LE MESSIE EUROPÉEN

A 63 ans, l’ancien Premier ministre publie en français son 9e livre pour dénoncer les errements de l’Union. Cette croisade pour les Etats-Unis d’Europe, qu’il mène à trois cents à l’heure, sera son dernier combat. Et tant pis si certains estiment qu’il radote…

Il ne changera jamais, Guy Verhofstadt. A 63 ans, l’ancien Premier ministre belge, fer de lance des libéraux européens depuis 2009, reste comme à ses débuts : survolté, messianique et sourd à toute critique. Bon vivant, aussi, à ses heures perdues. Cette semaine, il sort en français son 9e livre après quatre  » Manifestes citoyens  » et quatre pamphlets proeuropéens. Le Mal européen est un nouvel essai alarmiste sur l’état de l’Europe et un plaidoyer en faveur des Etats-Unis d’Europe. Un ouvrage dont on perçoit l’urgence au rythme des crises et que l’on pourra dévorer… en sirotant un Meone, ce vin que Verhofstadt produit depuis deux ans dans sa propriété de Monte Santa Maria Tiberina, en Ombrie, à la frontière de la Toscane, dans cette région d’Italie chère à son coeur depuis toujours.

 » Ce vin, je n’en parle pas, il se déguste « , sourit-il, en précisant qu’on peut le trouver dans la vinothèque Vini Divini à Bruxelles. Vingt-cinq euros la bouteille, quand même… Mais laissons donc ce mélange de sangiovese et de cabernet franc, avec ses notes de vanille et de tabac encore jeunes, pour plonger dans la nouvelle croisade de l’ancien  » Baby Thatcher « . En route vers les Etats-Unis d’Europe.

 » Il faut un électrochoc !  »

Après le néolibéralisme des années 1980-1990 et le réformisme belge des années 2000, le Gantois revisite l’histoire de la construction européenne pour en épingler les failles.  » Ce livre ne défend pas l’Union européenne telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, insiste-t-il. Mon analyse est aussi critique qu’elle le serait dans un ouvrage eurosceptique.  » Seule la réponse est différente. Pour le chef de groupe de l’ADLE (Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe) au Parlement européen, il faut donner les pleins pouvoirs à une Union fédérale. Un leitmotiv qu’il défend telle une litanie.

En quittant le 16, rue de la Loi après huit années d’hyperactivité et quelques dépannages de crise, en 2009, Guy Verhofstadt espérait mettre à profit son expérience pour faire bouger l’Europe en devenant président de la Commission. Jugé trop fédéraliste par les grands pays, il a dû s’effacer devant le Portugais José Manuel Barroso.  » Lui, il n’a rien fait ! clame-t-il. Avec lui, nous avons perdu sept années.  » Cinq ans plus tard, avant les élections européennes de 2014, il se déclare à nouveau candidat à la présidence face au chrétien-démocrate Jean-Claude Juncker et au socialiste Martin Schultz. En vain. Juncker passe. Auteur d’un manifeste proeuropéen cosigné avec Daniel Cohn-Bendit (Debout l’Europe !), Verhofstadt aura même échoué en chemin à mettre en place des listes proeuropéennes dans tous les pays, les écologistes ne se retrouvant pas du tout dans son profil socioéconomique.

Celui qui bridera son enthousiasme n’est toutefois pas encore né.  » Mon but, c’est de créer un mouvement tant au niveau politique que dans l’opinion publique, bataille-t-il. Dans le passé, c’était le couple franco-allemand qui était le moteur de l’Europe ou un type formidable comme Jacques Delors. Il faut recréer cela sinon cette Union européenne pourrait disparaître. Rien n’est éternel dans la vie. On risque de retourner au nationalisme- populisme pur et dur.  » Pour y arriver, il compte sur  » les réseaux que l’on a créés avec des centaines de milliers de personnes en Europe qui relaient et défendent ces idées « . Il aimerait aussi que Le Mal européen – déjà vendu à 11 000 exemplaires en Flandre et bientôt traduit en anglais et en espagnol – devienne un film ou une série télévisée.  » Je veux en faire quelque chose comme Inside Job ou An Inconvenient Truth(NDLR : le docu-écologiste d’Al Gore). On doit provoquer un électrochoc dans l’opinion publique.  » L’homme ne doute de rien, tant il croit au pouvoir de la politique.

 » Le prix de sa faiblesse politique  »

Son propos porte-t-il ?  » Guy Verhofstadt est incontestablement devenu la figure emblématique des fédéralistes européens, salue Gérard Deprez, député européen MR. La concurrence est, il est vrai, faible dans les autres groupes politiques depuis le départ de Cohn-Bendit. Mais il ne se limite pas à développer son credo européen, il opérationnalise ses idées et ancre son raisonnement dans son expérience de chef de gouvernement. Son engagement n’est pas un rêve.  » Le  » baron rouge  » Daniel Cohn-Bendit continue lui aussi à soutenir son improbable compagnon de route en signant la préface de l’édition francophone de son livre.  » La force et le potentiel du projet européen conçu comme projet politique de nature radicalement démocratique constitue le meilleur des scénarios possibles pour l’avenir des Européens et de leurs nations respectives « , insiste-t-il. Et son ami  » Guy  » est le mieux à même de le défendre.

Même son rival politique, le Bavarois Manfred Weber, chef de groupe PPE au Parlement européen, salue sa foi inébranlable par-delà les divergences de vues politiques.  » C’est un grand orateur, convaincu et convaincant, nous dit-il. Son credo proeuropéen est la meilleure réponse aux eurosceptiques et aux populistes que nous combattons tous.  » Et s’il n’a pas pu devenir président de la Commission, il le doit à la faiblesse de son groupe libéral :  » Ce n’est rien de personnel, il a les qualités pour le job. Mais son groupe n’est plus que la quatrième force politique du Parlement. Il en paie le prix.  » Un propos tenu presque à regret…

Qu’importe : Verhofstadt fonce. L’Europe de ses rêves, ce sont les Etats-Unis.  » L’Union européenne actuelle ne fonctionne pas, martèle-t-il. C’est un système qui ne correspond pas à un monde où les décisions doivent être prises le plus vite possible, en profondeur. Les crises se multiplient mais, à chaque fois, on ne change rien, on parle de « coordination ». C’est un mot que je finis par haïr ! Combien d’actes terroristes faudra-t-il avant que l’on se « coordonne » mieux ? Non, il faut des capacités européennes propres, comme aux Etats-Unis. Le FBI est d’ailleurs né d’une attaque terroriste contre le président américain McKinley en 1901.  » Pour lui, c’est l’évidence même : les compétences essentielles doivent être fédéralisées au niveau européen. En l’entendant, on le revoit, tel un feu follet, laminer les eurosceptiques français Jean-Luc Mélenchon, fondateur du Parti de gauche, et Henri Guaino, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, lors d’un débat sur France 2 qui avait fait le buzz, fin 2014.  » Si vous lancez une initiative économique dans tous les pays européens, il vous faut 28 autorisations ; aux Etats-Unis, une seule ! Voilà pourquoi il n’y a pas de Google, d’Amazon ou de Microsoft européens…  » Simple, non ?

 » Un discours d’extrémiste  »

Tout le monde n’est toutefois pas convaincu par cette stratégie europhile à l’extrême.  » Guy Verhofstadt affirme que ce sont les gouvernements nationaux qui ne fonctionnent pas, que tout irait mieux si cela était géré par les institutions européennes, analyse Philippe Lamberts, député européen Ecolo. C’est un peu le discours miroir de celui de Marine Le Pen : tout va mal à cause des institutions européennes. Je ne suis pas sûr que ce soit le meilleur message. En général, les gouvernements nationaux sont vus comme plus légitimes que les institutions européennes. Cette idée d’une union sacrée de tous les Européens, je n’y ai jamais cru. On ne construira l’Europe fédérale qu’avec les Etats nationaux.  » Certains de ses collègues dénoncent un côté  » incantatoire « , un  » discours qui tourne un peu sur lui-même « .  » J’ai entendu certains hauts responsables d’Etat dire : ce type a quand même été Premier ministre pendant dix ans et il nous fait la leçon, prolonge Philippe Lamberts. Ils ne le prennent pas toujours très au sérieux. Dans les couloirs du Parlement européen, on entend parfois des « cause toujours ». Parce qu’avant qu’il n’ouvre la bouche, on sait déjà ce qu’il va dire !  »

A ceux qui le traitent de  » nationaliste européen « , Verhofstadt réplique en riant :  » Cela veut donc dire que les Monnet, Spaak et Schuman étaient des extrémistes ?  » Lui, contre vents et marées, il veut en revenir à leur idéal de départ.  » Les pères fondateurs avaient dès le début la vision d’une fédération, d’une union politique, d’une communauté de défense, d’un Parlement élu directement, d’un gouvernement avec un impôt pour le faire fonctionner.  » Un dessein brisé en 1953 par le Premier ministre français Pierre Mendès-France pour des raisons de politique intérieure.  » L’Union économique et douanière, c’est tout ce qu’il reste de ce grand projet, prolonge Verhofstadt. Si on avait été aussi loin, nous n’aurions pas connu les crises de l’euro, des banques, de la migration…  » Le moment est venu de bouger à nouveau, insiste-t-il. Avec le Brexit en vue :  » Le référendum britannique du 23 juin est une opportunité à ne pas rater. Que ce soit « oui » ou « non », il faut changer le traité. On n’a jamais eu ce cas de figure où les Britanniques demandent eux-mêmes d’aller de l’avant…  »

La suite ? Ses mémoires…

C’est dit : le messie libéral n’abandonne pas son bâton de pèlerin. Certains collègues, agacés, jouent l’homme et dénoncent ses conflits d’intérêt. Verhofstadt n’est-il pas l’homme le mieux payé du Parlement européen ? Ne fait-il pas partie du conseil d’administration de la Sofina ou d’Exmar, deux holdings essentiellement actifs dans le transport industriel et maritime, pour lesquels il n’hésiterait pas à faire du lobbying ?  » A mes yeux, c’est un vrai problème éthique, gifle Philippe Lamberts. Un rôle de député européen, c’est un plein-temps !  »  » Tout cela est connu, je le publie chaque année en toute transparence, rétorque Verhofstadt. C’est ça le plus important.  » Et il ajoute dans un rire moqueur :  » Franchement, je n’ai pas l’impression de ne pas m’investir assez pour l’Europe…  »

L’homme ne s’arrête pas. Pendant ses vacances, en Italie, il écrit. Et une nouvelle mission l’attend : son éditeur vient de lui demander de rédiger ses mémoires.  » Je les publierai en trois tomes, annonce-t-il déjà. Mais je ne raconterai pas toute ma carrière en détail comme Dehaene ou Martens. Mes souvenirs seront le point de départ de réflexions philosophiques…  » Ah, oui, il a déjà les titres des trois tomes, mais il les garde pour lui. Verhofstadt veut toujours avoir une guerre d’avance.

Le Mal européen, par Guy Verhofstadt, éd. Plon, 430 p.

PAR OLIVIER MOUTON

 » Mon analyse est aussi critique que celle des eurosceptiques  »

 » Dans les couloirs du Parlement européen, on entend parfois des « cause toujours »…  »

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