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Le goût de la sobriété

Après avoir piétiné pendant des années, la bière non alcoolisée (NA) commence à percer et à occuper une place à part entière sur la carte des boissons. La route est encore longue, mais l’avenir semble prometteur !

Les ravages croissants de l’alcool au volant ont motivé les brasseurs à proposer, il y a une trentaine d’années, des bières sans alcool. Cependant, les premiers essais se sont avérés décevants : banales et insipides, elles peinaient à convaincre le consommateur et donc à se vendre. Depuis, les choses ont bien changé et un nombre croissant de cafés en proposent une, voire plusieurs sortes.

Le succès croissant des  » NOLO  » (No or Low alcohol) auprès des consommateurs n’est pas qu’une question de saveur et de texture : la mode du sans alcool s’inscrit plus largement dans la lignée d’un mode de vie sain. Elle est portée notamment par des initiatives comme Tournée minérale, qui prône l’abstinence tout au long du mois de février après les excès des fêtes. Sans oublier que l’alcool au volant est condamné plus fermement que dans le passé.

Il n’y a pas que l’alcool qui s’évapore…

Il n’est pas réellement surprenant qu’il ait fallu tant de temps aux brasseurs pour développer un produit buvable, car l’alcool exerce une influence majeure sur quasi toutes les caractéristiques de la bière (1-4), à commencer par sa saveur. L’alcool lui-même n’a pas de goût mais peut, en fonction des spécificités génétiques du buveur et de sa concentration, conférer une touche sucrée, amère ou, de façon plus exceptionnelle, salée ou acide. Ce qui n’est pas sans intérêt, car les personnes qui perçoivent davantage l’amertume, l’acidité ou le salé sont généralement moins portées sur la consommation d’alcool que les autres.

Si l’alcool joue un rôle aussi important dans la bière, c’est donc parce qu’il constitue un support essentiel pour toute la palette des arômes… et si vous supprimez l’alcool, ce support disparaît également ! Nombre de bières NA sont pourtant produites suivant ce principe au départ de bières ordinaires dont on élimine la composante alcoolique, par exemple par évaporation. Avec l’alcool s’envole toutefois toute une gamme de substances volatiles qui contribuent à l’arôme caractéristique du pro-duit et à sa plénitude en bouche, ce qui dilue encore un peu plus le goût du produit fini.

Une autre technique consiste à interrompre prématurément la fermentation, généralement lorsque la teneur en alcool atteint 0,5%. Ceci revient toutefois aussi à interrompre le processus de développement des saveurs, puisqu’une fraction de l’alcool se transforme en d’autres substances aromatiques dans la suite du processus de fabrication et de maturation. Un arrêt précoce de la fermentation débouche donc fréquemment sur une bière immature où domine le goût du malt et du moût (comprenez, celui des céréales germées et séchées et du mélange aqueux qui en résulte, utilisé dans la fabrication de la bière). Cette note dominante insipide et vaguement sucrée rebute nombre de consommateurs.

L’alcool constitue un support essentiel pour toute la palette des arômes… et si vous supprimez l’alcool, ce support disparaît également !

Question de rondeur

L’alcool contribue aussi à la plénitude en bouche, auquel nous sommes souvent extrêmement sensibles – certaines personnes remarqueront déjà une teneur en alcool de 1 % à peine ! À des concentrations plus élevées telles qu’on les retrouve dans les boissons fortes, l’alcool provoque une sensation de picotement voire de brûlure. Dans le cas de la bière, la concentration reste limitée et l’alcool contribue plutôt à une certaine rondeur assortie d’une agréable chaleur dans la bouche, l’oesophage et l’estomac.

La formation et le maintien du col de mousse, incontournable dans la plupart des bières belges, sont également tributaires de l’alcool.

Il fait en outre office de conservateur et évite le développement de goûts anormaux et la survenue de contaminations microbiennes. Ce problème pourrait être résolu par la pasteurisation, mais celle-ci risque malheureusement aussi de générer des arômes indésirables ! Enfin, l’alcool abaisse sensiblement la température à laquelle la bière gèle, ce qui est plutôt une bonne chose pour une boisson qui est souvent servie très fraîche.

Nouveaux procédés, nouvelles levures

Dans un premier temps, l’absence d’alcool a donc provoqué une série de défauts qui affectaient sensiblement l’attrait des bières NA. Les tentatives entreprises pour les corriger par l’ajout de diverses substances ont fréquemment débouché sur des produits trop sucrés, trop salés ou au goût  » chimique  » qui ne séduisait pas les consommateurs. Entre-temps, cette piste a été en partie abandonnée au profit d’autres solutions et notamment, même si les brasseurs sont réticents à en parler, de nouvelles techniques de filtration qui permettent d’éliminer l’alcool sans trop affecter le profil gustatif.

Une autre piste encore en plein développement réside dans le recours à d’autres variétés de levures. Alors que la bière traditionnelle est fabriquée avec de la levure de bière, Saccharomyces cerevisiae (également utilisée dans la fabrication du pain et, autrefois, dans celle du vin), on s’intéresse aujourd’hui à celles qui interviennent dans la production du chocolat ou du café – deux produits qui ne développent pleinement leurs arômes qu’après fermentation des fruits frais (5-6). Ces levures peuvent apporter à la bière de nouvelles notes gustatives piquantes, fumées ou évoquant par exemple la banane, le clou de girofle ou la vanille. Certaines ont en outre l’avantage de produire beaucoup de saveurs et très peu d’alcool, ce qui les rend évidemment idéales pour la production de bières NA. Un monde de découvertes nous attend, car l’exploration des levures susceptibles d’être utilisées dans ce domaine n’en est encore qu’à ses débuts… et entre-temps, nous avons déjà quelques beaux produits à savourer !

Références sur demande auprès de jan.etienne@bodytalk.be

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Le  » sans alcool  » ne l’est pas toujours

La notion de  » sans alcool  » est quelque peu trompeuse, puisque la législation européenne permet de désigner par ce terme toute boisson comportant moins de 1,2% d’alcool par unité de volume (pourcentage volumique). Si cette condition est respectée, la présence d’alcool ne doit même pas être mentionnée sur l’étiquette.

Dans notre pays, la mention  » sans alcool  » est généralement réservée aux produits qui en contiennent moins de 0,5% ; au-delà et jusqu’à 1,2%, on parlera de boissons  » faiblement alcoolisées « . Les seules bières qui ne contiennent pas du tout d’alcool sont toutefois celles à 0,0%…

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Gare à l’apport énergétique

Les bières sans alcool sont souvent présentées comme la boisson idéale pour apaiser la soif après un effort physique. Mauvaise idée, en particulier en ce qui concerne leur teneur calorique : si l’alcool contient 7 kcal/g, soit 70 kcal pour une bière ordinaire et 7 pour une NA, ce calcul ne prend cependant en compte que l’alcool proprement dit et pas les éventuels ajouts en sucres et protéines, qui sont parfois considérables dans les bières NA !

Globalement, on peut toutefois affirmer qu’une bière NA contient moitié moins d’énergie qu’une autre. Certaines bières à 0,0% n’apportent ainsi que 20 kcal pour 100 ml (moitié moins qu’un soda), mais elles sont plutôt l’exception que la règle. Il n’est en effet pas rare que leur teneur énergétique dépasse allègrement 30 kcal et les variantes fruitées, en particulier, ne se distinguent généralement guère des boissons gazeuses à ce point de vue. Après quelques verres, vous risquez donc fort d’avoir consommé plus d’énergie que vous n’en avez brûlé au cours de l’effort !

Enfin, si les publicités pour les bières  » 0,0  » affirment souvent qu’elles ne contiennent pas de  » calories vides  » (au contraire des sodas), il ne faut pas non plus en attendre des miracles en termes de qualités nutritionnelles. Il s’agira dans le meilleur des cas d’une agréable boisson rafraîchissante… mais de là à en faire un aliment-santé, il y a un monde !

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Ivre de bière sans alcool ?

En 2012, Annette Thierauf, médecin à l’université de Fribourg (Allemagne), a fait boire 1,5 litre de bière  » sans alcool  » (à 0,42%) en l’espace d’une heure à 78 sujets adultes (7). Mesuré tous les quarts d’heure, leur taux d’alcoolémie sanguin n’a jamais dépassé 0,0056 pour mille (cent fois moins que la limite autorisée pour la conduite d’un véhicule qui est de 0,5 mg d’alcool/ml de sang). Ceci s’explique par la rapidité avec laquelle le corps dégrade une faible quantité d’alcool : suivant la corpulence, il faut environ 1h-1h30 pour éliminer les 10 g d’alcool pur contenus dans une bière classique à 5%, soit 6 à 9 minutes pour le gramme d’alcool présent dans une bière à moins de 0,5 %. S’il est donc possible en théorie d’obtenir le même effet avec 10 bières sans alcool qu’avec une chope ordinaire, il faudrait ainsi absorber 2,5 litres aussi rapidement que le contenu d’un verre, ce qui est à peu près impossible. Ceux qui essaient de se saouler à la bière NA risquent surtout d’être victimes d’une intoxication à l’eau, qui peut se solder par une issue fatale !

Les levures VENANT DU MONDE DU chocolat ou du café peuvent apporter à la bière de nouvelles notes gustatives piquantes, fumées ou évoquant par exemple la banane, le clou de girofle ou la vanille. Certaines ont en outre l'avantage de produire beaucoup de saveurs et très peu d'alcool, ce qui les rend évidemment idéales pour la production de bières NA.
Les levures VENANT DU MONDE DU chocolat ou du café peuvent apporter à la bière de nouvelles notes gustatives piquantes, fumées ou évoquant par exemple la banane, le clou de girofle ou la vanille. Certaines ont en outre l’avantage de produire beaucoup de saveurs et très peu d’alcool, ce qui les rend évidemment idéales pour la production de bières NA.© GETTY

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