Le Gould de lire

Bernard Quiriny cultive sa belgitude malgré lui. Côté pile, un professeur de droit public, côté face, une plume surréaliste et désopilante. Ses nouvelles fourmillent de trouvailles pour décrire la magie livresque et le délire du monde actuel. Jubilatoire !

Le Vif/L’Express : Ce recueil se veut-il un hommage au pouvoir des livres ?

Bernard Quiriny : La littérature n’a pas de pouvoir, si ce n’est de délier un peu l’esprit et de nous faire sortir du réel. Aussi n’est-elle pas salvatrice. Si elle n’existait pas, on n’en mourrait pas, mais la vie serait bien plus grise. Les livres nous aident à apaiser la plaie et à la surmonter de façon plus ludique. Ils peuvent être source d’amusement ou d’obsession. L’écriture n’est pas un territoire de liberté totale, car elle comprend l’exigence et le tâtonnement. Elle ne représente ni un plaisir ni une souffrance, mais un travail. Ma prose se lit aussi facilement qu’elle s’écrit difficilement. Plus que les faits bruts de la vie, ce sont les livres qui m’inspirent.

La bibliothèque est au c£ur de celui-ci. A quoi ressemble la vôtre ?

Méticuleux, je la range par éditeur car c’est plus esthétique. L’idéal étant de mettre en avant de grands classiques et des seconds couteaux, distinguant l’homme de goût. Impossible cependant de garder le contrôle d’une bibliothèque. A force d’être envahie de livres, elle semble proliférer par elle-même. On finit par s’y perdre, mais elle tend à révéler quelque chose de quelqu’un… J’observe ainsi une affinité inexplicable avec certains auteurs méconnus, comme Theodore Francis Powys, dont je possède tous les romans. Cet écrivain anglais, de la première moitié du XXe siècle, est un type austère et bizarre. Ces contes ruraux ou bucoliques sont hantés par l’idée de Dieu. Sa vie immobile ressemble à la mienne… J’aime aussi collectionner des vieilleries de la littérature décadente ou symboliste.

Dans le genre décadent, Gould est à nouveau la figure phare de ce recueil. Est-ce un double de papier, qui  » enrichit votre vie intérieure  » ?

Il est vrai que mes lecteurs le connaissent déjà, alors il y a une connivence. Ce personnage intervient quand il est question de littérature, d’imaginaire ou d’absurde. Une fois qu’on invente un héros, on finit par y mettre des choses de soi. Or, à défaut d’être lui, je suis devenu son faire-valoir, tout en restant dans l’ombre pour maîtriser les opérations. Excepté son célibat, j’aimerais avoir son intelligence, ses moyens financiers et sa chance. Gould assume son excentricité et son anachronisme, alors que je suis timide et discret. Il ne s’ennuie jamais. Bien qu’il soit habité par des tourments philosophiques, il a le bon goût de ne pas en parler. J’ignore après quoi il court, mais il a des obsessions de dandy : la littérature, l’art et les grandes valeurs. Cet aristocrate ne vit que par et pour l’excellence.

Vous cultivez l’humour et le décalage quant à  » notre époque « . Est-ce votre côté belge ?

Ça me fait toujours plaisir quand on dit que j’ai une voix belge, d’autant que je n’ai aucune influence directe du pays ou de sa littérature. Mes livres ont une pente marquée pour le fantastique, l’humour de la désespérance et la mélancolie joyeuse. Ils possèdent l’esprit des peintures de Magritte ou des poèmes de Marcel Thiry. Comme je joue sur le second degré et une forme de légèreté, je suis belge malgré moi [rires ] ! La vie en soi m’ennuie… Certains écrivains décrivent bien la réalité, mais j’ai une disposition à voir les choses de manière décalée. Ce livre parle de notre époque, où tout paraît absurde. Face à mon incapacité de voyager, j’imagine dix villes aussi folles les unes que les autres. Le politiquement correct, la tolérance absolue et la manie de progresser me font marrer. Les élections ressemblent à une gigantesque comédie. N’étant pas militant, je porte des coups à gauche et à droite. Ça me donne l’impression de ne pas être totalement inutile. Les livres étant plus courts que la vie, mieux vaut la préserver soigneusement.

KERENN ELKAÏM

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