Le nucléaire en balance

La Belgique veut se débarrasser de ses sept réacteurs atomiques. Vu l’ampleur du défi, le gouvernement peine à accorder ses violons. Mais, quelle que soit sa décision, l’aventure énergétique ne fait que commencer

La Belgique a décidément bien du mal à se débarrasser de son énergie nucléaire. Ces deux dernières semaines, plusieurs réunions gouvernementales se sont déroulées sans succès. Après une nouvelle tentative dans la nuit de mardi à mercredi, les partenaires de la majorité arc-en-ciel conservaient encore l’espoir d’aboutir à un accord avant la fin de la semaine qui s’achève.

Etonnantes, ces difficultés? Loin de là! Certes, officiellement, la Belgique a tourné le dos à la filière nucléaire depuis la déclaration gouvernementale de juin 1999. La fermeture des sept centrales du pays (quatre réacteurs à Doel et trois à Tihange), après quarante ans de bons et loyaux services, fait partie des engagements de l’équipe au pouvoir, conformément aux souhaits des écologistes. Elle a même été confirmée à l’automne dernier.

Mais voilà: la Belgique est le troisième pays le plus nucléarisé au monde, juste après la France et la Lituanie. Pas loin de 60 % de l’électricité produite en Belgique est d’origine nucléaire. Enorme! Dans ces conditions, il n’est pas étonnant qu’un véritable tir de barrage se soit ouvert, ces derniers jours, à l’encontre du projet de loi du gouvernement, dont le texte doit bétonner l’accord politique de 1999. La pression du patronat, mais aussi les cris d’alarme de certains experts, ont trouvé écho auprès des socialistes et, surtout, des libéraux (particulièrement du côté francophone). Ceux-ci ont mis plusieurs conditions à l’abandon de la filière: garanties sur les sources d’énergie alternatives, stabilité des prix, etc. Ces amendements ont été jugés inacceptables par les Verts. A leurs yeux, l’accord gouvernemental aurait été vidé de sa substance: l’arrêt des réacteurs aurait pu être reporté aux calendes grecques. Bernés autrefois avec les écotaxes, les Verts ne veulent pas être les dindons de la farce nucléaire. Le « non » à l’atome n’est-il pas l’un de leurs mythes fondateurs?

Depuis les grandes contestations des années 70, le débat sur l’atome a sensiblement évolué. Aujourd’hui, les sympathisants du nucléaire détiennent un argument-clef: cette filière ne produit pas de CO2, le principal gaz responsable du réchauffement climatique. Or la Belgique, comme une quarantaine d’autres pays industrialisés, doit impérativement diminuer ses émissions, en vertu du Protocole de Kyoto. Et cela, de 7,5 % par rapport à 1990. En réalité, l’effort à fournir est encore plus important (on parle de 16 à 18 %), puisqu’elle n’a cessé d’augmenter ses émissions depuis une dizaine d’années. Il est vrai que la production d’électricité est loin d’être la seule source d’émission de gaz: le transport et le chauffage en sont également – et largement – responsables. Le nucléaire ne peut donc être, au mieux, qu’un moyen parmi d’autres de respecter nos engagements internationaux sur le climat.

Outre l’accord politique de 1999, Olivier Deleuze, secrétaire d’Etat à l’Energie (Ecolo), a quelques atouts dans sa manche. Après les attentats du 11 septembre, le débat sur la sécurité des centrales est revenu à l’avant-plan. De même, dans un marché (européen) libéralisé et débarrassé de ses monopoles d’Etat, le nucléaire n’a plus autant la cote qu’auparavant, en raison des gros investissements qu’il exige. Dans ce contexte, la réflexion sur une production « made in Belgium » prend une coloration nouvelle.

Toutefois, même s’il qualifie la sécurité d’approvisionnement du pays comme sa « priorité numéro 1 », Deleuze, ex-directeur de Greenpeace, donne du grain à moudre à ses détracteurs. Si, par exemple, un problème de fourniture d’électricité devait survenir du fait de la fermeture des centrales, il n’exclut pas que la Belgique procède à des achats à l’étranger, mais « uniquement en cas de pépin, pour quelques heures ». De même, il n’existe aucune incompatibilité, à ses yeux, entre le respect de Kyoto et la fermeture des centrales. Mais comment ferons-nous lorsque les objectifs de réduction du CO2 seront renforcés, après 2010? « Nous réduirons le CO2 dans le transport, le chauffage, etc », rétorque Deleuze. Nous pourrions aussi, estime-t-il, réclamer un allégement de nos obligations sur les gaz à effet de serre…

Mais les véritables alternatives, aux yeux de l’excellence écologiste, résident dans une diminution de la consommation d’électricité (la « maîtrise de la demande »), dans la multiplication des installations de co-génération (production combinée d’électricité et de chaleur à partir du gaz) et dans les énergies renouvelables (éolienne, biomasse, etc.). Or presque tout le monde est d’accord, aujourd’hui (même Greenpeace), sur le potentiel intéressant, inexploité mais limité, des énergies renouvelables pour notre pays. La co-génération, elle, est encore très peu pratiquée chez nous. Quant à la maîtrise de la consommation d’énergie ( lire l’interview page ), même la Commission européenne, sympathisante avérée du nucléaire, reconnaît que son potentiel est très important ( lire Le Vif/L’Express du 18 janvier 2002). Ainsi, en agissant sur l’efficacité énergétique de centaines d’objets usuels (lampes, électro-ménager, bureautique, etc.), on pourrait économiser la demande totale d’énergie de 6 pays européens! De quoi réduire sensiblement à la fois la consommation électrique et les émissions de gaz à effet de serre. Problème: chez nous, de tels scénarios n’ont jamais été étudiés en profondeur par les pouvoirs publics. Même la commission d’experts dite « Ampère », dont les tenants de l’atome se réclament pour exiger le maintien de la filière nucléaire, n’a pas suffisamment analysé ces lacunes, de son propre aveu. « Le débat sur l’économie d’énergie a toujours été cadenassé par les grands producteurs, comme Electrabel, rappelle-t-on chez Greenpeace. L’association écologiste, elle, ne craint pas de réclamer la fermeture d’une première centrale… dès cette législature.

Chez Electrabel, on rétorque qu’aucun pays industrialisé n’a jamais réussi à diminuer sa consommation d’électricité. Vrai. Mais l’ampleur du double problème écologique et éthique – le réchauffement du climat et l’enfouissement des déchets nucléaires – exige aussi de réfléchir à des tentatives crédibles d’innovation. Avec plus ou moins de bonheur, la Belgique se veut pionnière, depuis peu, dans différents dossiers liés à la politique internationale. Celui des défis écologiques de la planète ne vaut-il pas le pari d’un peu moins de frilosité dans ce domaine?

Philippe Lamotte

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