Portrait d'Adèle Bloch-Bauer, © Neue Galerie, New York, USA - photomontage le vif/l'express

Le feu sous la glace

Une personnalité dévoile ses oeuvres d’art préférées. Celles qui, à ses yeux, n’ont pas de prix. Pourtant elles en ont un. Elles révèlent aussi des pans inédits de son parcours, de son caractère et de son intimité. Cette semaine : Valérie Trierweiler.

Un avant-midi de juillet. Dans cette petite cour ombragée du VIIe arrondissement de Paris, Valérie Trierweiler devise avec une collaboratrice de sa maison d’édition, Les Arènes. Son second livre, un roman, Le Secret d’Adèle, consacré à Adèle Bloch-Bauer, muse et modèle du peintre Gustav Klimt, est sorti depuis deux mois et semble bien parti pour se retrouver sur toutes les plages estivales, voire les tables de nuit à la rentrée. De beaux tirages, certes, mais qui n’atteindront sans doute jamais ceux de son essai biographique Merci pour ce moment (600 000 exemplaires), publié en 2014, et dans lequel l’ex-first girlfriend relatait sa relation avec le président français François Hollande. De la rencontre à leur rupture fracassante, c’est peu dire que les 320 pages déchaînèrent les critiques violentes et de méchantes passions. Soutenue par les femmes et conspuée par les hommes et la classe politique, Valérie Trierweiler s’est pourtant toujours défendue d’avoir voulu détruire François Hollande ; cet ouvrage, c’était avant tout pour se reconstruire. De cette histoire dont elle ne regrette rien, elle garde en mémoire l’analyse de l’écrivaine féministe Annie Ernaux :  » C’est la prise de parole d’une femme à qui on a fait constamment sentir qu’elle était illégitime dans sa place et qui a été littéralement répudiée. Une bourgeoise n’aurait jamais été traitée de la sorte.  » Une observation qui, selon l’intéressée, ne pourrait mieux résumer la situation.

Mais pour l’heure, nous avons rendez-vous pour parler d’art et c’est au rez-de-chaussée de sa maison d’édition, plutôt spécialisée en sciences humaines, que nous attendons, au milieu de caisses et des présentoirs de l’espace librairie, la journaliste de Paris Match. Tandis que celle-ci termine sa conversation à l’extérieur, c’est une tasse de thé à la main que l’attachée de presse vous conduit dans un petit bureau, au premier étage de cette demeure pleine de charme, débordante de livres et de collaborateurs. Vêtue comme à son habitude d’une robe portefeuille mi-longue de couleur sombre au décolleté élégant, c’est une Valérie Trierweiler tout sourire qui nous rejoint. Elle vient de découvrir la campagne de pub du Secret d’Adèle dans le métro et, émerveillée du résultat, vous montre les photos sur sa tablette. L’attachée de presse ne touche plus le sol et lui rappelle de ne pas oublier la pile d’exemplaires qui lui est réservée au rez-de-chaussée en prévision des événements littéraires auxquels elle participera.

Il se dégage de Valérie Trieweiler une douceur sauvage, une méfiance sur le qui-vive, un caractère passionné certes mais puissamment farouche. Une attitude qui ne manquait pas d’exciter les critiques lors de son passage à l’Elysée mais dont elle affirme qu’ils se trompaient de direction :  » C’est ma timidité qui me donne un air froid et dur, moi je resterai toujours une jeune fille de province intimidée d’être montée à Paris. Beaucoup prennent cela pour du dédain ; or, c’est tout le contraire « . Et c’est sur cette confidence qu’elle se penche sur son oeuvre d’art préférée.

La Dame en or

Valérie Trierweiler a découvert La Dame en or grâce à une commande de sa rédaction qui souhaitait relater les aventures romanesques du monde de l’art. Il est vrai que ce portrait a de quoi plaire et sa saga faire pleurer dans les chaumières. Par son auteur d’abord – Klimt ou l’un des plus grands peintres de son temps – par son modèle ensuite – une fille de banquier malheureuse en ménage qui deviendra supposément sa maîtresse – et par son histoire rocambolesque enfin, faite de spoliation par le régime nazi et de restitution du tableau à son héritière des décennies plus tard. Douze mille signes, un bel article dans les numéros d’été, tout aurait pu s’arrêter là. D’autant que, contrairement à la littérature, la peinture n’est pas le terrain de prédilection de la journaliste. Sauf qu’elle se surprend à repenser à cette Dame en or des semaines durant :  » J’étais hantée par l’histoire d’Adèle. Je me surprenais à imaginer des scènes entières de sa vie, finalement c’est ce tableau qui m’a choisie. « 

Qu’est-ce qui la touche tant dans ce portrait ? Valérie Trierweiler n’hésite pas et sa réponse fuse : le regard de cette femme, riche, belle et célèbre, comblée en tous points mais dont les yeux reflètent pourtant une mélancolie profonde.  » Pour moi, quelque chose ne collait pas « , lâche-t-elle en tapotant machinalement la table de sa french manucure. Recherches faites, elle en a le coeur net, plus encore que de la mélancolie, Adèle souffre d’un chagrin dont elle incapable de se débarrasser.

La mélancolie, un sentiment que la romancière confesse bien connaître et dont elle assure aimer l’éprouver avec des livres ou des films tristes.  » Pleurer en lisant ou en visionnant un film, c’est une belle preuve de sensibilité, non ? « , vous interroge-t-elle avant de préciser fermement que bien que la mélancolie soit un sentiment qu’elle partage avec son héroïne, la comparaison s’arrête là !  » Je me tue à le répéter aux journalistes, Adèle est mon antithèse.  » De fait, là où Adèle barbote dans le luxe et épouse un magnat du sucre, Valérie Trierweiler aime à rappeler qu’elle est issue d’une famille modeste de province au décor nettement moins doré. Cinquième d’une fratrie de six enfants, un père invalide de guerre et une mère employée à la patinoire locale, dans son milieu, la culture et les musées sont réservés à des gens bien nés. Ici, on garde  » le franc sur l’argent des courses  » pour acheter un petit livre au bar-tabac et on apprend à ses enfants à ne pas rêver trop grand.

Pas de discours empreint de revanche sociale ou de fierté sur le chemin parcouru depuis Angers, Valérie Trierweiler garde le socialisme chevillé au corps. Et tripotant ses lunettes de soleil posées sur le bureau, elle enchaîne, l’air grave et la mine rembrunie :  » Mon passage à l’Elysée est sans aucun doute la période de ma vie où je me suis sentie le plus en inadéquation avec ce que je suis. Vivre dans ce palais en me faisant servir représentait une trahison à mes valeurs et au milieu d’où je venais.  » L’expérience dura deux ans et si les histoires d’amour finissent mal en général, celle-ci se terminera particulièrement tragiquement. Avec un caractère aussi passionné et franc que le sien, aurait-elle tenu le quinquennat ? Valérie Trierweiler hésite et conclut un peu méditative :  » Personne ne le saura jamais. Peut-être aurais-je fini par trouver mes marques ? En tout cas, si j’avais continué, cela n’aurait pas été dans ces conditions-là.  »

La liberté, une femme

Dans sa sélection, vient ensuite La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix ; une oeuvre qui illustrait ses livres d’histoire et que Valérie Trieweiler s’empresse d’aller admirer au Louvre lorsqu’elle débarque de sa province à Paris. Elle a alors 18 ans et n’a jamais mis les pieds dans un musée. Elle explique :  » Il réunit toutes les choses qui me tiennent à coeur et résume assez bien mes passions. La liberté est représentée par une femme. Les bourgeois sont malmenés par un peuple dont je suis issue et qui se révolte. Une époque se termine et la République s’annonce.  » Et d’ajouter :  » Ici, le peuple se rebelle contre une série d’ordonnances de Charles X visant à restreindre les libertés, dont celle de la presse.  » Journaliste… Un métier que Valérie Trierweiler exerce depuis plus de trente ans mais qu’enfant, elle n’aurait jamais imaginé faire un jour. Un métier  » trop beau  » quand on vient d’un milieu comme le sien. A 57 ans, elle pourrait envisager de le quitter mais uniquement pour une fonction  » engagée « , une association ou une fondation active dans la lutte contre les inégalités. Déjà très impliquée auprès du Secours populaire, elle n’hésite pas à s’insurger publiquement contre la condition des gamins des rues ou celle des réfugiés de la porte de la Chapelle.  » Même si je réagis et que je me rends souvent sur place pour dénoncer les situations, cela ne suffit pas. Souvent, je me retiens de ne pas aller plus loin…  » Un peu comme quand elle était première dame et qu’elle ne pouvait pas dire ce qu’elle pensait, un exercice qui, pour elle, relevait carrément de la compromission. Une fonction de first lady, à l’inverse de son métier fait de liberté ; où en refusant certains sujets, il est toujours permis de ne pas se compromettre.

L’amour qui emporte tout

Pour sa troisième oeuvre, Valérie Trierweiler hésitait entre Les Biches de Marie Laurencin et L’Abandon de Camille Claudel. Mais comme elle a récemment pris connaissance de l’antisémitisme de la première, il n’était plus question de la conserver dans sa sélection. En tout état de cause, ce sont les femmes artistes que la journaliste souhaitait valoriser. D’autant que pendant de longues années, du talent de Camille, c’est le nom d’Auguste Rodin que l’histoire retenait. Au-delà de cette injustice – que Valérie Trierweiler entend ici encore dénoncer tout en relevant combien les femmes, aujourd’hui, sont toujours  » peu valorisées ou moins payées, que ce soit dans l’art ou en politique  » – c’est aussi et surtout pour l’histoire d’amour entre Rodin et Claudel qu’elle a opté en faveur de L’Abandon. Un amour contre lequel il n’est pas possible de lutter tant il emporte tout sur son passage.

Pour vivre une telle passion, de nombreuses femmes ont tout quitté. Camille et Rodin, Ariane et Solal dans Belle du Seigneur, Alexis et Anna Karénine dans le roman éponyme… Ce grand amour, Valérie Trierweiler confie l’avoir vécu elle aussi. L’occasion de revenir sur l’idylle de Klimt et son héroïne :  » Finalement, Klimt est un peu comme Rodin. Il aimait vraiment Adèle mais il ne pouvait pas s’empêcher de voir d’autres femmes.  » Et de clore le sujet :  » A moins d’être un génie ou de réaliser de grandes avancées politiques ou artistiques, finalement, il n’y a que les histoires d’amour qui sont intéressantes. Pour moi, ce sont les choses les plus importantes.  »

Dans notre édition du 8 septembre : Arabelle Meirlaen.

Par Marina Laurent – photo : Debby Termonia

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