Le marché de l’art est-il plus fort que la crise ?

L’art est-il une valeur refuge où placer son argent? Nos pistes pour investir malin.

Profitant, ces dernières années, d’une croissance constante, le marché de l’art affichait, il y a quelques mois encore, une santé insolente : la cote de certains artistes contemporains doublait, voire quadruplait, les enchères millionnaires se multipliaient et dans ce climat plus que favorable… les records pleuvaient ! Rappelons que 2007 – année mémorable – vit partir pour 23 millions de dollars un c£ur rouge de 3 mètres de hauteur de l’artiste américain Jeff Koons ( Hanging Heart), une première pour un artiste vivant ! A peine remis de nos émotions, c’était au tour de Roman Abramovitch de diversifier son patrimoine. Propriétaire du Chelsea Football Club, l’oligarque russe – dont on ignorait jusqu’alors la passion pour l’art – débarque aux ventes de mai de New York et s’offre pour la bagatelle de 120 millions de doll’art (sic) un triptyque de Francis Bacon (86 millions de dollars) et un nu de Lucian Freud (34 millions de dollars). Cette dernière transaction ne passera pas inaperçue : elle propulse le petit-fils du célèbre psychanalyste à la place d’artiste vivant le plus cher du monde, reléguant Jeff Koons et son c£ur inoxydable à la deuxième place. Les commissaires-priseurs se félicitent alors des résultats d’adjudications et se réjouissent de l’arrivée, dans le marché de l’art, d’une nouvelle vague de nouveaux riches émanant de pays à forte croissance économique : la Chine, la Russie et l’Inde. Les prix flambent, l’heure est à l’euphorie !

Début 2008, malgré les premiers signes de morosité financière, la plupart des professionnels de l’art restent confiants. Les plus optimistes prédisent d’importants mouvements de report des investissements boursiers sur l’art, tandis que d’autres -tout aussi sereins – clament haut et fort que le marché des valeurs artistiques ne peut être entaché par la crise puisqu’il vise une clientèle hyperfortunée épargnée des soucis financiers.

La crise remet les pendules à l’heure !

En réalité, la situation est sans aucun doute moins rose que ce que les marchands s’obstinent à prétendre. A partir de septembre 2008, les premières marques d’inquiétude se font sentir. Même si de grosses transactions – attendues – ont continué jusqu’à la fin de l’année, la crise est bel et bien présente : un état dépressif s’installe, avec pour symptômes des acheteurs assagis ou carrément frileux qui tardent à faire affaire, des intentions d’achats plus modérées, des transactions de plus en plus laborieuses, des galeries et salles de vente contraintes d’abaisser leurs prix et estimations, certaines allant jusqu’à réaliser des  » arrière-ventes  » (lots qui partent à plus bas prix, de gré à gré, juste après les enchères). Et quand ce ne sont pas les prix qui s’effondrent, ce sont les stocks d’invendus qui augmentent. Soulignons à ce propos que lors des fameuses ventes d’£uvres impressionnistes et modernes de Christie’s, en novembre dernier, seulement 56 % des lots proposés avaient trouvé acquéreur. Ajoutez à cettesituation déroutante que, parmi les £uvres vendues, nombreuses sont celles qui ont été adjugées à leur estimation la plus basse, voire en dessous, comme cette sculpture de Giacometti, Trois hommes qui marchent, abandonnée pour 11,5 millions de dollars alors que l’estimation basse était de 14 millions !

L’aubaine pour assainir le marché

La crise financière pèse donc indéniablement – et forcément ! – sur le marché de l’art. Mais tous les secteurs ne souffrent pas à l’identique. Le plus sévèrement touché est celui de l’art contemporain. Et pour cause… Selon les statistiques présentées par le site spécialisé Artprice, ce segment avait enregistré une hausse aussi spectaculaire que malsaine de 108 % depuis 2003. Certains artistes, à l’ascension fulgurante, avaient littéralement vu leur cote décoller. Parmi ces plasticiens dont les prix flambent de manière inconsidérée, remarquons la vente de Ballon Flower (Magenta) de Jeff Koons – le 30 juin 2008 – pour 14,5 millions d’euros, une pièce de la collection de Howard et Cindy Rachofsky qui aurait été acquise sept années plus tôt pour moins de 900 000 euros.

Cette période frénétique atteignait le faîte de sa perversion en septembre 2008. Après avoir marqué le marché de l’art en  » offrant  » pour quelque 100 millions de dollars, For the Love of God (un crâne incrusté de diamants), Damien Hirst (artiste britannique de 43 ans) récidive en organisant une vente exclusive de 200 de ses £uvres – toutes fraîches – chez Sotheby’s. Un tour de force couronné de succès : cette criée inédite totalise 200 millions de dollars !

Malgré leur incontestable reconnaissance internationale, ce sont ces icônes de la production contemporaine promues trop jeunes au rang de stars du marché qui  » souffrent  » aujourd’hui le plus de la crise. En effet, fin 2008, Artprice chiffrait la dégringolade de l’art contemporain et d’après-guerre à – 36 % par rapport à décembre 2007. La bulle spéculative aurait-elle explosé ? Sans doute… Et ce n’est là qu’un juste retour des choses. A trop vouloir spéculer sur des valeurs dont les fondements ne sont pas solidifiés, les risques sont grands de voir un jour la valeur de l’artiste s’effondrer. En réalité, les prix – souvent exagérément surévalués – ne reposent pas sur la valeur intrinsèque des produits mais bien sur la qualité et la solidité du réseau dans lequel ces £uvres s’intègrent. A la moindre perte de confiance, la valeur s’écroule, sans le moindre état d’âme. Circonstance aggravante : ces plasticiens, dépourvus du recul suffisant mais enthousiasmés par leurs propres exploits commerciaux, cèdent à la facilité (tentante) en exploitant le filon lucratif, au détriment du travail créatif.

A l’inverse, le secteur qui semble tirer au mieux son épingle du jeu est celui de l’art moderne. Ce segment, qui a vu croître ses valeurs de manière continue et sans exagération soudaine, ne subit guère les conséquences de la morosité économique. Ces £uvres ont passé avec succès l’épreuve du temps et leur qualité s’est vérifiée année après année.

Avec ce réajustement salutaire des prix et ces estimations revues à la baisse, on pourrait se poser une question bien légitime :  » Le temps serait-il aux bonnes affaires ?  » On observera certainement des occasions profitables mais, en période de turbulences financières, la prudence et le discernement sont plus que jamais de rigueur.

L’art, une valeur refuge ? Oui, dans certains cas…

Les plus optimistes proclament à grands cris que l’art est plus que jamais une valeur refuge. Mais cette affirmation, qui en arrange plus d’un, doit être prise avec la plus grande précaution. En art, il existe deux types de placement : les investissements défensifs et les investissements spéculatifs. Ces derniers pointent l’art contemporain, offrant les plus beaux retours sur investissements avec cependant un risque élevé. Compte tenu de la chute des prix évoquée, il est impossible de savoir si un artiste bien coté aujourd’hui le sera encore dans vingt ou trente ans.

De leur côté, les placements défensifs concernent l’achat d’art ancien ou d’artistes entrés dans l’histoire de l’art. Naturellement, quand il s’agit de bonnes pièces des ténors de l’art moderne – ces grands maîtres nés entre 1860 et 1920, tels Renoir, Monet ou encore Picasso – les prix cognent ! En effet, ces £uvres d’envergure muséale conserveront leur valeur envers et contre toutes les crises.

Gwennaëlle Gribaumont

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