Le jeu de la Dame de fer

Tzipi Livni, ministre des Affaires étrangères de l’Etat juif, était donnée favorite pour succéder à Ehud Olmert. Son caractère trempé et sa formation au sein des services de renseignement pourraient faire d’elle une protagoniste redoutable.

C’est son mari, le publicitaire Naftali Spitzer, qui le premier l’a vue venir. Un soir de 1996, il apostrophe en ces termes sa vieille belle-mère, hostile à l’intention tout juste dévoilée par Tzipi Livni de descendre dans l’arène politique :  » Vous ne connaissez pas votre fille ! Elle sera la nouvelle Golda.  » Tzipi, l’autre Dame de fer d’Israël ? Premier ministre, comme le fut Golda Meir ? Celle dont David Ben Gourion, le fondateur de l’Etat, dit un jour qu’elle était  » le seul homme du gouvernement  » ? Cette prophétie n’est pas loin de se réaliser. Grande favorite des primaires de son parti, Kadima, programmées le 17 septembre, l’austère ministre des Affaires étrangères d’Israël semblait bien placée, en milieu de semaine, pour former un cabinet appelé à suppléer celui d’Ehud Olmert, Premier ministre sortant à l’assise sapée par une avalanche de scandales financiers. Un couronnement logique pour cette jeune quinquagénaire dont l’histoire familiale se confond avec celle de l’Etat juif.

Décédé en 1991, son père, Eitan, fut l’un des chefs de l’Irgoun Zvai Leumi, milice sioniste d’extrême droite connue pour ses attentats meurtriers qui, au temps de la guerre d’indépendance, prenaient pour cibles la puissance mandataire britannique comme les civils arabes. Sa mère, Sarah, n’était pas moins exaltée. Membre, elle aussi, de l’Irgoun, elle participa, déguisée en femme enceinte, à l’attaque d’un train qui convoyait la solde de militaires de Sa Gracieuse Majesté. Arrêtés pour subversion, les deux combattants parvinrent chacun de son côté à s’évader, avant de forger, dès 1948, au lendemain de la proclamation de l’Etat, le premier couple marié de l’histoire d’Israël.

Les récits de ces coups de main bercent la jeunesse de Livni. C’est Menahem Begin en personne qui les lui raconte. Ami de ses parents, l’ancien leader de l’Irgoun et futur Premier ministre d’Israël habite non loin de chez elle, dans un quartier populaire de Tel-Aviv. L’autre icône de la famille est Zeev Jabotinsky, théoricien du révisionnisme sioniste et père spirituel de la droite israélienne, qui professe qu’Eretz Israël, de la mer au Jourdain, appartient de droit divin au peuple juif. A la table du dîner, l’ambiance est martiale. Avare en démonstrations d’affection, adepte du ceinturon si besoin, le père rumine son dégoût pour l’élite travailliste qui monopolise le pouvoir depuis 1948. Dans le lexique familial,  » compromis  » passe pour un gros mot, apanage des lâches et des pacifistes. Chaque 1er Mai, la jeune Tzipi s’échine à arracher les bannières rouges accrochées dans les rues de Tel-Aviv pour les remplacer par le drapeau frappé de l’étoile de David. Un rien garçon manqué, elle brille aussi dans les équipes de foot et de basket du quartier.

 » Renoncer à une partie de la terre « , pour la démocratie

Ce parcours sans faute se poursuit à l’armée, où son sang-froid et son nationalisme intransigeant attirent l’attention des recruteurs du Mossad, la centrale israélienne du renseignement. Livni y passe quatre années, dont on ne sait rien sinon qu’elle servit un temps à Paris. De retour en Israël, le rejeton des têtes brûlées de l’Irgoun suit des études de droit et ouvre un cabinet d’avocats, avant de succomber aux sirènes de la politique et de s’engager, comme papa, dans les rangs du Likoud (droite nationaliste). Très vite, Livni l’ambitieuse grimpe dans la hiérarchie du parti, entre au gouvernement et s’empare en 2005 de son premier portefeuille majeur, la Justice. A la faveur du retrait de Gaza, auquel elle se rallie par réalisme, elle se rapproche d’Ariel Sharon, chef du gouvernement de l’époque.

Quand le vieux général quitte le Likoud pour créer Kadima, elle le suit, au point de participer à l’élaboration de la plate-forme du nouveau parti. Exit le dogme d’Eretz Israël. La pasionaria assagie opte pour la formule :  » Deux Etats pour deux peuples « . Elle a compris que le maintien de l’identité  » juive et démocratique  » d’Israël est incompatible avec la poursuite de l’occupation.  » A choisir entre mes rêves et mon besoin de vivre dans une démocratie, je préfère renoncer à une partie de la terre « , déclare-t-elle en 2006 dans les colonnes du New York Times. Dans le milieu médiatique israélien, acquis au centre gauche, ce revirement plaît beaucoup :  » Livni est devenue une colombe sécuritaire, souligne Yossi Alpher, un analyste politique proche du mouvement pacifiste La Paix maintenant. Elle est talentueuse, elle a le soutien de l’opinion et maîtrise les dynamiques géostratégiques en place. En clair, elle ferait un excellent Premier ministre. « 

Au ministère des Affaires étrangères, dont elle prend la direction au printemps 2006, Tzipi se taille une réputation de bosseuse un tantinet hautaine, toujours droite comme une règle dans ses pantalons de tailleur crème. Ses collaborateurs ne lui connaissent que deux fantaisies : une dépendance au chocolat, dont ses tiroirs regorgent, et une passion pour la batterie et la musique rock des années 1960.  » Elle ne fait pas semblant, confie un proche. Avec elle, c’est toujours à prendre ou à laisser. Ce manque de sophistication plaît au public. Mais comme Premier ministre, cela pourrait lui jouer des tours.  » Son homologue français, Bernard Kouchner, partage sûrement cet avis. Un soir où ils dînent ensemble à Paris, Livni monopolise tellement la parole que l’ex-French doctor doit la prier d’attaquer enfin son plat afin de pouvoir s’exprimer à son tourà

Sa carapace lui permettra-t-elle de transgresser, sur le front arabe, les tabous d’Israël ? Les négociateurs palestiniens, qui la fréquentent depuis la tentative de relance du processus de paix, en novembre 2007, restent sceptiques :  » Au lieu de discuter à partir du droit international et des frontières de 1967, détaille l’un d’eux, Livni persiste à s’appuyer sur les faits accomplis sur le terrain. Elle affirme que les juifs ont un titre de propriété sur Eretz Israël et qu’il ne s’agit pas de nous rendre les Territoires, mais juste de nous en céder.  » Akiva Eldar, journaliste au quotidien Haaretz et vétéran des coulisses politiques israéliennes, n’est pas plus optimiste.  » C’est une personnalité schizophrène. Elle n’est plus à droite, mais elle n’est pas pour autant à gauche. Et elle incarne à la perfection le dilemme de la majorité de ses compatriotes, qui savent qu’Israël doit se retirer des Territoires pour rester Israël, mais qui, par ailleurs, restent incapables de comprendre les lignes rouges des Palestiniens.  » Un peu comme si Tzipi n’avait jamais renié l’héritage d’un père dont le portrait trône dans son bureau.

Benjamin Barthe

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