La cession d’Opel par General Motors est le dernier épisode d’une vaste recomposition. Alors que le Salon de Francfort ouvre ses portes, cette industrie n’a pas fini de se concentrer sous l’effet de la crise et des bouleversements technologiques.
Les frères Opel n’avaient sûrement pas imaginé qu’un siècle après avoir cédé leur entreprise au géant américain General Motors (GM) elle finirait dans le giron d’une banque publique russe alliée à un équipementier canadien. Le suspense sur l’avenir du deuxième constructeur allemand et de ses 50 000 salariés (dont la moitié en Allemagne) a pris fin la semaine dernière. Après de longs atermoiements, le groupe américain a finalement renoncé à conserver le contrôle de sa filiale européenne et confié son destin au tandem Magna/Sberbank.
Le changement de propriétaire de la marque à l’éclair constitue l’un des ultimes soubresauts du séisme qui secoue l’industrie automobile mondiale depuis deux ans. Les professionnels réunis ces jours-ci au Salon de Francfort le savent bien : ils sont encore dans le shaker de la crise. Malgré les déclarations optimistes du PDG de Renault-Nissan, Carlos Ghosn, peu d’entre eux se risquent à établir un pronostic. La visibilité sur l’avenir demeure trop médiocre et, depuis plusieurs mois, bonnes et mauvaises nouvelles se succèdent : 40 000 salariés mis au chômage partiel chez Mercedes, alliance PSA-Mitsubishi dans les véhicules électriques, fermeture d’une usine Toyota en Californie (une première dans l’histoire du constructeur japonais), suivie de rumeurs non démenties sur la réduction de 10 % de son outil industriel, offre de financement du chinois BAIC pour la reprise du suédois Saabà Une litanie qui, en filigrane, laisse entrevoir les bouleversements à l’£uvre dans un secteur violemment frappé par la crise financière.
40 milliards d’euros de pertes en un an
Faillites retentissantes, disparition de marques centenaires, licenciements, chômage technique, valse de dirigeants, la situation s’est dégradée dès le début de l’année 2008, puis a viré au cauchemar avec la hausse vertigineuse des prix du pétrole au cours de l’été. La chute de Lehman Brothers, à la rentrée, a enfoncé le clou. Impossible, dès lors, pour les éventuels acquéreurs de véhicules de contracter un crédit. Or les deux tiers des achats de voitures sont réalisés grâce à un emprunt. A la fin de 2008, les dégâts se sont fait sentir dans les comptes. En un an, les 15 premiers groupes mondiaux ont cumulé plus de 40 milliards d’euros de pertes. Même le leader mondial, Toyota, dont la solidité semblait à toute épreuve, a clos l’exercice avec 3,3 milliards d’euros de déficit.
La chute brutale des ventes mondiales depuis 2007 n’a épargné aucun constructeur, même si certains, comme Volkswagen, sont parvenus à ne pas passer dans le rouge. Tous ont revu leurs » programmes produits » à la baisse, mis leurs salariés au chômage partiel, réduit leur cadence de production. Aujourd’hui encore, ils restent traumatisés par l’inimaginable capilotade des » Big Three » et par la formidable redistribution des cartes en cours, avec son lot de » surprises « . L’indien Tata, par exemple, a racheté à Ford les ex-fleurons de la couronne britannique, Land Rover et Jaguar. Fiat, donné moribond voilà quelques années, a sauvé Chrysler du désastre et récupéré 20 % du capital en échange de transferts de technologies. Porsche encore, qui s’apprêtait à prendre le contrôle de Volkswagen, va finalement être avalé par le constructeur de Wolfsburg, croulant sous une dette de 9 milliards d’euros.
Mais, au-delà de cette poignée d’opérations, la partie de Monopoly prophétisée par certains en début de crise n’a pas réellement commencé. Pourquoi ? C’est que bon nombre d’Etats, inquiets à la perspective de banqueroutes, avec leurs cohortes de licenciements, sont venus à la rescousse d’une filière qui pèse 60 millions d’emplois dans le monde. Ainsi, en France, 6 milliards de prêts ont été consentis à Renault et à Peugeot-Citroën. La prime à la casse de 1 000 euros, instaurée en décembre 2008, a amorti le choc. De nombreux pays, d’ailleurs, ont imité l’initiative française. Selon Euler Hermes Sfac, près de 20 % des ventes en France sont liées à ce dispositif en 2009. » Les Etats ont placé le secteur sous perfusion. Or cette crise devrait permettre d’éliminer certains acteurs mal en point depuis des années, comme Saab « , estime un analyste financier à la Deutsche Bank. » Les gouvernements ne veulent pas entendre parler de fermetures. Chacun sait, pourtant, qu’il y a trop de constructeurs, trop de marques et surtout trop d’usines « , renchérit Rémi Cornubert, consultant chez Oliver Wyman. D’aucuns s’interrogent, ainsi, sur la capacité de General Motors à se redresser. Sauvé in extremis grâce aux 60 milliards de dollars injectés par l’Etat, l’ex-n° 1 mondial doit subir de profonds changements pour repartir de l’avant, malgré des coûts horaires encore bien supérieurs à ceux de ses concurrents et des modèles mal adaptés aux desiderata des consommateurs (des voitures moins chères et moins énergivores), et qui doivent répondre aux nouvelles normes écologiques imposées par Barack Obama.
Mais, si la visibilité demeure réduite et l’année 2010 compromise, la plupart des acteurs semblent d’ores et déjà avoir tiré deux leçons de la crise : la nécessité de proposer une alternative au véhicule à essence pour préparer l’après-pétrole, et la montée en puissance des pays émergents, notamment des Bric (Brésil, Russie, Inde, Chine). » L’électrique, c’est une bombe ! » déclare Carlos Ghosn, qui mise gros sur les quatre modèles que Renault présente à Francfort. Mythe ou réalité, le panurgisme sévit et les constructeurs rivalisent d’annonces sur l’électrique, y compris les plus sceptiques comme PSA, qui vient de dévoiler la Peugeot iOn, modèle 100 % électrique lancé avec le japonais Mitsubishi Motors.
La Chine constitue un gisement de croissance
Tous doivent également tenir compte du déplacement du centre de gravité du marché automobile vers l’Asie (voir l’infographie ci-dessous). Nouveau n° 1 depuis le premier semestre 2009, devant les Etats-Unis, la Chine constitue un gisement de croissance sur lequel l’ensemble des constructeurs fondent de grands espoirs. » La Chine est déjà le premier débouché de Volkswagen et le premier marché de Rolls-Royce ou de la Mercedes 500 « , observe Jacques Radé, consultant chez Roland Berger. » On pourrait même imaginer que ce soit l’un des premiers pays à basculer dans l’électrique tant le gouvernement chinois semble vouloir faire figure de bon élève sur les questions environnementales. » En attendant, les constructeurs de l’empire du Milieu profitent de la crise pour faire leurs emplettes et renforcer leurs positions. BAIC est ainsi venu apporter de l’argent frais au constructeur de voitures de course Koenigsegg, le repreneur potentiel de Saab. Geely Automobile lorgne Volvo, et s’apprête à faire une offre pour racheter la marque à Ford, tandis que le groupe Tengzhong est en négociation pour reprendre Hummer à GM.
Au-delà, d’autres évolutions profondes se dessinent. » Pour la première fois depuis des décennies, on a observé une baisse de la consommation de l’essence, due à la hausse du pétrole à l’été 2008 « , remarque Jacques Radé. Les consommateurs ne semblent plus prêts à mettre autant d’argent dans leurs voitures. Une tendance qui pourrait durer après la crise. Revoir les gammes et les coûts ne suffira donc probablement pas à amortir la baisse mondiale des volumes, prévue par les spécialistes. D’autres fusions sont dans les tuyaux. » Pour l’instant, tout le monde discute avec tout le monde « , raconte un constructeur. La fin du rêve américain n’a visiblement pas tué l’adage » Big is beautiful « .
Libie Cousteau