Le ménétrier (*)

Ce somptueux conteur de magies et de malices, ce maître des envoûtements est aussi un romancier de la fraternité

Comment faire confiance à Adamek? Quand on le cherche à l’écritoire, il est au chevalet. Quand on attend le conteur, on trouve le romancier ou le poète. Quand on se met en quête de l’éditeur, on tombe sur l’artisan ou l’inventeur. Quand on croit son inspiration d’essence résolument rustique, on voit sa plume musarder très à l’aise dans les bas-fonds des villes. On l’imagine misanthrope, tant il met de soin à fuir les mondanités et les coteries, et l’on découvre un homme accueillant, chaleureux, qui aime la vie et cultive le sens de la fête. A condition, bien entendu, qu’on parvienne à le débusquer dans sa retraite ardennaise, aux confins de l’Aisne, où, scénario classique, après des tours et détours, un recours à l’indigène finit par mener au repaire de « l’écrivain ». Il faut dire que, pour y parvenir, André-Marcel Adamek a suivi lui-même un chemin pour le moins buissonnier.

Né à Gourdinne, dans l’Entre-Sambre-et-Meuse, en 1946, d’un père cheminot et d’une mère normande, fille de marin, il abandonne ses humanités à l’âge de 16 ans pour aller voir en Provence si Giono n’y est pas. De retour en Belgique, après un crochet par l’Italie, il travaille pendant quelque temps comme steward sur la malle Ostende-Douvres (mais, avec les ans, sa tournure inviterait davantage à le nommer au grade de capitaine au long cours). On le retrouve ensuite imprimeur à Schaerbeek. En 1965, il rencontre sa future compagne Ingrid. Ils ne se quitteront plus et auront deux fils. Attention, suivez bien: tout va très vite comme au bonneteau et, quand on le croit ici, il est déjà ailleurs. Fabricant de jouets et boisselier en Ardenne (où il crée la crèche qui cause, mais aussi le porte-bouteilles superposable, une invention dont, aujourd’hui encore, les amis qu’il reçoit n’ont qu’à se féliciter). Et puis, le voilà imprimeur à Namur où il pratique aussi la papeterie en gros. (On dit qu’il se serait fait plaisir en jouant à mener la grande vie dans un château de la vallée de la Meuse, au loyer heureusement inversement proportionnel au nombre de pièces à entretenir.) On le voit aussi éleveur de chèvres naines en Haute Ardenne où il peint, écrit et fait intensivement le nègre (de plume), avant de revenir à Namur pour ouvrir une maison d’édition ésotérique dont il étoffe les rayons avec ses propres livres, écrits sous divers noms d’emprunt et qui rencontrent un vif succès (non, Coelho, ce n’est pas lui, ouf!). Il aurait été aussi, au passage, professeur d’écriture créative et même medium (nous confrontant ainsi au mystère de savoir qui, de l’ambassadeur des morts ou de l’inventeur de prodiges, a pu inspirer l’autre). Enfin, en 1990, les Adamek déposent leur baluchon dans le petit village ardennais où ils continuent à mener une vie à la fois discrète, retirée et fort active. « L’écrivain » y partage son temps entre l’écriture (évidemment), l’édition et diverses occupations champêtres et autres, dont la plus coupable pourrait bien consister à braconner l’escargot pour en faire des merveilles.

Un des grands bonheurs de l’oeuvre littéraire d’Adamek, c’est qu’outre sa qualité intrinsèque elle présente une diversité pareille à celle de sa vie, qu’elle accompagne depuis plus de trente ans. Avec, d’abord, des poèmes et des nouvelles, publiés çà et là, et un premier roman, paru en 1970: Oxygène ou les chemins de Mortmandie, où déjà s’affirme le foisonnement imaginatif du « conteur somptueux » qu’évoque Baronian dans son Panorama de la littérature fantastique, avec ces visions picaresques et ce sens du merveilleux (également au sens diabolique qu’on lui prêtait autrefois) qui puisent aux sources mêmes de notre patrimoine littéraire. Il y a du ménétrier chez Adamek, dans cette façon d’entraîner ses personnages – quelle que soit l’époque où se situe l’action – dans une ronde dont ils ne parviennent que peu ou prou à briser les envoûtements, comme, entre autres, dans La Fête interdite, dans La Couleur des abeilles (où le théoricien de l’esthétique picturale rejoint le conteur et romancier du réalisme magique) ou encore dans Le Maître du jardin noir. On aimerait voir dans cette image du violoneux un rapport avec la fascination que l’art de la lutherie exerce sur lui. Et voilà qui fait ressortir encore davantage l’idéal de fraternité comme véritable antidote à ce déterminisme. Une notion qui transparaîtra diversement dans tous ses romans et de superbe façon dans le dernier en date, Le Plus Grand Sous-Marin du monde, couronné en 2001 par le prix du Parlement de la Communauté française.

Il convient de remarquer à ce propos que, si la plupart des travaux universitaires sur la littérature de Belgique (à l’exception d’une étude de Heinz Klüppelhoz – un Allemand! -, consacrée à la « poétologie » d’Adamek) sont d’une honteuse discrétion sur un écrivain qui a le culot de bouder leurs jeux hautains, ses livres n’en recueillent pas moins les lauriers dispensés par des jurys qui ne sont pas nécessairement composés de béotiens. A commencer par Le Fusil à pétales, son deuxième roman, qui obtint le prix Rossel en 1974, mais aussi Un imbécile au soleil, prix Jean Macé 1984, ou L’Oiseau des morts, prix triennal du roman de la Communauté française, en 1997 (récit étonnant et édifiant sur l’humain vu « à vol d’oiseau »). Cela dit, la nouvelle inédite que nous publions cette semaine montre clairement que, même si ce n’était pas lors de sa juvénile escapade provençale, Adamek a bien rencontré Giono et ses malices.

La photographie d’André-Marcel Adamek, ainsi que celle de Pierre Mertens, publiée dans Le Vif/L’Express du 11 janvier, sont extraites de Visages de l’écrit. Photographies et manuscrits de 50 écrivains belges francophones, de Pierre Houcmant, à paraître en février, à La Renaissance du Livre.

Ghislain Cotton

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