Le pouvoir, une histoire de couples

Ils s’aiment, ils s’aident. Ils font carrière à deux. Toutes et tous ont de l’entregent, des relations, du pouvoir, parfois. De l’influence, sans aucun doute. Enquête sur des couples  » pas ordinaires « .

Ces femmes et ces hommes sont responsables politiques, dirigeants économiques, magistrats, avocats… Ils forment ce qu’on appelle des power couples, un concept américain encore peu connu en Belgique. Un super-couple est une union de capital social, de talents, de moyens, d’ambitions, qui promet aux deux membres une réussite et des capacités de survie supérieures à la moyenne.  » Il apparaît comme un « couple-équipe » autour d’objectifs communs « , explique le sociologue Jean-Claude Kaufmann. C’est même sa qualité première : en tandem, on va plus vite et plus loin, l’un profite de l’ascension de l’autre et les deux tirent avantage de l’image de leur couple. En d’autres termes, un plus un font plus que deux. Chaque couple de pouvoir bénéficie d’un réseau à part entière, mais sa force est sa mise en commun. Et si les deux partenaires exercent dans le même domaine, bingo !  » La mise est doublée, souligne le sociologue Michel Pinçon, spécialiste de l’élite. Quand deux individus qui ont de l’influence la mettent en commun, évidemment, elle est plus grande. S’additionnent sur chaque tête l’ensemble du travail des deux êtres, leurs ressources, leurs compétences. Ce qui renforce chacun et, si tout va bien, accroît leur territoire commun.  » Ce qui nous amène au second atout d’un power couple : sa capacité à attirer les détenteurs de pouvoir, les autres couples influents.

L’histoire politique adore les super-couples. On pense évidemment à Laurette Onkelinx, vice-Première ministre PS, et à Marc Uyttendaele, professeur de droit constitutionnel et avocat. Le tandem reste l’illustration la plus parfaite du power couple : Laurette Onkelinx et Marc Uyttendaele occupent chacun dans leur domaine une place de choix ; ensemble, ils forment une association indissociable, inséparable. Chez eux, la conquête du pouvoir se joue à deux. Ils s’appuient l’un sur l’autre. Il y a du Hillary Clinton chez Laurette Onkelinx. Un mélange d’ambition personnelle et de dévouement à son compagnon. De son côté, Marc Uyttendaele est un allié important, psychologiquement et politiquement. Chacun apporte quelque chose à l’autre. On raconte encore aujourd’hui l’épisode qui s’est produit au début de 2005 (Le Vif/L’Express du 22 février 2013). A l’époque, Marc Uyttendaele préconisait d’abandonner l’arrondissement de BHV (Bruxelles-Hal-Vilvorde), qualifié de  » reflet antique d’un monde dépassé « . Philippe Moureaux, le tuteur en politique de Laurette Onkelinx, s’en était ému auprès de sa protégée. Qui l’avait vertement retoqué. Un déluge de feu s’était abattu sur le sénateur, pourtant son allié inconditionnel.  » Philippe, comment oses-tu ? Je ne te permets pas !  » Tassé sur son siège, penaud, Moureaux n’a pas moufté.

Le couple formé par Karel De Gucht (Open VLD), commissaire européen, et Mireille Schreurs, juge de police, est de la même trempe. Le duo a lui aussi tout du power couple.  » Ils sont un animal bicéphale. Vous n’avez pas l’un sans l’autre « , assure un proche. Certains n’hésitent pas à les qualifier de  » machine de guerre « , qui carbure à l’ambition. Jumeaux par le choix d’une haute carrière, les relations, les réseaux. Depuis des années, ils marchent du même pas.

Dans le monde influent, il y en a d’autres. Citons Didier Reynders, ministre des Affaires étrangères (MR), et Bernadette Prignon, présidente de chambre à la cour d’appel de Liège, Pieter De Crem, ministre de la Défense (CD&V), et Caroline Bergez, juge, ou encore Patrick Dewael (Open VLD), et Greet Op de Beeck, journaliste politique à la VRT, depuis lors mutée à la culture. Et ceux, plus discrets, formés par Laurence Bovy, cheffe de cabinet de Laurette Onkelinx, et Jean-Paul Philippot, administrateur général de la RTBF, ou Emily Hoyos, coprésidente d’Ecolo, et Jean Leblon, chef de cabinet de Jean-Marc Nollet…

Pas à l’abri du conflit d’intérêt

Un couple est-il plus fort, socialement et professionnellement, que chacun de ses membres pris isolément ? Comment ces tandems gèrent-ils le pouvoir de l’un et de l’autre ? Comment le limitent-ils ? Comment le cloisonnent-ils ? L’un influence-t-il, nourrit-il celui de l’autre ? Le Vif/L’Express a contacté des couples influents. Il y a ceux qui ont bien voulu nous parler spontanément. Ceux qui ont demandé avec qui ils voisineraient. Ceux qui se sont montrés offensés. Ceux qui ont promis d’en parler à leur conjoint, puis  » de revenir vers nous « …

Tous affirment qu’ils évitent le mélange des genres, même s’ils ne sont pas à l’abri des conflits d’intérêts. Marc Uyttendaele, par exemple, a été régulièrement suspecté de se faire une clientèle en or via les cabinets politiques ou les diverses institutions cornaquées par le PS. Grâce à Laurette Onkelinx ? Non : Marc Uyttendaele s’était déjà fait un nom avant leurs noces très médiatisées, en 1999. Mais il est aussi arrivé à son cabinet de plaider pour le ministère de l’Emploi alors administré par son épouse.

 » Il y a une prudence de plus en plus affirmée, dans le monde politique, pour éviter de prêter le flanc au moindre soupçon « , déclare André Flahaut, le président de la Chambre et époux de Marie-Josée Laloy, gouverneure du Brabant wallon. Ainsi lorsque Emily Hoyos a été nommée à la tête d’Ecolo, l’an dernier, il a été convenu que les contacts entre le cabinet Nollet et la coprésidence passeraient désormais par le ministre lui-même. Autre exemple : Monique Defrene, directrice générale à l’ULg et épouse de Jean-Claude Marcourt, ministre de l’Enseignement supérieur (PS), ne participe à aucune réunion ou décision à caractère  » politique « . Michèle Loquifer, magistrate, mariée à Philippe Busquin, ancien ministre socialiste, ex-président du PS et commissaire européen, dénonce  » des amalgames qui ne sont pas corrects « , et tranche en ne laissant aucune place au doute :  » En réalité, une femme qui a du pouvoir, cela ne passe toujours pas…  »

Un dossier réalisé par Soraya Ghali, avec Thierry Denoël, Olivier Mouton, Marie-Cécile Royen et Laurence van Ruymbeke.

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