Le procès des entrailles de la terre

Près de cinq ans après le drame, qui a fait 24 morts et 132 blessés, le procès va devoir déterminer les responsables de la catastrophe. Et fixer les montants accordés pour l’indemnisation des victimes.

Ce lundi 25 mai, à 10 h, quatorze personnes physiques et morales comparaissent devant le tribunal correctionnel de Tournai. Elles sont prévenues d’avoir involontairement causé la mort de 24 personnes et d’en avoir blessé 132 autres par défaut de prévoyance ou de précaution.

30 juillet 2004, 8 h 57. Une conduite de gaz Fluxys explose dans le zoning de Ghislenghien, près de Ath. La scène est apocalyptique. Sur le sol gisent des corps calcinés et soufflés par l’explosion. Les blessés hurlent. Très vite, il apparaît que la catastrophe est née d’une cascade d’erreurs, de négligences et d’approximations.

A la fin de 2002, la SA Diamant Boart, qui produit des outils diamantés, décide de s’installer dans le zoning de Ghislenghien. Dès avril 2003, le bureau d’architectes A&I élabore le projet. En novembre, deux spécialistes, dont un de la SA Fluxys, gestionnaire du réseau gazier, organisent des fouilles pour repérer les conduites de gaz. Le plan que Dirk De Cremer, chef de projet de la SA Vandevelde, remet au bureau d’architectes, contient plusieurs erreurs.

Les gazoducs, censés être placés à 1,10 mètre de la surface du sol, ne sont pas aussi profondément enfouis. Le relief du site a donc été modifié. Mais nul ne sait quand, ni par qui.

En avril 2004, les SA Tramo et Jouret entament les travaux de voirie. Henri Capron, de la SA Jouret assure la gestion technique du chantier. Le 24 juin, un engin muni d’un rotor, pourtant interdit en raison de la présence de deux conduites de gaz, abîme un gazoduc. L’opérateur prévient Kristof Dewaele, le conducteur des travaux de Tramo, qui alerte celui de Jouret, Maxence Demeuter. En vain.

La coordination entre les intervenants est, en outre, mauvaise. Le coordinateur-sécurité, la SPRL CAD&V, ne joue pas son rôle. Le bourgmestre d’Ath, Bruno Van Grootenbrulle, et le secrétaire communal, Marc Duvivier, sont aussi pointés du doigt : les pompiers n’auraient pas reçu les plans et n’auraient pas été suffisamment consultés.

Le 30 juillet, alors que la pression dans la canalisation fragilisée augmente, une fuite de gaz est décelée vers 6 h 40. Les pompiers et la police, avertis tardivement, arrivent vers 8 h 30. La confusion est totale. Personne ne mesure le danger ni ne sait d’où vient la fuite. A 8 h 57, c’est l’explosion.

La Chambre du Conseil prononce finalement huit non-lieux. Elle renvoie, devant le tribunal correctionnel la SA Fluxys, la SA Husqvarna Belgium (ex-Diamant Boart), la SA Tramo, la SPRL A&I et son gérant Erwin Persoons, la SPRL CAD&V et les coordinateurs-sécurité Karin Vijverman et Kamiel Vijverman, Kristof Dewaele, Henri Capron, Maxence Demeuter, Dirk De Cremer, Bruno Van Grootenbrulle et Marc Duvivier.

Depuis la catastrophe, les assurances accidents de travail ont versé 25 millions d’euros aux victimes qui étaient couvertes tandis que la Fondation Ghislenghien, notamment alimentée par la fédération des assureurs et par Fluxys, a distribué 3,2 millions d’euros aux non-assurés.

A quelques jours du procès, les neuf compagnies d’assurances concernées viennent en outre de proposer une indemnisation définitive à 150 victimes des 600 parties civiles : celles qui ont perdu un proche ou qui ont un degré d’invalidité supérieur à 20 %. Cette transaction, qui est à prendre ou à laisser, est estimée entre 8 et 10 millions d’euros au total, soit 60 000 euros par personne.

Rien ne dit que les victimes ne recevront pas un dédommagement plus important à la fin du procès. Mais la procédure pourrait encore durer des années en cas de pourvois en appel ou en cassation.  » 60 000 euros par personne, c’est le prix d’une vie foutue ? «  interroge une victime.

Laurent Dupuis

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