Le monde s’invite en Belgique

Des étudiants juifs sont intimidés à Bruxelles parce qu’ils avaient placardé des affiches favorables à Israël; des menaces de mort sont proférées contre deux d’entre eux. Un professeur juif est malmené par ses élèves d’origine arabo-musulmane. Un professeur de religion musulmane est tué par un Belge dans l’agglomération anversoise; des échauffourées s’ensuivent à l’issue desquelles Abou Jahjah, un jeune leader arabe de la métropole, est détenu pendant plusieurs jours sur injonction du gouvernement. Un double attentat est perpétré à Mombasa (Kenya) contre des intérêts et des ressortissansts israéliens; il y a des morts et un carnage beaucoup plus meurtrier n’est évité que de justesse. Près de 200 touristes occidentaux, principalement australiens, périssent dans un attentat d’inspiration islamiste à Bali (Indonésie). Les propos et les comportements islamophobes se banalisent en Belgique, même s’ils se limitent à peu de chose au regard de ce qui se passe aux Etats-Unis, où les agressions contre les personnes d’origine arabo-musulmane se multiplient comme jamais auparavant. George Bush renforce ses positions aux élections américaines de novembre, ce qui l’autorise à confirmer ses intentions guerrières contre l’Irak. En Israël, le Premier ministre Ariel Sharon est en passe d’être reconduit aux élections législatives du mois prochain, malgré son bilan désastreux. A Anvers, une synagogue subit une nouvelle tentative d’attentat.

Quoi de commun entre des événements apparemment aussi disparates, survenus aux quatre coins du monde? Réponse: une lente mais dangereuse montée des tensions internationales, exacerbée par les attentats antiaméricains du 11 septembre 2001 et par les « métastases » qu’ils ont produites. Que la planète soit parcourue par des lignes de fracture potentiellement porteuses de violence, ce n’est pas nouveau. Le siècle dernier nous a infligé des conflits meurtriers jusqu’à la nausée et au-delà. Deux guerres mondiales issues des nationalismes européens du XIXe siècle ont abouti aux boucheries que l’on sait. Ensuite, l’affrontement Est-Ouest entre deux idéologies à vocation universelle n’a évité la conflagration finale que par la mise en place d’un absurde « équilibre de la terreur », cette dissuasion mutuelle articulée sur des arsenaux nucléaires plus que suffisants pour détruire toute vie sur terre. Mais voilà que l’apaisement entre l’Est et l’Ouest risque de céder la place, si l’on n’y prend garde, à un nouvel antagonisme qui dresserait l’un contre l’autre le Nord et le Sud. D’une part, les pays riches ou en position de le devenir, irrigués par les traditions judéo-chrétiennes qui dominent l’Amérique et l’Europe, Russie comprise. D’autre part, une grande partie de ce « tiers monde » au sein duquel émerge une culture qui, de l’océan Atlantique à l’Asie du Sud-Est, rassemble plus d’un milliard de fidèles: l’Islam.

Contrairement aux prophéties de ceux qui entrevoient un « choc des civilisations », il n’existe aucune fatalité conduisant à un affrontement grave et durable entre l’Occident et le monde musulman. Les deux cultures n’ont pas vocation à s’exclure mutuellement comme le prétendent les adeptes de quelques sectes qui, à l’instar d’Oussama ben Laden, entendent faire couler le sang au nom de Dieu. Mais la médiatisation spectaculaire de leurs actes fait peser un soupçon de fanatisme sur les musulmans qui vivent parmi nous. Oui, il y a des islamistes en Belgique, en Europe. Mais l’existence de cette frange très minoritaire n’autorise aucun amalgame avec les adeptes de l’islam vrai, tolérant et pacifique. Oui, il existe des tensions entre Belges et « allochtones », comme on dit dans la langue de bois. Mais de telles tensions ont été observées lors de toutes les vagues d’immigration successives, qu’elles proviennent d’Europe ou d’ailleurs. Que ces frictions soient attisées par une partie de la presse et du monde politique n’aidera pas à leur apaisement. Plus positif est l’engagement pris cette semaine, par le gouvernement, de renouer le dialogue avec les différentes cultures qui composent la mosaïque belge. Ces contacts , dans le cadre du Centre pour l’égalité des chances, n’apporteront sans doute pas de remède miraculeux aux frustrations éprouvées par les populations issues de l’immigration, qu’il s’agisse d’actes racistes, d’accès à l’emploi ou du délabrement du milieu de vie. Mais, dans le malaise ressenti par les populations arabo-musulmanes, il ne faut pas sous-estimer la part prise par des événements internationaux qui échappent à toute responsabilité de la Belgique. Parmi ceux-ci, le conflit du Proche-Orient occupe une place centrale, bien que souvent négligée. Qu’on ne s’y trompe pas: la sympathie que les Arabes de Belgique vouent aux Palestiniens relève moins de la compassion impuissante que d’une révolte profonde contre le sort qui leur est fait. Il s’agit, chez eux, d’un sujet d’une sensibilité extrême. Comme, hélas, rien ne laisse espérer que la situation au Proche-Orient s’apaisera bientôt, nous allons devoir vivre avec ce facteur de tension, dont il serait vain de continuer à nier l’existence au motif que l’ « importation » d’un conflit extérieur n’est pas acceptable.

La démocratie commande que la liberté d’expression soit préservée, sous les réserves prévues par la loi, aux sympathisants de toutes les causes. Mais cette liberté n’est effective que si elle peut s’exercer en sécurité. A cet égard, on peut se demander si les juifs de Belgique bénéficient des garanties que justifierait un contexte international aussi tendu. Au moment où le drame proche-oriental suscite une hostilité croissante à tout ce qui, de près ou de loin, touche à l’Etat d’Israël, des mesures plus strictes devraient être mises en oeuvre pour la protection des juifs qui vivent ou voyagent en Belgique.

Les tensions internationales ont des répercussions à l’intérieur de nos frontières. Sachons en tenir compte et prenons les mesures adéquates

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