Le nouveau tempo de Valls

Efficacité, communication, autorité… Le Premier ministre français veut, sans perdre un jour, imposer sa marque de fabrique. Un défi pour celui qui s’est longtemps plu à jouer en solo.

Un artisan horloger. A peine nommé à Matignon, Manuel Valls s’empresse de remettre les pendules à l’heure. La liste du nouveau gouvernement doit être connue dans la matinée du mercredi 2 avril, c’est une question d’efficacité. Celle dont il veut faire sa marque de fabrique. Il se tiendra donc religieusement au timing. Constituer une équipe riquiqui de 16 membres est pourtant un casse-tête.  » On peut attendre mon retour de Bruxelles, mercredi soir, ou carrément jeudi « , suggère François Hollande, jamais à un retard près. Que nenni. Manuel Valls s’échine à ce que son équipe soit rendue publique à l’heure initialement convenue, quitte à bousculer les tractations. Quitte aussi à être moins imaginatif.  » Ce gouvernement, parce qu’il a été fait dans la précipitation, comporte peu de surprises « , concède un proche du chef de l’Etat français.

Le nouveau Premier ministre ne fait pas de sentiment

Manuel Valls ne veut pas laisser les aiguilles de son destin s’enrayer. Il a lui-même appelé certains ministres de Jean-Marc Ayrault pour les congédier, à l’instar du malheureux François Lamy (le ministre délégué chargé de la Ville).  » C’est un gouvernement resserré. Marylise (Lebranchu, la ministre de la Réforme de l’Etat) en est. Pas toi.  » Il raccroche. Les aubrystes n’auront donc qu’un ministre de plein exercice. Plus tard, les deux hommes se reparlent, cette fois, de visu, à Matignon. Valls enfonce le clou :  » Tu prends des vacances ?  »  » Deux ou trois jours « , répond l’ancien bras droit de Martine Aubry. Valls, froidement :  » Eh bien, tu devrais en prendre plus.  »

Le nouveau Premier ministre ne fait pas de sentiment. Mais surveille sa com’. En la matière, il n’y a pas de détail. Sur le site Internet de Matignon, son livre de 2008 qui plaide pour l’abandon du terme  » socialiste  » dans l’appellation de son parti ne figure pas dans la bibliographie. Inutile de provoquer la gauche, elle lui savonne déjà suffisamment la planche. De même, il veut instiller de l’ordre dans les prises de parole. Le 2 avril, il s’exprime au journal télévisé de TF 1, le plus regardé de France – quand Jean-Marc Ayrault avait privilégié France 2 et le service public pour sa première intervention. Consigne a été passée aux autres ministres de refuser les interviews, ce soir-là, pour ne pas brouiller le message du chef.

Les méthodes de travail doivent changer.  » Valls a passé un deal avec les ministres, décrypte un ami de François Hollande. Leurs expressions publiques sont contrôlées ; en échange, ils peuvent dire tout ce qu’ils pensent dans le cadre de réunions politiques régulières avec tout le gouvernement, comme les pratiquait Lionel Jospin.  » Dans les cabinets ministériels, on se félicite de voir désormais arriver sans tarder des mails d’argumentaires, les fameux  » éléments de langage « . Premier cas concret : le 2 avril, à 22 heures, un mail de Matignon clarifie l’imbroglio autour du Commerce extérieur, que se disputent les ministères des Affaires étrangères et de l’Economie.

Dans la mécanique de précision que veut mettre au point Manuel Valls, le fonctionnement de Matignon sous Jospin constitue sa référence. Il était alors le conseiller en communication.  » C’était un dispositif bien huilé, très efficace en matière de coordination avec les groupes parlementaires et le parti « , rappelle la députée Clotilde Valter, ancienne membre du cabinet. Manuel Valls est décidé à assister régulièrement aux réunions du bureau national du PS et à participer à plusieurs meetings de la campagne des européennes. Il veut veiller également sur la majorité – il a déroulé, en vain, le tapis rouge aux écologistes pour les faire entrer au gouvernement. Quand la chef des Verts, Emmanuelle Cosse, l’appelle, le 1er avril, pour lui indiquer que sa formation s’oppose à cette participation, le Premier ministre français subit un premier revers.  » Je m’en doutais…  » glisse-t-il après un long silence.

Comment piloter une majorité capricieuse ? Comment encadrer un gouvernement lesté de caractères forts (Ségolène Royal, Arnaud Montebourg, Christiane Taubira) ? L’ancien maire d’Evry n’est pas réputé pour savoir jouer collectif, lui qui a surtout managé l’écurie Valls. Il a géré de petites équipes d’affidés, prêts à se sacrifier pour lui et non à le défier. Des fidèles recrutés dans sa ville, emmenés au ministère de l’Intérieur, présents désormais à Matignon (comme son chef de cabinet, Sébastien Gros, ou son conseiller en communication, Harold Hauzy). Valls le perso cloisonne beaucoup. Il consulte ses amis de toujours (le criminologue Alain Bauer, le publicitaire Stéphane Fouks), ses camarades parmi les élus et quelques entrepreneurs, mais sans mélanger les réseaux. Son successeur à Evry, Francis Chouat, fidèle entre les fidèles, qui fut son premier adjoint pendant onze ans, confirme :  » Je n’ai vu Stéphane Fouks que trois fois dans ma vie.  »

Le solitaire sait pourtant comment fonctionnent les organisations. Au début de sa carrière, il se révèle un redoutable homme d’appareil, au poste de premier secrétaire fédéral du PS du Val-d’Oise.  » Je peux être dur dans des affrontements internes, pour des questions de pouvoir, de contrôle d’une machine politique, je n’ai pas d’états d’âme là-dessus « , confie-t-il dans son livre au vitriol intitulé Pour en finir avec le vieux socialisme (Robert Laffont).

Le ministère de l’Intérieur lui fournit l’occasion rêvée d’élargir son réseau. Puisque la fonction le lui permet, il dorlote alors tout ce que la France compte d’élus locaux.  » Son cabinet est extrêmement professionnel « , souligne le député de Lot-et-Garonne (sud-ouest de la France) Matthias Fekl.  » C’est une machine de guerre « , renchérit le député du Cher (centre) Yann Galut. Aucune demande ne reste sans réponse, même les jours fériés. On ne néglige pas les petites attentions, si chères aux parlementaires.  » Ses conseillers vous informent dès que le ministre est en déplacement dans votre région « , note le député de l’Hérault (sud) Sébastien Denaja. Un gendarme se suicide ? Valls appelle l’élu du coin :  » Quelle est l’ambiance parmi les gendarmes ?  » Une inondation survient ? Le ministre est encore au bout du fil, tout en empathie.  » A l’Assemblée, il est souvent le premier à arriver aux questions au gouvernement et le dernier à en partir, toujours disponible pour les parlementaires « , raconte le président de la Commission des lois, Jean-Jacques Urvoas. Il déjeune volontiers à la buvette avec les élus.

Mais malheur à ceux qui le contredisent ouvertement. Le Catalan se braque, n’aime pas faire machine arrière.  » Il a un côté hidalgo, avec le sens de l’honneur, un caractère coléreux, et une certaine idée de sa surpuissance « , estime la sénatrice écologiste Esther Benbassa, qui croise souvent le fer avec Manuel Valls (sur l’affaire Leonarda ou l’abandon du récépissé de contrôle d’identité).  » Un jour, alors que nous étions ensemble dans un dîner, il s’est adressé à moi en m’appelant « la Tchétchène » !  » raconte l’élue Verte.

Efficacité, communication, autorité : certes,  » Valls doit faire du Valls « , comme l’a recommandé François Hollande. Mais le chef de l’Etat français entend rester le patron. C’est pourquoi celui du gouvernement doit synchroniser sa partition avec l’Elysée. Quand il reçoit les responsables écologistes, le 1er avril, le député François de Rugy et le sénateur Jean-Vincent Placé l’interrogent :  » Vas-tu remettre en cause l’engagement du président sur les gaz de schiste ?  » Valls les rassure, c’est non.  » Et sur les OGM ?  » Cette fois, il répond en s’autorisant une nuance :  » Idem, il n’y aura pas de changement… Et c’est dommage, d’ailleurs.  » L’ancien maire d’Evry, ville qui abrite le Genopole, un parc dédié à la biotechnologie, n’a jamais caché son opposition au moratoire sur les OGM.

Il a prévenu Hollande : si Ayrault rempile, ce sera sans lui

Jean-Marc Ayrault fonctionnait avec le chef de l’Etat sur le registre de la loyauté absolue. Manuel Valls carburera, lui, au rapport de force. Pour preuve, son attitude, le dimanche 30 mars, alors que se profile la bérézina des municipales, sans que l’on sache les conclusions qu’entend en tirer François Hollande. Son ministre de l’Intérieur fait alors savoir au président que, s’il n’est pas nommé à la tête du gouvernement, il est inutile de compter sur lui pour faire partie de la nouvelle équipe. C’est ce qu’on appelle mettre la pression. D’autant qu’il n’est pas le seul à s’essayer au chantage. Pendant ce temps-là, celui avec qui il a noué un accord tactique, Arnaud Montebourg, explique également à Hollande que, si Jean-Marc Ayrault est reconduit, il prendra ses cliques et ses claques. Cela commençait à faire beaucoup pour le président, qui se résout à promouvoir Valls.

La forme est une chose, le fond en est une autre, tellement plus complexe. Le chef du gouvernement français veut maintenant s’atteler à  » recoudre le pays « , balafré par la crise, comme il l’a constaté lors de déplacements récents à Charleville-Mézières ou à Hayange. Il promet de sortir de son antre parisien pour répondre au désarroi des Français. Il veut se poser en homme d’action, qui ne laissera pas passer son heure. Car son calendrier politique ne s’arrête pas à la case Matignon. Il sait donc mieux que personne ce que signifierait son échec.

Marcelo Wesfreid

L’ancien maire d’Evry n’est pas réputé pour savoir jouer collectif, lui qui a surtout managé l’écurie Valls

 » Valls doit faire du Valls « , comme l’a recommandé François Hollande. Mais le chef de l’Etat entend rester le patron

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