» Le plus grave danger ? Les tentatives de censure « 

En matière de liberté d’expression, Pascal Boniface redoute surtout les pressions insidieuses. Pour le directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris),  » la critique de l’islam se porte bien « . Les pratiques des partis d’extrême droite en témoignent.

Au début des années 2000, Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) à Paris, a été la cible d’un flot de critiques pour avoir recommandé dans une note de travail à l’attention du Parti socialiste français d’appliquer au conflit israélo-palestinien les principes universels de respect des droits de l’homme, qui, à son estime, étaient dévoyés au détriment des Palestiniens. Taxé d’antisémitisme, il y répondit dans un ouvrage qui fit grand bruit, Est-il permis de critiquer Israël ? (1). Un parallèle peut-il être dressé avec la conjoncture actuelle où la critique de l’islam suscite, en Belgique en tout cas, des réactions virulentes ?  » Il n’y a vraiment aucun rapport, juge Pascal Boniface. La critique du gouvernement israélien est immédiatement assimilée par les plus radicaux soutiens d’Israël à de l’antisémitisme. Et là vous subissez un préjudice professionnel indéniable au-delà des attaques personnelles.  »

Pourfendeur de la pensée unique, Pascal Boniface a dénoncé et démonté, dans son dernier ouvrage Les Intellectuels faussaires (2),  » le triomphe médiatique des experts en mensonge « . Parmi eux, Caroline Fourest, privée de parole à l’ULB, que l’auteur juge  » remarquablement opportuniste  » :  » Sous couvert d’une dénonciation générale de tous les intégrismes, elle cible surtout les musulmans, parce qu’elle sait que c’est médiatiquement porteur, explique Pascal Boniface au Vif/L’Express. […] Elle s’indigne aujourd’hui de l’usage antimusulman que Marine Le Pen fait de la laïcité, mais elle lui a largement ouvert la voie. Sa dénonciation de l’intégrisme musulman, qu’elle grossit de façon démesurée, a quelque chose d’obsessionnel.  »

Le Vif/L’Express : La critique de l’islam est-elle encore possible dans les démocraties européennes ?

Pascal Boniface : La critique de l’islam se porte bien. La presse fait régulièrement des Unes sur la peur de l’islam. Les amalgames entre islamistes, terroristes et musulmans sont fréquents. Les partis politiques européens dits populistes, mais en fait d’extrême droite, surfent sur la vague antimusulmane. Dire que critiquer l’islam est interdit en Europe ne correspond tout simplement pas à la réalité. C’est même un thème vendeur, voire racoleur. Aucun intellectuel ou responsable politique qui aura émis une critique, fût-elle excessive, de l’islam ne risque de voir sa carrière compromise. Bien au contraire.

Des minorités agissantes, islamistes ou intégristes chrétiennes, parviennent-elles à réduire la liberté d’expression et le débat d’idées ?

Effectivement il y a parfois des minorités violentes qui vont venir interdire un débat ou une exposition. Il ne s’agit d’ailleurs pas seulement de chrétiens ou de musulmans. En France, la Ligue de défense juive s’est illustrée à de nombreuses reprises par des actions violentes, y compris au sein même du palais de justice. Mais le plus grave danger qui pèse sur la démocratie, ce sont les pressions qui se font de façon discrète : les tentatives de censure.

Les sociétés européennes sont-elles devenues trop tolérantes au nom du multiculturalisme ?

Je n’ai vraiment pas l’impression que les sociétés européennes soient devenues trop tolérantes. Le racisme est plus combattu que dans les années 1930 ou même 1960-1970 et c’est heureux.

L’islamophobie progresse-t-elle en Europe ?

Non, l’islamophobie ne progresse pas en Europe. Elle était beaucoup plus forte il y a une vingtaine d’années. De façon paradoxale, c’est la présence plus visible des musulmans en Europe qui donne cette impression de progression de l’islamophobie. Il n’est peut-être pas toujours facile d’être musulman en Europe, mais il est indéniable que cela est plus facile aujourd’hui qu’il y a vingt ans.

(1) Robert Laffont, 2003.

(2) Jean-Claude Gawsewitch éditeur, 2011, 251 p. Les Intellectuels faussaires vient de sortir en poche chez Pocket.

ENTRETIEN : GÉRALD PAPY

 » Il est indéniable qu’il est plus facile d’être musulman en Europe aujourd’hui qu’il y a vingt ans « 

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