit aux décisions collectives dans les instances.  » Un parti, ce sont les délégués qui le représentent « , disait-elle à la tribune de Reims.

En choisissant le successeur de François Hollande, peut-être le PS acceptera-t-il, au moins, de se doter d’un nouveau logiciel. Il y a urgence, à en juger par la situation actuelle. Statutairement, le conseil national, autrement dit le parlement du parti, chargé de valider toutes les décisions, est composé au prorata des résultats des motions. Or aucune majorité absolue ne s’est dégagée : la prochaine s’annonce donc de bric et de broc et les contestations internes apparaîtront comme une menace permanente pour le futur n° 1. Cela s’appelle cumuler les défauts de la Ve République avec l’instabilité chronique qui caractérisa la IVe.

Eric Mandonnet et Marcelo Wesfreid

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