C’est une figure marquante et controversée de la vie politique belge qui va se retirer, discrètement. Ce qui n’est pas dans ses habitudes. José Happart, 62 ans, va prendre une retraite anticipée et, amer, ne plus faire parler de lui ? Difficile à croire. Portrait.
Dernier suppléant pour les régionales à Liège, il ne peut mathématiquement être élu. » Mais on peut devenir ministre sans être élu « , dit perfidement le président du parlement wallon, faisant ainsi allusion à cette pratique qui consiste à surprendre l’opinion publique en nommant dans des gouvernements des personnes qui ne se sont jamais frottées à l’élection.
Ce n’est pourtant pas comme ministre qu’il a connu son heure de gloire, mais comme élu de la liste francophone Retour à Liège dans la commune de Fourons, rattachée depuis 1963 à la province flamande de Limbourg alors qu’elle est enclavée en province de Liège. L’agriculteur et syndicaliste agricole réalise en 1982 le plus grand nombre de voix de préférence et est proposé comme bourgmestre. Sa nomination est cassée à de multiples reprises, mais, chaque fois, il se retrouve premier échevin, faisant fonction de bourgmestre. Deux gouvernements tomberont sur ce carrousel fouronnais.
Les balades flamingantes
Pour les Flamands, le hérisson (du nom du groupe d’action créé en 1977 pour soutenir l’implantation d’une école francophone à Fourons) était devenu, depuis des années, l’ennemi n°1, tandis que les violentes incursions de militants du TAK (Taal Aktie Komitee) ou du VMO (Vlaamse Militanten Orde) faisaient de José Happart la tête de file du Mouvement wallon. Sa popularité est au sommet quand, début 1989, il cède la place de bourgmestre à Nico Droeven, et se contente du poste de premier échevin.
C’est qu’entre-temps (1984) il est devenu député européen, élu comme indépendant (234996 voix) sur la liste PS, un parti qu’il intégrera trois mois plus tard, » récupéré » par Guy Spitaels. Il est réélu en 1989 (308117 voix) et en 1994 (265376 voix). Il se fait remarquer à l’Europe par ses interventions sur l’agriculture et sur les régions. En 1986, il créé le mouvement Wallonie Région d’Europe.
En 1999, il est élu sénateur, se domicilie à Liège, et devient ministre wallon de l’Agriculture. Cinq ans plus tard, tête de liste aux régionales à Liège, une consécration, il réalise le meilleur score (29514 voix). Il succède à un autre régionaliste, Robert Collignon, au perchoir du parlement wallon. Il est conseiller communal à Liège depuis les dernières communales, en 2006.
José Happart est aussi une des personnes les plus controversées de la politique belge, qui a usé, et abusé, de sa popularité dans un rapport de force souvent tendu avec le PS qui a cédé, sous Spitaels ou Busquin. Les choses ont été moins claires avec Di Rupo, qui n’en a plus voulu comme ministre, qui n’en veut pas pour tête de liste à Liège, mais qui avait placé, en 2007, l’encombrant frère jumeau Jean-Marie à la 5e place sur la liste du Sénat, où il n’a pas été élu.
Abattre André Cools
Au long de sa carrière, José Happart s’est attiré de solides inimitiés. A commencer par celle d’André Cools, qui s’était opposé à Guy Spitaels sur la place, démesurée selon lui, accordée à José Happart. Celui-ci a reconnu, ainsi qu’il l’a précisé lors du procès des assassins du maître de Flémalle, qu’il avait voulu abattre Cools… sur le plan politique. Au cours du procès a également été évoquée sa présence, le 18 juillet 1991, jour du meurtre, à la gare des Guillemins, guère éloignée de la scène du crime. Il devait participer à une réunion européenne à Bruxelles, a-t-il expliqué.
L’inimitié d’André Cools remonterait aux élections de 1985 : » J’avais fait plus de voix comme dernier suppléant que lui qui était tête de liste « , dit Happart.
Les casseroles
On a aussi reproché au Fouronnais de vieux faits de braconnage, remontant aux années 1970 (en 2002, Happart, devenu ministre, créera une unité antibraconnage), ou d’avoir eu un accident de voiture alors qu’il présentait une alcoolémie de 0,78 gramme, ou encore d’user de son influence dans divers dossiers. Et enfin ce voyage pascal aux Etats-Unis avec des membres du parlement wallon qu’il préside.
Il faut dire qu’il a l’art, aussi, de brusquer ses contradicteurs, de rechercher la confrontation, de faire la mauvaise tête obstinée et de mauvaise foi, de se donner l’apparence d’un ours mal léché grommelant, de rouler en 4X4 quand c’est devenu médiatiquement incorrect, de jouer les machos, de mener sans s’en cacher belle et bonne vie… L’art aussi de ruer dans les brancards de sa formation politique, de critiquer cette façon de » faire de la politique en réaction à la rue « , de regretter, concernant ce fameux voyage pascal aux Etats-Unis, que son président, feignant de découvrir les choses et s’alignant sur la position des autres partis en désavouant les siens, ait cédé » à la pression et à l’air du temps « . Et ne pas supporter que » ce mec qui a réussi à rassembler à peine 20 personnes à l’aéroport, qui s’exprime au nom d’un comité de vigilance pour la démocratie qui n’engage que lui, ait été invité au JT de RTL « . Et demander, démago-populiste, pourquoi on n’exige pas des Lippens et Davignon qu’ils remboursent l’argent disparu de Fortis, pourquoi on ne saisit pas leurs biens, à eux qui ont forcé l’Etat à s’endetter et à » compromettre l’avenir de nos enfants « .
Le contraire, en somme, de l’image de l’homme politique lisse telle qu’elle a cours aujourd’hui. » On ne va plus mettre, dit-il, que des députés bien obéissants, qui n’oseront pas se permettre le luxe de désobéir. Moi, ce sont les électeurs qui assurent mon indépendance. «
MICHEL DELWICHE