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Jubilé d’Elizabeth II: comment expliquer sa popularité, malgré tous les scandales ?

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Elizabeth II célèbre ses septante ans de règne. Les festivités publiques, qui viennent de débuter, s’annoncent joyeuses et populaires. Comment expliquer la popularité retrouvée de la reine après des moments difficiles? Une histoire de stabilité et d’empathie.

Le 6 février dernier, il y avait septante ans qu’Elizabeth II était montée sur le trône du Royaume-Uni. Une longévité sans égal pour une dirigeante en fonction. Les festivités qui célèbrent cet anniversaire ont débuté ce 2 juin. Ce jubilé de platine qui s’annonce grandiose, vu sa popularité. Professeur d’histoire contemporaine à l’université Bordeaux- Montaigne et auteur d’une Histoire de l’Angleterre, des origines à nos jours (Flammarion, 2021, 640 p.), Philippe Chassaigne explique le rôle de la mythique souveraine dans l’histoire du Royaume-Uni.

Comment la jeune Elizabeth montant sur le trône a-t-elle réussi à s’imposer?

Lorsqu’elle y accède, le 6 février 1952, elle n’a pas 26 ans. Mais elle est destinée à succéder à son père, George VI, pratiquement depuis qu’il est devenu roi en 1936. Les années passant, la probabilité que naisse un enfant de sexe masculin au sein du couple royal et que la princesse Elizabeth perde ses droits à la succession était de moins en moins grande. Elle est donc mieux préparée à son futur métier que ne l’était son père, monté sur le trône à la suite de l’abdication de son frère, Edouard VIII. En outre, tout comme la reine Victoria avait bénéficié de l’aide de son Premier ministre, Lord Melbourne, Elizabeth II a trouvé en Winston Churchill un mentor particulièrement attentionné. Il avait une admiration et une affection profondes pour la nouvelle reine, dans une espèce de rapport filial. Monarchiste convaincu, il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour faciliter la tâche de la reine dans ses fonctions.

Dans ce monde qui change de plus en plus et de plus en plus vite, la reine incarne la sécurité et la stabilité.

Elizabeth II est-elle apparue d’emblée comme un ferment d’union entre les populations du Royaume-uni?

Oui. Ce rôle fédérateur s’explique par sa jeunesse. L’idée, très répandue à l’époque, est que la Grande-Bretagne connaîtra un nouvel âge élisabéthain, en référence au règne d’Elisabeth Ire entre 1558 et 1603. L’ accession au trône d’Elizabeth correspond aussi au moment où les restrictions mises en place pendant la Seconde Guerre mondiale et maintenues par la suite commencent à être levées. Les dernières sont supprimées en 1954. L’économie du pays tend à s’améliorer. Les Britanniques partagent très largement un sentiment d’espoir et de renouveau. Quasi à la même époque, le 29 mai 1953, le Néo-Zélandais Edmund Hillary, dans le cadre d’une expédition britannique, gravit le mont Everest. C’est le drapeau britannique qu’il plante au sommet. Cet exploit sportif contribue à entretenir l’idée de lendemains qui brilleront.

En 2011, Elizabeth II effectue une visite historique en Irlande, nonante ans après la création de la république.
En 2011, Elizabeth II effectue une visite historique en Irlande, nonante ans après la création de la république.© GETTY IMAGES

Le conflit nord-irlandais qui durera trente ans, entre 1968 et 1998, n’a-t-il pas remis en question le pouvoir rassembleur d’Elizabeth II et de la royauté?

De la part des républicains irlandais, oui. L’IRA, l’ Armée républicaine irlandaise, est opposée au maintien de l’Irlande du Nord dans le Royaume-Uni. Mais la population d’Irlande du Nord est composée de catholiques qui, pour la plupart, sont républicains, et de protestants, qui sont loyaux à la Couronne britannique. Actuellement, la population protestante d’Irlande du Nord l’emporte encore en nombre sur la population catholique. Cela pourrait ne pas durer très longtemps, la démographie des catholiques étant plus vigoureuse que celle des protestants. Même à l’époque de la reine Victoria, les Irlandais nationalistes ne portaient pas la souveraine dans leur coeur. Lorsqu’à la demande du gouvernement, Elizabeth II effectue, en 2011, le premier voyage d’un souverain britannique à Dublin depuis la naissance de l’Etat libre d’Irlande en 1921, nonante ans plus tôt, c’est une façon d’ exprimer une volonté de réconciliation entre les deux pays. La guerre civile irlandaise entre 1920 et 1921 a laissé des traces mémorielles très profondes en raison des atrocités perpétrées par chacun des camps, davantage par les loyalistes envers les catholiques.

Au moment du décès de la princesse Diana, Elizabeth II a paru manquer d’empathie. Est-ce un trait de son caractère qu’elle a corrigé?

On peut répondre en trois temps. D’ abord, Elizabeth II a appris à maîtriser ses sentiments dès sa jeunesse, bien plus que sa soeur la princesse Margaret qui, il est vrai, savait qu’elle aurait très peu de chances de monter sur le trône. C’est, du reste, la devise de la Couronne: « Ne jamais se plaindre, ne jamais expliquer. » Ensuite, Elizabeth II est aussi une mère. On peut dès lors comprendre que le décès, certes dans des circonstances tragiques, de son ex-belle-fille qui, depuis 1992, faisait tout pour ternir l’image du prince Charles, affaiblissant volontairement ou non la monarchie, ne l’a pas amenée à verser des torrents de larmes. C’est là qu’intervient le troisième temps. Elizabeth II est un individu de chair et de sang. Mais elle est aussi la reine. Elle se doit donc d’incarner l’état d’esprit de sa nation. L’attitude d’Elizabeth pendant les quatre premiers jours de la semaine qui a suivi le décès de Diana n’a pas été comprise parce que le réflexe de garder ses sentiments pour soi et de rester attachée à un certain protocole est apparu totalement déconnecté de l’esprit de l’époque, beaucoup plus démonstratif. En revanche, lors de l’allocution télévisée qu’elle a prononcée le 5 septembre 1997, elle a montré qu’elle était à l’unisson du ressenti de ses sujets. Le retournement de l’opinion publique fut immédiatement perceptible. Les Britanniques avaient retrouvé leur reine.

Après la mort de Lady Diana en 1997, la monarchie britannique a vacillé.
Après la mort de Lady Diana en 1997, la monarchie britannique a vacillé.© GETTY IMAGES

Pourquoi reste-t-elle aussi populaire aujourd’hui?

La première raison est la longévité de son règne. Les Britanniques utilisent le terme « beacon », un phare, un point de ralliement. C’est un point de stabilité alors que son règne a vu la Grande-Bretagne perdre son empire colonial, la livre sterling ne plus être la monnaie de réserve internationale qu’elle était et l’économie britannique vivre, dans les années 1960-1970, des périodes de très graves difficultés. Le pays a encore connu une histoire politique très mouvementée depuis le référendum sur le Brexit, qui est loin d’être réglée quand on voit les problèmes actuels du Premier ministre Boris Johnson. Donc, dans ce monde qui change de plus en plus et de plus en plus vite, la reine incarne la sécurité et la stabilité. Deuxième élément, l’âge aidant, Elizabeth II s’est révélée beaucoup plus à l’aise avec les médias. Selon une expression qu’on utilise beaucoup mais que je n’apprécie pas trop, elle a réussi à « fendre l’armure ». Elle a su se montrer plus humaine.

Elizabeth II s’est révélée beaucoup plus à l’aise avec les médias. […] Elle a su se montrer plus humaine. » 

La popularité de la reine doit-elle être distinguée de celle de la famille royale, parfois entachée par des comportements aussi graves que ceux reprochés au prince Andrew actuellement?

Oui et non. Il est certain que la popularité personnelle d’Elizabeth II rejaillit sur l’institution. Néanmoins, quand on regarde les sondages d’opinion, on voit que dans les années 1990, à peu près la moitié des Britanniques considéraient que cinquante ans plus tard, la monarchie n’existerait plus. C’était l’époque de tous les scandales, entre Charles et Diana, entre Andrew et Sarah Ferguson… Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Les Britanniques pensent désormais que dans un demi-siècle, la monarchie sera toujours là. Le mouvement républicain est à son plus bas niveau historique. A son maximum, il n’a d’ailleurs jamais recueilli les faveurs de plus de 25% de la population. Le mariage du prince William et de Kate Middleton, le 29 avril 2011, et la naissance de leurs trois enfants ont contribué à renforcer l’attachement à l’institution monarchique parce que l’on sait que lorsque Elizabeth II disparaîtra, son fils Charles montera sur le trône, s’il est toujours vivant, et, vu son âge, sera un roi de transition. Les Britanniques se projettent déjà. Ils savent que William, le fils de Charles, deviendra le roi Guillaume V. Il est populaire, jeune, moderne. Et la génération suivante est déjà en place avec leurs enfants. La continuité dynastique est donc parfaitement assurée. Autour d’un couple qui, pour l’instant, fait pratiquement l’unanimité. Alors qu’il y a quarante ans, la famille royale, c’était la reine, son époux et les quatre enfants avec leur conjoint et leurs enfants. Maintenant, la famille est vraiment à prendre au sens strict, la reine, le prince Charles et la duchesse de Cornouailles, le duc et la duchesse de Cambridge et leurs enfants. La famille royale est recentrée sur son noyau.

Le prince William et Kate Middleton: la continuité de la royauté est assurée.
Le prince William et Kate Middleton: la continuité de la royauté est assurée.© GETTY IMAGES

Elizabeth II a-t-elle connu une période ou un événement qui l’a particulièrement fragilisée au cours de ces septante années?

Pendant un tel règne, il y a forcément des hauts et des bas. Il y a eu, à la fin des années 1960, un premier moment de détachement entre les Britanniques et la monarchie parce qu’ils trouvaient qu’Elizabeth II incarnait un peu trop le passé, qu’elle était hors du coup, alors que sa soeur Margaret incarnait beaucoup mieux, voire un peu trop, le Swinging London (NDLR: mouvement culturel autour de la pop et la mode). Le mariage de Charles et Diana dans les années 1980 a été un des points culminants de la monarchie parce qu’il permettait la perpétuation de la lignée et en raison du charisme de la princesse de Galles. Les années 1990 ont été beaucoup plus compliquées. Lorsque Charles et Diana se sont séparés, puis ont divorcé, les révélations sur les infidélités respectives du prince Charles et de la princesse ont causé un tort considérable à la monarchie. Les batifolages de Sarah Ferguson avec son homme de confiance texan, John Bryan, aussi. Sur les conseils du Premier ministre Tony Blair, Elizabeth II a su rendre sa popularité à la monarchie. Mais cela ne s’est pas fait en un jour. Le prince Charles a engagé une politique de modernisation du palais de Buckingham, avec une meilleure utilisation des moyens de communication. Et puis, en 2002, les décès, à quelques semaines d’intervalle, de la princesse Margaret et de la reine-mère, la mère d’Elizabeth, ont aussi contribué à rapprocher les Britanniques de leur souveraine. La même année, le jubilé d’or de la reine a attiré des foules considérables partout où elle s’est rendue. Le jour J, les Britanniques ont investi les rues, ont installé des tables et des tréteaux, et ils ont mangé et bu à la santé de la reine. Rebelote en 2012. On peut penser que c’est ce qui se passera encore en juin prochain: un moment de convivialité qui sera d’autant plus apprécié qu’il viendra clôturer deux années très difficiles sur le plan sanitaire.

Pas le record

Elizabeth II ne détient pas le record de longévité à la tête d’un Etat. Elle est encore devancée par Rama IX, roi de Thaïlande entre 1946 et 2016, soit 70 ans, 4 mois et 4 jours, par Jean II prince de Liechtenstein, 70 ans, 2 mois et 30 jours entre 1858 et 1929, et, surtout, par Louis XIV, roi de France et de Navarre, qui régna 72 ans, 3 mois et 18 jours entre 1643 et 1715.

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Elizabeth II « coach de vie »

« Ne nous prenons pas trop au sérieux. Aucun d’entre nous n’a le monopole de la sagesse. » Cette invitation à l’humilité prononcée par Elizabeth II après la chute du Bloc communiste lors de son discours de Noël 1991 est mise en exergue du livre de Dorica Lucaci, Agir et penser comme la reine d’Angleterre. Prendre Elizabeth II comme « coach de vie »: le défi était d’envergure connaissant la discrétion de la souveraine en vertu de sa fonction. Au final, l’autrice offre un récit amusant, dont certains enseignements paraissent parfois plus vieux jeu encore que ne le recommanderait la reine, si elle le pouvait.

( Agir et penser comme la reine d’Angleterre, par Dorica Lucaci, éd. de l’Opportun, 240 p.

Philippe Chassaigne
Philippe Chassaigne© dr

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