Le Lou est dans la place

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Compositeur et chanteur finalement reconnu de ça plane pour moi, bizuteur musical au sein de Two Man Sound, homme-orchestre, initiateur des carrières de Plastic Bertrand et de Viktor Lazlo, Lou Deprijck est un personnage d’un belge surréalisme.

Milieu des années 1980. Il est 14 heures et la porte de rue est grande ouverte. On sonne, sans réponse. Appréhensif, on s’apprête à découvrir un possible cadavre de pop-star à la rubrique des soirées fatales. On crie au Lou, au Lou Deprijck (1). Après quelques minutes muettes, on découvre le producteur de ça plane pour moi écroulé dans le lit de sa mezzanine : difficile de ne pas remarquer au mur les dizaines de polaroids de fesses féminines. Les conquêtes . Difficile aussi de ne pas conclure à la couleur de la nuit de l’artiste : blanche.  » Lou a toujours été un flambeur-frimeur, un noceur qui payait des pots à tout le monde. Comme il a toujours été un cavaleur-coureur.  » La parole est d’Annie, ex-compagne et mère de leur fille commune Zoé, aujourd’hui gestionnaire du business de papa.

A 17 ans (en 1963), le jeune Deprijck quitte le café familial tenu par maman sur la Grand-Place de Lessines pour les lumières prometteuses de Bruxelles. C’est là son truc : vouer un culte à la musique, en absorber ses influences et styles multiples. Lou le polyvalent travaille d’emblée entre cartoon popu et fresque zinzin. Avec un amour, jamais démenti, pour la série B. Son premier disque s’appelle Je suis pop et complètement dingue. Un flop complet sur EMI en 1969…  » On cassait tout en scène ! J’avais épargné un mois et demi pour m’acheter un nouveau micro Shure que j’avais l’habitude de lancer sur le bassiste de mon groupe, qui le rattrapait. Enfin, qui était supposé le faire puisque le micro est allé s’écraser sur le mur. J’en aurais été malade.  »

Lou est un garçon pragmatique : la journée, il travaille à la RTT, la nuit, il bourlingue. Son premier gros coup, c’est Two Man Sound, un orchestre latino formé avec Sylvain Vanholme, ancien du Wallace Collection, rencontré au service militaire.  » En 1975, on a fait Charlie Brown, une adaptation du Brésilien Benito di Paula, et on en a vendu un million d’exemplaires !  » Le costard tropical est doublé d’or : tournées à répétition en Amérique latine, carton au Mexique qui s’arrache un million quatre cent mille exemplaires de l’album Disco-Samba… Lou s’achète son rêve de gosse – une Cadillac blanche – et pendant un moment encore la conduit quotidiennement vers les bureaux de la RTT.

Pendant dix ans, il est producteur maison chez RKM, la boîte de Roland Kluger pour laquelle il enregistre plusieurs dizaines d’albums en tout genre dans un studio de l’avenue Molière, à Bruxelles. Parmi ceux-ci : les débuts de Plastic Bertrand. Gilles Verlant a commencé à travailler à Canal + grâce à Lou (un copain d’Antoine de Caunes), il explique :  » J’avais fait un reportage pour Tempo de la RTBF : dans la même émission, il y avait une interview de Bert Bertrand habillé d’un sac plastique (2) et d’un certain Roger Jouret, batteur d’Hubble Bubble. Il était très arrogant, très star… Lou a additionné les deux séquences et Plastic Bertrand est né.  »

Le succès, fulgurant, enrichit durablement le compositeur de la chanson, Lou, et l’auteur du texte, Yvan  » Pipou  » Lacomblez, percussionniste-amuseur de Two Man Sound. Deprijck se révèle en pygmalion, pour ne pas dire en radin : les 0,5 % de royalties filées à Roger Plastic Jouret resteront dans la gorge du faux punk le plus célèbre du monde. Lou aime mettre en scène : quand il découvre la métisse franco-caraïbe Sonia Donier, il la rebaptise du nom d’un personnage de Casablanca, Viktor Lazlo. Et lui fait enregistrer un premier album de retro-jazz langoureux puis un succès adapté de Julie London, Pleurer des rivières. Pour elle, il rêve de grands soirs. En 1985, il nous disait :  » J’aimerais qu’elle soit plus distante, plus star. On est en négociation avec de grands couturiers pour qu’ils nous refilent des robes à l’£il, comme celle de Thierry Mugler, tout en lamé or, qui vaut 1 million de francs.  » Fantasme de gamin de milieu populaire qui sent la possibilité de décrocher les étoiles.

Imbroglios judiciaires

C’est le cas dans les années 1970-1980 où Deprijck tente tous les mélanges : la variété archi-populaire (Lou & The Hollywood Bananas), l’expérimentation (l’album Collures avec le parolier Boris Bergman), la présentation tv (avec de Caunes sur Canal +). Toujours en menant une vie de dilettante, de préférence nocturne, qui mélange sorties alcoolisées – Arno est un copain -, consommation de films érotiques, petites pépées et grandes affaires qui font rythmer succès et excès. Vieux refrain. Après une chute sévère à Cuba qui lui vaut une année de récupération, Lou s’est durablement installé en Thaïlande, pas loin de Pattaya. Il y a recommencé ses pérégrinations musicales, trouvant le moyen de faire fructifier la série B via des Thai Bananas et autre version sia-moise de ça plane pour moi.

Quels que soient les actuels imbroglios judiciaires, on tient de témoins de première main – notamment de l’ingé son de la session, Phil Delire – que c’est bien Lou qui chante sur l’original de ça plane pour moi. Verlant :  » Lou a un côté roublard, ce n’est pas insultant de le dire, mais je ne crois pas qu’il ait jamais fait quelque chose de délibérément malhonnête .  » Son ex-femme Annie, qui lui rendra bientôt visite dans la  » jolie maison  » qu’il occupe à l’écart de l' » horrible cité balnéaire de Pattaya où on ne trouve que des Occidentaux venus chercher des filles « , trouve que Lou ne s’est pas calmé, même si son foie réclame une trêve :  » Il aime toujours la bonne chère, les bons cigares, Lou est un épicurien.  » CQFD…

(1) Alias Deprijcke ou Depryck.

(2) Bert Bertrand, talentueux journaliste rock, fils d’Yvan Delporte, s’est suicidé à New York en 1983.

PHILIPPE CORNET

 » il a toujours été un flambeurfrimeur, un cavaleur-coureur « 

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