" Pourquoi ne dis-tu pas juste non à la nourriture et tente de faire un peu d'exercice ? ", indique le t-shirt de la performeuse. Le slogan renvoie directement à un commentaire adressé par un internaute " bienveillant ". © HALEY MORRIS-CAFIERO

Le poids des photos

Avec son ouvrage The Bully Pulpit, la photographe américaine Haley Morris-Cafiero déjoue la mécanique de l’humiliation du corps telle qu’elle prolifère sur Internet. Et dans la vie. Retour gagnant.

Tout commence en 2013 par un autoportrait sur les marches de Times Square. Haley Morris-Cafiero (Atlanta, 1976) est alors en pleine réflexion sur la question de la perception de son propre corps. En surpoids, volontairement débraillée et pas en phase avec les canons esthétiques des magazines féminins, la jeune femme s’appréhende à travers une série d’images intitulée Something to weigh (quelque chose à peser).

En regardant de près l’image prise à New York, l’artiste se rend compte qu’un touriste la toise en se moquant clairement. Interpellée par cet événement dont elle n’a qu’une révélation tardive, l’Américaine imagine un dispositif, à mi-chemin entre la performance et la street photography, par le biais duquel elle s’immortalise en train d’accomplir des gestes anodins – lire un plan, manger une glace, marcher le long de l’eau… – dans l’espace public. Le résultat est éloquent : de nombreuses images prises dévoilent des moues ou des attitudes corporelles réprobatrices de passants au vu de son apparence.

Parmi une liste de plusieurs milliers de profils, l'artiste a choisi soixante harceleurs et harceleuses. Nombre d'entre eux et d'entre elles affichent un corps surdéveloppé.
Parmi une liste de plusieurs milliers de profils, l’artiste a choisi soixante harceleurs et harceleuses. Nombre d’entre eux et d’entre elles affichent un corps surdéveloppé.© HALEY MORRIS-CAFIERO

De cet impitoyable regard sur qui- conque évolue en dehors des  » normes « , Morris-Cafiero tire une nouvelle suite de prises de vues auxquelles elle donne le nom ironique de Wait Watchers (attendre le regardeur, un jeu de mots sur la méthode de régime éponyme). Largement diffusé dans le monde, ce corpus génère son lot de réactions, dont certaines à désespérer de l’humanité. Sur lnternet et les réseaux sociaux, trolls haineux et body shamers se déchaînent en s’en prenant à son physique. Pas décontenancée pour un sou, la photographe va trouver le bon filon pour arroser ces arroseurs. Elle imagine alors The Bully Pulpit (la chair du harceleur), un troisième travail en forme de réponse malicieuse à ses détracteurs. Pour ce faire, elle choisit soixante personnes parmi celles qui l’ont insultée, glane sur la Toile tout ce qu’elle peut sur elles, pour finalement se prendre en photo dans une attitude parodiant ces cyberharceleurs. L’oeuvre se révèle drôle et incroyablement jubilatoire.

Avec The Bully Pulpit, Haley Morris-Cafiero est devenue l'égérie de tous ceux et celles qui se sont fait harceler sur les réseaux sociaux.
Avec The Bully Pulpit, Haley Morris-Cafiero est devenue l’égérie de tous ceux et celles qui se sont fait harceler sur les réseaux sociaux.© HALEY MORRIS-CAFIERO

haleymorriscafiero.com

Si sa démarche est avant tout artistique, l'Américaine souhaite également servir  la cause de l'acceptation de soi, via des conférences et des séminaires.
Si sa démarche est avant tout artistique, l’Américaine souhaite également servir la cause de l’acceptation de soi, via des conférences et des séminaires.© HALEY MORRIS-CAFIERO
 » Je ne comprends pas pourquoi les femmes s’autorisent à devenir grosses, c’est logique qu’elles soient alors traitées comme de la m… « , un autre compliment bien senti reçu par la photographe.© HALEY MORRIS-CAFIERO
Avec un humour corrosif, Haley Morris-Cafiero souligne le conformisme qui épuise les corps et les individus. Et le mécanisme psychologique qui l'accompagne : les harceleurs déversent leur bile sur le monde en raison de ce que leur coûte l'effort d'adhésion aux normes.
Avec un humour corrosif, Haley Morris-Cafiero souligne le conformisme qui épuise les corps et les individus. Et le mécanisme psychologique qui l’accompagne : les harceleurs déversent leur bile sur le monde en raison de ce que leur coûte l’effort d’adhésion aux normes.© HALEY MORRIS-CAFIERO
 » Si elle devait faire une audition pour le rôle d’une dépressive habitant dans le camping d’une banlieue paumée, elle obtiendrait le rôle immédiatement.  » Quand la haine va de pair avec le mépris social.© HALEY MORRIS-CAFIERO
 » Tu es grasse et massive, tes bras me donnent envie de vomir « . Autre com-mentaire émanant des hommes et des femmes, de 30 à 70 ans, de toutes cultures, retenus par Morris-Cafiero.© HALEY MORRIS-CAFIERO

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