L’angoisse de sa survie pousse la communauté juive à se pencher sur sa démographie, faible en diaspora. Les rabbins orthodoxes montent au créneau contre l’assimilation.
Le peuple juif est-il menacé d’extinction ? C’est la question existentielle par excellence, celle qui hante une communauté minoritaire, dont l’élimination, pendant la Seconde Guerre mondiale, a été planifiée par l’Allemagne nazie. Sans cette saignée, au lieu d’être 13, 3 millions d’individus, répartis aujourd’hui entre Israël (5,55 millions) et la diaspora (5 millions aux Etats-Unis, 500 000 en France, entre 30 000 et 40 000 en Belgique), les juifs seraient 32 millions. La projection a été établie par le démographe israélien d’origine italienne Sergio Della Pergola (Université hébraïque de Jérusalem).
Récemment, le Centre rabbinique européen, d’inspiration orthodoxe (lire l’encadré page 75), a ravivé cette angoisse de l’effacement, en donnant la parole à Meir Lau, l’ancien grand rabbin d’Israël et actuel président du centre Yad Vashem de Jérusalem. Celui-ci a présenté devant 300 rabbins européens réunis à Paris les résultats d’une étude réalisée aux Etats-Unis, où vit la plus importante communauté juive après celle d’Israël. Pour le rabbin Lau, le cas de la diaspora américaine est représentatif de l’ensemble du judaïsme. Il en tire une leçon majeure : l’avenir du judaïsme repose sur sa branche la plus orthodoxe, même si celle-ci est minoritaire. En effet, le courant le plus » prolifique » du judaïsme est, d’évidence, celui qui exige des individus la plus stricte endogamie (puisque la judéité se transmet par les femmes et non par conversion), qui applique à la lettre le » Croissez et multipliez-vous » biblique et qui lutte de toutes ses forces contre l’assimilation.
Cette étude dont rendait compte le Figaro du 7 mars 2009 (le Centre rabbinique européen n’a pas tenu à la transmettre au Vif/L’Express) établit une typologie des juifs américains : 1. Les » laïques « , non pratiquants. 2. Les » réformés » ou » libéraux « , qui ont adapté certaines règles en admettant, par exemple, les femmes rabbins. 3 . Les » conservateurs « , que l’on dirait classiques. 4. Les » modernes-orthodoxes « , qui seraient traditionnels sans excès. 5. Les » religieux » ou » orthodoxes « , vivant pleinement les règles jusqu’à la rupture sociale, parfois.
Haro sur les mariages mixtes
Après avoir examiné comment ces groupes s’étaient perpétués sur quatre générations, l’étude arrive à la conclusion que, sur un groupe de 100 juifs au départ, il en reste 5 dans les milieux laïques, 13 chez les libéraux, 24 chez les conservateurs, 346 chez les modernes-orthodoxes et 2 857 chez les religieux. L’explication est limpide. Le taux de fécondité d’une femme d’un milieu religieux est de 5,9 contre 1,2 pour une femme d’un milieu juif laïque. Quant aux mariages mixtes, ils concernent 72 % des juifs laïques mais moins de 1 % des juifs religieux. Les rabbins considèrent que les mariages mixtes, même s’ils se concluent avec une femme juive, contribuent à affaiblir l’identité de la communauté, car ils provoquent un éloignement culturel et religieux qui, selon eux, s’apparente à de l’ » assimilation « .
Les religieux étant très minoritaires dans la communauté juive, la relève est donc loin d’être assurée. Vrai ou faux ? D’après le démographe Sergio Della Pergola, la population juive israélienne a augmenté de 85 000 personnes alors que la diaspora en a effectivement perdu 15 000, en s’alignant sur les courbes de natalité des sociétés occidentales. La publication de l’étude des rabbins américains a jeté un certain trouble dans une partie de l’opinion juive. » Il est normal que les rabbins orthodoxes se préoccupent des risques d’ « extinction » du peuple juif, relève le généalogiste et statisticien français Michel Louis Lévy sur son blog. Mais les dialectiques orthodoxes/libéraux, mariages endogames/exogames ( » mixtes « ), tradition/assimilation sont permanentes et toute extrapolation est hasardeuse. Les orthodoxes ne sont pas seulement les parents de nombreux enfants, ils sont surtout les garants de la transmission de la Torah et de pratiques culturelles qui, depuis quelques milliers d’années, tiennent parfaitement la route, malgré les persécutions, les incompréhensions et l’assimilation. «
Marie-Cécile Royen