Le monde très privé du private banking

Comment ça marche, combien ça coûte, comment choisir ? Le Vif/L’Express a poussé la porte de plusieurs institutions financières très privées pour clients très fortunés.

On vous parle de montants que la plupart des gens ne peuvent qu’imaginer. D’un monde où le ticket d’entrée ne se négocie qu’à partir de nombres à six chiffres, voire sept. Un univers qui ne s’adresse qu’à un certain nombre de happy few.  » On estime qu’il y a, en Belgique, 100 000 personnes qui possèdent plus de 500 000 euros en épargne liquide, tandis que 300 000 disposeraient de 200 000 à 300 000 euros « , avance Jacques Berghmans, président du gestionnaire de fonds Tree Top Asset Management.

Difficile à vérifier. Mais le cercle des Belges fortunés n’est sans doute pas si fermé que cela. Car malgré l’étroitesse du pays, la concentration de banques privées établies chez nous est forte. Un secteur ultraconcurrentiel, de l’aveu de ses propres acteurs. Qui ne cesse pourtant d’attirer de nouveaux joueurs (étrangers, indépendants…) Signe qu’il reste encore des contrats à conclure. Les 240 milliards qui ronflent sur les comptes d’épargne ne diront pas le contraire.

 » En Belgique, le patrimoine par individu a toujours été important, note Philippe Wallez, general manager d’ING Private Banking. Jusqu’à présent, la fiscalité a protégé l’épargnant. Puis les différentes DLU (NDLR : déclarations libératoires uniques), qui permettent de rapatrier des fonds de l’étranger, y ont aussi contribué.  »

Toutes les (plus ou moins) grandes fortunes n’auraient donc pas choisi de confier leur patrimoine à un gestionnaire spécialisé. Mais quel est concrètement le rôle de ces banquiers privés ? Réponses en cinq questions.

1. Gestionnaire de patrimoine, késaco ?

 » Les gens font appel à des gestionnaires de patrimoine parce que le monde devient de plus en plus complexe « , plaide Chantal Forget, senior private banker à la banque Degroof.  » Quand on investit seul, on procède par coups de coeur, ajoute Grégoire Delouche, conseiller indépendant et professeur à l’Ichec Business School. On place 90 % dans l’immobilier ou dans des actions, etc. Or la base de la gestion du risque, c’est la diversification. Si l’on parvient à faire cela, on a déjà gagné beaucoup.  »

À moins d’être un crack des marchés, difficile d’identifier soi-même les opportunités. Puis étant donné les faibles rendements proposés par les comptes d’épargne (parfois inférieurs à l’inflation), il serait de bon ton de chercher des pistes alternatives.  » D’autant que le marché immobilier, que le Belge a toujours apprécié, commence à arriver à saturation et que l’épargnant hésite désormais à tout miser sur ce secteur « , analyse Philippe Wallez.

Mais un banquier privé ne se contentera généralement pas d’expliquer comment ventiler un portefeuille ou pourquoi il vaudrait mieux miser sur telle action plutôt que telle autre. Au-delà de l’aspect  » investissements « , il se chargera aussi de réaliser une analyse complète de la situation de chaque client. Et pourra, selon les cas, organiser sa succession, renégocier un crédit, souscrire une assurance-vie, etc.  » On accompagne les personnes tout au long de leur vie « , décrit Chantal Forget.  » Le gestionnaire est un homme- orchestre qui va réunir les compétences d’habitude présentes chez différents professionnels « , résume Philippe de Broqueville, associé chez Petercam.

2. Quel ticket d’entrée ?

Pour jouer sur ce terrain, il faut avoir les poches bien remplies. Il est rare de bénéficier des services d’une banque privée si l’on dispose de moins de 250 000 euros. Mais en réalité, chaque organisme fixe son propre seuil. 250 000 euros chez Tree Top, BNP Paribas Fortis ou Degroof, 400 000 chez Triodos, 500 000 chez Petercam, 1 million chez ING…

Pour les montants conséquents mais inférieurs à leur ticket d’entrée, certains établissements généralistes proposent du personal banking. La différence ?  » Un service moins personnalisé, mais certainement pas au rabais « , détaille Philippe Wallez.  » C’est comme le Canada Dry, raille un représentant d’une banque privée. Cela veut s’en donner l’apparence, mais ce n’est pas du private banking…  »

3. Comment faire son marché ?

Banques généralistes, banques privées, sociétés de bourse, conseillers indépendants,  » family offices « … Celui qui veut confier les rênes de son capital à un spécialiste n’a que l’embarras du choix. Pourquoi toquer à telle porte plutôt qu’à telle autre ?  » Il faut choisir une institution de qualité, qui possède une bonne réputation et de l’expertise « , conseille Stéphane Vermeire, general manager de la banque privée chez BNP Paribas Fortis.

 » La première question à se poser est : « Est-ce que mon interlocuteur a un produit à me vendre ? » « , lance Philippe de Broqueville.  » Il faut évaluer la capacité du conseiller à diversifier et à savoir s’éloigner du benchmark (NDLR : indicateur de performance) pour prendre les devants « , juge pour sa part Grégoire Delouche.

Chacun prêche évidemment pour sa paroisse. Mais quels que soient les spécialistes, tous avancent deux mots.  » Confiance « , d’abord : le gestionnaire va connaître votre vie en détail, mieux vaut se sentir à l’aise.  » Compétence « , ensuite. Si la première qualité peut être anticipée (ou peut se fonder sur le bouche à oreille), la seconde ne pourra se vérifier qu’à l’usure. Mais rien n’empêche de ne pas mettre d’emblée toutes ses billes dans le même panier.

4. L’addition, svp ?

La question qui gêne beaucoup d’interlocuteurs aux entournures. S’il peut exister des rétributions liées à la performance, le système de rémunération est la plupart du temps basé sur une commission sur les encours. Chacun y va de son mode de prélèvement : à partir de 25 points de base chez BNP Paribas Fortis, de 0,50 à 2 % en règle générale chez ING, entre 0,5 et 1 % chez Petercam, de 0,25 à 0,40 % chez Triodos… D’autres préfèrent éluder la question, soulignant (et cela s’applique partout) que tout dépendra des dossiers, de l’importance du patrimoine (plus on a, plus on paie) et du type de gestion.

5. Confiance aveugle ou droit de regard ?

Il existe en effet deux manières de confier son capital à un tiers : en signant pour une gestion discrétionnaire ou une gestion conseil. La première permet au banquier de prendre entièrement les commandes en s’occupant des décisions au jour le jour, même si le client garde un contrôle global. La seconde prévoit que chaque opération doit être décidée par le propriétaire des fonds. Le gestionnaire est ici un pourvoyeur de conseils.

La première formule est la plus répandue. La seconde s’adresse davantage aux grosses fortunes qui possèdent des connaissances financières plus que rudimentaires.  » Mais on peut combiner les deux, précise Luc Leclere, directeur private banking chez BNP Paribas Fortis. Une personne peut décider de garder la main pour telle classe d’actifs mais pas pour d’autres, si elle connaît par exemple bien les actions mais moins les obligations.  »

Chacun peut placer ses limites, même en cas de gestion discrétionnaire : non à tel type de placements, à tel secteur, à telle région du monde… Le client reste maître de son patrimoine. Et des risques qu’il veut prendre. Même si la tendance, actuellement, serait plutôt à la modération, voire à la frilosité. Stigmates de la crise. Les 240 milliards d’euros des comptes d’épargne ne diront de nouveau pas le contraire…

Un dossier coordonné par Philippe Berkenbaum, avec Mélanie Geelkens et Marc Vandermeir (à Luxembourg); M. Gs

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