Le Frère et les parrains

Elu président, l’islamiste Mohamed Morsi a conclu avec les militaires une alliance de circonstance. Quelle est sa marge de manouvre ?

A quoi Mohamed Morsi doit-il sa victoire ?

Certes pas à son aura. Le triomphe de cet apparatchik islamiste illustre l’enracinement des Frères musulmans au sein de l' » Egypte profonde « , fruit de son activisme caritatif dans un champ social négligé par l’Etat, tout comme l’efficacité de sa machinerie électorale. Héros accidentel, cet ingénieur formé en partie aux Etats-Unis s’est vu propulsé sur l’avant-scène après l’éviction, sur décision de la commission électorale, du candidat initialement adoubé par la confrérie. Ce qui lui aura valu le surnom peu flatteur de  » roue de secours « . Dans un premier temps, les héritiers de Hassan al-Banna, fondateur voilà près d’un siècle de la mouvance  » frériste « , avaient d’ailleurs décidé de ne pas briguer le fauteuil du raïs déchu, Hosni Moubarak, aujourd’hui agonisant.

Peut-il s’entendre avec l’armée ?

Face aux chenilles des chars, la roue de secours ne pèse pas lourd. Jamais Morsi, vainqueur au second tour du général Ahmed Chafik, prétendant rêvé de la hiérarchie militaire, n’aurait accédé à la présidence si le Conseil suprême des forces armées (CSFA), détenteur de la réalité du pouvoir et maître d’un vaste empire économique, avait jugé son élection préjudiciable à ses intérêts. Patron du CSFA, le maréchal Hussein Tantaoui a pris soin de vider préventivement de toute substance les prérogatives et les vecteurs d’influence d’un élu qui ignore, faute de Constitution, jusqu’à la durée de son mandat. Le clan des gradés a ainsi ordonné la dissolution du Parlement, dominé par les Frères musulmans, s’arrogeant le levier législatif jusqu’à un nouveau scrutin dont la date tient pour l’heure du mystère ; il garde aussi la haute main sur la composition de la commission censée rédiger la future loi fondamentale. En validant le verdict des urnes, la junte s’épargne à bon compte la gestion, politiquement coûteuse, du regain de violence qu’aurait à coup sûr suscité l’intronisation de Chafik, ultime Premier ministre de l’ère Moubarak.

Doit-on parler d’une révolution confisquée ?

Sans l’ombre d’un doute. La jeunesse urbaine, pionnière du soulèvement, les parents et les amis des  » martyrs  » de la place Tahrir peuvent à bon droit se sentir floués. Mû par un désir de modernité, l’élan démocratique accouche d’un pacte entre deux conservatismes. Maintien du statu quo et de l’ordre public pour les militaires ; restauration de l’ordre moral et religieux pour les  » Frères  » et leur champion, qui, en virtuose de la captation d’héritage, prétend incarner les idéaux d’une insurrection déclenchée par d’autres. Pour autant, on voit mal cette alliance de circonstance résister à l’épreuve du temps. Car les agendas des duettistes demeurent incompatibles. Minorité copte, femmes, partenaires occidentaux : dépositaire d’une longue tradition de pragmatisme, le premier raïs  » civil  » du pays le plus peuplé du monde arabe s’emploie à rassurer tous azimuts, quitte à user d’une rhétorique lénifiante. Mais il reste avant tout porteur d’un projet sociétal fondé sur le primat de la loi coranique. Au risque de découvrir très vite que celle-ci ne fournit pas de remède miracle à la misère des chômeurs de la banlieue cairote ou des paysans.

Quid de la paix avec Israël ?

Bien sûr, Mohamed Morsi promet une  » révision  » des accords de Camp David et un rapprochement avec l’Iran. Bien sûr, son succès ravit le Hamas, filiale palestinienne de la matrice frériste, autant qu’il inquiète l’Etat hébreu. Mais, là encore, le principe de réalité prévaudra : au soir du 24 juin, l’ingénieur s’est engagé à respecter les traités internationaux signés par ses prédécesseurs. Donc le traité de paix égypto-israélien de 1979. Tel est, qui l’eût cru, le v£u des galonnés.

VINCENT HUGEUX

Mû par un désir de modernité, l’élan démocratique accouche d’un pacte entre deux conservatismes

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