Depuis cinq ans, Ozark Henry est complètement immergé dans la technologie. © DR

Le grand bain

Depuis quelques années, Ozark Henry s’est pris de passion pour le son immersif, diffusé en 3D. Format du futur ou impasse technologique ? Explications avec l’intéressé, avant son nouvel album et son showcase à Bozar, à Bruxelles, le 5 novembre.

Perdu dans les polders, le studio d’Ozark Henry borde un canal tranquille, arpenté par les cyclos, du côté d’Oostduinkerke. La mer se trouve à quelques kilomètres à peine. Le calme règne. Mieux : le silence. Piet Goddaer, de son vrai nom, reçoit à la coule, pieds nus, kimono de soie sur pantalon blanc. L’antre du musicien est très loin des clichés du studio-grotte dans lequel s’enferment les groupes habituellement. Ici, les murs blancs et la grande verrière assurent un maximum de luminosité. Une paire de vélos de course est posée dans un coin. Sur une étagère, quelques pochettes d’album, témoins d’une discographie studio qui en recense officiellement neuf (on ne compte pas les BO), depuis le premier I’m Seeking Something That Already Has Found Me, en 1996. La boîte d’un costume Ann Demeulemeester est prête. Posée par terre, une valise attend par contre d’être bouclée : après Milan et avant Tokyo, Ozark Henry doit se rendre à Paris. Parrainé par une marque de champagne de luxe, il y présentera sa musique inspirée  » par la création de la dernière cuvée  » de la prestigieuse maison en question. Avec ce petit plus : les morceaux seront diffusés en… trois dimensions.

Aujourd’hui, Ozark Henry pense directement sa musique en 3D.

La 3D, c’est le dernier dada d’Ozark Henry. Une réelle obsession.  » Pour moi, c’est le format le plus naturel. Dans la vie de tous les jours, on est tout le temps immergé dans le son. C’est pour cela que je préfère parler de son immersif. Même si le terme est devenu un peu trop à la mode… Il est utilisé à tort et à travers pour des choses qui n’ont parfois rien à voir. Dans la plupart des cas, il est juste question de son surround, ce qui est très différent de l’immersif.  » Qu’est-ce qui distingue exactement les deux ?  » C’est très simple : dans le son surround, il n’y a pas de « hauteur ». Dans une expérience 3D, on a besoin non seulement de la longueur et de la profondeur, mais aussi de la hauteur. C’est une véritable architecture.  » Une  » charpente  » que l’ouïe analyse en détail :  » Nos oreilles scannent et interprètent l’environnement en permanence. En ce sens, elles sont notre mécanisme de défense le plus développé. Si elles repèrent un son étrange ou un silence qui n’est pas à sa « place » habituelle, elles vont immédiatement alerter tous les autres sens. Dans cette analyse, la hauteur du son, sa réflexion, est fondamentale. Quand on rentre dans une église, par exemple, on entend directement la « hauteur » du lieu…  »

Une palette plus large

Cela fait maintenant cinq ans que Ozark Henry a plongé à corps perdu dans la technologie. Tout commence lorsqu’il a l’opportunité de revisiter son répertoire sur scène avec l’Orchestre national de Belgique. Fils de compositeur classique (Norbert Goddaer), Ozark Henry est comme un poisson dans l’eau.  » Ce fut pas mal de boulot pour trouver les bons arrangements, qui respectent toutes les qualités de l’orchestre. A la fin des représentations, je me suis dit que c’était même dommage d’avoir fait tout ce travail juste pour quelques soirées.  » L’idée est alors de graver ces nouvelles versions symphoniques sur un album. Le chanteur hésite malgré tout.  » J’avais l’impression qu’on n’allait jamais pouvoir reproduire la richesse musicale du projet, que le cadre offert par le format CD était trop limité.  » Pourquoi pas passer par la technologie surround ? lui glisse-t-on alors.  » Je traînais un peu les pieds. Pour moi, cela reste avant tout un effet, et pas un son en soi. Cela étant dit, je devais bien admettre que le surround permettait d’élargir la palette. J’ai commencé alors à lire et creuser davantage le sujet.  » Publié en 2015, l’album Paramount est disponible en dolby 9.1, format pratiqué habituellement dans les salles de cinéma. Une première pour un artiste belge.  » Bien sûr, le son avait en lui-même une qualité exceptionnelle. Mais plus encore, il avait une « direction ». Tout à coup, il prenait du volume, il devenait un espace en soi !  »

Quand il effectue le mastering dans les studios Wisseloord, aux Pays-Bas, Ozark Henry croise Kevin Killen, producteur-ingénieur du son notamment pour David Bowie et Peter Gabriel.  » Il m’a demandé de pouvoir jeter une oreille au résultat final. Il a trouvé ça génial, il n’avait jamais entendu quelque chose de pareil. Du coup, il m’a proposé d’aller présenter ce travail à New York, à la convention annuelle de l’AES.  » Soit l’Audio Engineering Society, qui rassemble plusieurs milliers de membres, ingénieurs et autres scientifiques, obnubilés par le son et sa reproduction. Sur place, l’artiste rencontre notamment Paul Geluso, professeur, ingénieur et producteur, qui fait autorité dans les recherches sur le son immersif.  » Je découvrais tout à coup tout un nouveau monde. Je me suis retrouvé invité un peu partout pour participer ou découvrir les derniers avancements en la matière.  » Y compris, par exemple, chez Google, où il viendra expliquer sa méthode de travail…  » A force, je me suis forgé une certaine philosophie : je ne voulais pas seulement me servir de la 3D pour reproduire des sons, mais également pour en produire, à partir d’une page blanche…  »

 » La 3D, c’est d’abord une philosophie, une manière de penser. « © DR

Aujourd’hui, Ozark Henry pense donc directement sa musique en 3D. Ce qui, à l’écouter, ressemble à une véritable libération. Compose-t-il du coup une autre musique que celle qu’il écrivait auparavant ?  » Non, pas du tout. J’ai toujours composé des arrangements ou des paysages sonores, par exemple. Mais je n’avais pas toujours l’espace pour les faire entrer dans le morceau. Il y avait trop d’infos pour le format stéréo. On pouvait se perdre… Ecrire ou produire la musique a toujours été évident pour moi. Par contre, mixer est resté pendant longtemps un exercice compliqué. Depuis que je bosse en 3D, ce n’est plus le cas. Je le fais moi-même, et assez rapidement. C’est plus naturel.  »

L’art et la manière

On l’a compris, pour Ozark Henry, c’est très clair : le son immersif est l’avenir de la musique.  » On est passé du mono à la stéréo. La 3D est la suite logique.  » Aujourd’hui, il multiplie donc les showcases, comme celui du 5 novembre (1), où il propose un dispositif immersif.  » En gros, j’ai créé un cube composé de huit sources sonores. Le public est à l’intérieur, et je dirige le son en 3D.  »

En outre, il participe à une série de recherches –  » mais je suis soumis à des clauses de confidentialité et je ne peux pas en dire grand-chose « . Récemment, le musicien a également collaboré avec le Health House, sorte de showroom de la santé du futur, installé à Louvain. Il a notamment bossé sur une appli de réalité virtuelle pour mieux comprendre l’épilepsie ou encore participé à des travaux autour de la maladie d’Alzheimer –  » Quand on perd la mémoire, la dernière chose qui reste, c’est le son…  »

Longtemps à la traîne par rapport aux images, dont la définition n’a cessé de s’améliorer, le son semble donc rattraper son retard. En n’échappant pas forcément à certains travers : dans cette quête effrénée vers un réalisme toujours plus grand, le résultat est parfois troublant. A l’instar de ces visuels dont la définition est tellement poussée qu’ils en deviennent étranges pour l’oeil, comme  » sur-réels « …  » C’est le problème de la technologie pour la technologie. C’est comme ces premiers enregistrements stéréo, qui multipliaient les effets au point de rendre fou ! Avec la 3D, c’est la même chose. Si, dans un enregistrement, un bruit est censé apparaître dans le fond, cela n’a aucun intérêt de le détailler. Le cerveau ne va plus rien comprendre.  »

La technologie avance donc. Il faudra toutefois encore un peu attendre avant qu’elle ne soit accessible au plus grand nombre. Même si Ozark Henry nuance :  » Au début, quand j’ai commencé à collaborer avec des universités et des mécènes, je recevais plein de machines, du matériel dernier cri, censé me faciliter la vie. Mais ces solutions étaient souvent incomplètes. Elles me permettaient par exemple de plus facilement bouger les sons, sauf que pour cela, je devais diminuer leur qualité. Ce qui est quand même ridicule. Le fait est que la 3D, c’est d’abord une philosophie, une manière de penser. Aujourd’hui, je donne des showcases avec un set-up qu’on peut louer n’importe où ! « . Il évoque également ces casques qui permettent déjà des écoutes immersives et l’arrivée imminente de station audio capables de diffuser du son 3D.

Reste pourtant à convaincre l’industrie musicale. A peine remise de la crise du téléchargement, elle ne semble pas vraiment près de se lancer dans de nouveaux gros investissements. En outre, comme souvent, la question du format de référence – dolby, auro, iosono, etc. – n’a toujours pas été tranchée… En attendant, Ozark Henry continue donc de  » faire avec  » ou plutôt  » sans « .  » La musique que je sors aujourd’hui est en binaural (NDLR : en stéréo donc, mais produite de manière à créer une psychoacoustique en 3D, lors de l’écoute au casque), enregistrée de manière à ce qu’elle reste cohérente sur une simple installation. Au bout du compte, ce n’est pas idéal, mais partager reste le plus important. C’est un peu comme quand on va au musée et qu’on repart avec la carte postale de l’oeuvre qui nous a marqué (sourire)… Vous voulez entendre ce que cela donne ?  »

Sur son ordinateur, Ozark Henry démarre simplement Logic Pro et lance l’un des morceaux du nouveau projet, qu’il sortira le 8 novembre. Assis au milieu d’une dizaine de baffles, l’orchestration de Looking Up, par exemple, prend en effet une nouvelle… dimension. Telle une forêt qui s’éveille, la musique bruisse de partout, paysage sonore baignant dans les cordes et les basses menaçantes. En toute fin, un dernier son de corne de brume semble filer sous les pieds. Il est ponctué d’un grincement. Celui de la chaise sur laquelle on est assis. Bien réelle, celle-là…

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