Le portrait

Boulimique, culottée, insupportable: la sénatrice et bourgmestre de Huy se prêterait remarquablement à un portrait-réquisitoire. Mais ce serait faire injustice à la complexité du personnage

Lorsque Louis Michel, le vice-Premier ministre libéral, a « suggéré » de reporter à la prochaine législature l’épineuse question de l’octroi du droit de vote aux étrangers non européens, son sang n’a fait qu’un tour. C’est qu’Anne-Marie Lizin, la sénatrice socialiste qui préside la commission chargée du dossier, a horreur des diktats. La fougueuse présidente a donc maintenu son sénatorial agenda sans y changer un iota: le point litigieux y est bel et bien resté inscrit, attirant les feux des projecteurs.

C’est, en effet, presque une fatalité: la sénatrice-bourgmestre apparaît inévitablement là où les caméras se mettent à tourner et où les appareils photo se déclenchent. Elle est douée de cette incroyable faculté d’être toujours là où il faut et quand il le faut. Son flair ne la trompe jamais, et elle en utilise les talents avec un culot inouï. Lequel est, pour une bonne part, responsable des crises d’urticaire qu’elle suscite un peu partout, et plus encore dans les rangs du PS. Son parti compte, en effet, quelques vieux barons aussi machistes que jaloux de la gloire – qu’ils estiment évidemment usurpée – d’une « collègue » arrimée aux journalistes comme un quartz autour d’un proton. Le point de départ de sa notoriété médiatique? Son voyage en Algérie, en 1986, dont elle a, à l’étonnement de tous, ramené deux enfants enlevés à leur mère. Elle n’avait pas hésité, pour arriver à ses fins, à prendre quelques libertés avec la légalité et à se frotter à la justice algérienne. Sa vie, depuis, se partage entre missions à l’étranger – son carnet d’adresses en laisserait plus d’un pantois -, travail acharné, causes passionnées et coups d’éclat.

La centrale nucléaire de Tihange lui en fournit régulièrement l’occasion. Chez Electrabel et à l’Agence fédérale de contrôle nucléaire, la bourgmestre de Huy suscite souvent des crises de nerfs: on avoue ne pas savoir comment « gérer » cette virago. Sa commune profite grassement de la manne déversée par les producteurs d’électricité, en compensation de l’exploitation de la centrale. Ce qui n’empêche nullement Madame la bourgmestre de monter au front pour dénoncer les risques du nucléaire et, plus particulièrement, les failles, avérées ou supposées, du système de sécurité de « sa » centrale. Tout en refusant de payer la facture, jugée trop élevée, d’une expertise qui tirerait les affaires au clair!

Elle sait, aussi, être sincère. L’injustice provoque chez elle presque un haut-le-coeur. Lorsqu’elle perçoit l’humanité d’un « cas » qu’on lui soumet, elle se lance à corps perdu dans la bagarre. On l’a vue protéger bec et ongles un gendarme, victime de harcèlement moral pour avoir adopté une attitude tolérante à l’égard d’homosexuels habitués des parkings d’autoroute. A propos, les forces de l’ordre, elle en connaît un rayon. Elle voue à la police un intérêt àl’égale mesure de sa volonté de maîtriser tous les rouages de sa fonction de mayeur et d’en déléguer le moins possible. Cela en fait une redoutable spécialiste, un des clous du cercueil d’Antoine Duquesne, le ministre PRL de l’Intérieur, qu’elle ne cesse d’interpeller au Sénat sur les ratés de la réforme de la police.

Mais, depuis qu’elle a lu Simone de Beauvoir, la cause des femmes est son combat de prédilection et le féminisme, son fonds de commerce. Sur ce terrain, elle aime se montrer un brin extrême et définitive: « En refermant Le Deuxième Sexe, je savais que je n’aurais jamais d’enfant. Depuis ce jour, l’idée même de materner m’a toujours horrifiée. » Est-ce cette prise de conscience qui lui vaut cette qualité, unanimement reconnue dans le mâle monde des parlementaires, d’être « couillue »? Elle entretient l’image avec un zèle qui pourrait paraître suspect si elle n’avait fait la preuve de ses convictions. Il faut dire qu’elle a fort à faire, dans cette arène politique qui reste encore un repaire de matamores. Et elle ne s’en prive pas: n’est-ce pas en brandissant l’étendard du féminisme et de l’égalité des sexes qu’elle a justifié sa candidature à la présidence du PS, en octobre 1999? Son « rival » n’était autre qu’Elio Di Rupo, face auquel elle n’a pas fait tapisserie.

Les hommes, pourtant, elle jure qu’elle les aime « bien ». Y compris les barons du parti qui, pour la plupart, ne savent pas l’encadrer et n’hésitent pas à le lui faire sentir, raillant tour à tour son opportunisme, sa démagogie, son ambition, ses mensonges et son allure. « Je les plains un peu. Je sens bien qu’ils ne sont pas à l’aise avec moi, parce que je ne joue pas dans le registre de la séduction, où ils excellent. » Certains d’entre eux, les plus sages sans doute, ne sont pas loin de lui donner raison: « Cette femme est l’une des plus brillantes qui soient, affirme l’un de ses rares admirateurs qui, pourtant, ne lui voue pas un amour fou. Mais elle n’est pas gentille, pas aimable. Et cela, aux yeux des hommes, c’est intolérable de la part d’une femme. » « Anne-Marie est une bête politique: bien plus intelligente que la plupart des hommes qui composent le Parlement, et certainement bien plus travailleuse, témoigne un autre. Mais c’est aussi une tueuse et cela, on ne lui pardonne pas. »

Parfois, elle commet de vraies bourdes, de celles dont on se gausse longtemps et qui offrent à ses détracteurs une immense jouissance. Comme ce jour où, portée par un enthousiasme sincère, elle a sauté au cou de Yasser Arafat, en visite au Parlement, pour lui asséner deux bises bien sonores, provoquant probablement une irrésistible envie de fuir chez le leader palestinien, peu habitué, en parfait musulman, à ces assauts féminins… Les gaffes qui la poursuivent, conjuguées au peu de respect qu’elle voue aux apparatchiks de son parti et à sae parole réputée peu fiable, sont sans doute en partie responsables de la brièveté de son passage au gouvernement fédéral. Elle y passa quatre ans, en tant que secrétaire d’Etat à l’Europe. Avec un peu plus de doigté, sa carrière aurait pu être tout autre.

Mais elle jure qu’elle assume à merveille, que le compromis auquel sont contraintes les excellences ministérielles l’insupporte, qu’elle aime aller là où le flux de la vie la porte. N’est-ce pas à ce flux, d’ailleurs, qu’elle doit d’exister? Elle se plaît à raconter l’histoire de ceux qui allaient devenir ses grands-parents paternels: lui, à la barre de sa péniche dessinant des vagues sur le canal Albert, et attirant le regard d’une jeune fille qui se promenait sur les berges. C’était dans le hameau répondant au joli nom de Ben-Ahin. Dans la vie, il y a pires muses que celles-là…

Anne-Marie Lizin,Isabelle Philippon et Marie-Cécile Royen

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