Le dopage cérébral est en marche

Barbara Witkowska Journaliste

Technique non invasive, la stimulation transcrânienne par courant continu améliore la motricité, la perception, l’humeur, la mémoire et le langage. Utilisée à des fins thérapeutiques et scientifiques, elle commence à séduire le grand public.

Le dispositif ? Rien de plus basique : un boîtier, deux fils électriques et deux plaques entourées d’éponges, les mêmes qu’on utilise pour faire sa vaisselle ! Simplissime, donc. Il suffit de fixer les éponges sur la tête de l’individu et de brancher le courant : la stimulation transcrânienne par courant continu (tDCS) peut commencer. Cette technique indolore, non invasive, fiable et peu coûteuse module l’humeur, l’apprentissage, la concentration et la mémoire. L’objectif ? Soigner et diminuer les symptômes de la dépression, les douleurs chroniques, les troubles de la mémoire, les acouphènes ou encore aider les personnes victimes d’un accident vasculaire cérébral à récupérer leurs capacités motrices et cognitives.

Une idée vieille comme le monde

 » Stimuler le cerveau est un fantasme qui remonte à l’Antiquité, souligne Yves Rossetti, professeur d’université et chercheur au Centre de recherche en neurosciences de Lyon. Au Ier siècle, Pline l’Ancien voulait soigner les céphalées avec des poissons torpilles, appelés aussi raies électriques, qui ont la capacité de produire des décharges. Il y a aussi eu les électrochocs. Le courant bref et élevé nécessite une anesthésie générale et déclenche des crises d’épilepsie. Au début des années 2000, Walter Paulus, chercheur allemand et pionnier de la méthode, a effectué un travail important sur le dosage et l’intensité du courant. Dans la tDCS, celui-ci est continu, infime, ne déclenche pas d’activité neuronale mais va la moduler.  » Une autre technique, la TMS (Transcranial Magnetic Stimulation), fait appel à un champ magnétique, bref et très intense, dispensé au-dessus du crâne. Il a la propriété de traverser la boîte crânienne et d’entraîner au niveau du cortex un courant électrique. Celui-ci serait plus efficace pour provoquer une activité neuronale puis déclencher une action, par exemple la contraction musculaire d’un bras ou d’un doigt. Plus pointue, la TMS permet de stimuler un endroit très précis. Avec la tDCS, la stimulation est plus approximative. Si les indications sont pareilles, la TMS est une technique extrêmement onéreuse, nécessitant un appareillage très lourd, contrairement à la tDCS qui se contente d’un dispositif  » portable « .

Etudes prometteuses

Depuis quelques années les études sur ce procédé explosent. On dénombre plus de 800 publications ! Pourquoi cet engouement ? Car, contrairement aux autres techniques susceptibles d’accroître les pouvoirs d’un cerveau, la tDCS est non invasive. Il n’y a aucune molécule à avaler, aucune substance à injecter et les électrodes ne sont pas implantées dans le cerveau mais simplement posées à la surface du crâne. De surcroît, aucun effet indésirable n’a encore été observé. En février, on pouvait lire dans JAMA Psychiatry, mensuel de l’Association médicale américaine, qu’un traitement de six semaines améliorait vraiment l’humeur des patients dépressifs. Une autre étude mettait en évidence l’amélioration de la mémoire visuelle chez des personnes atteintes d’Alzheimer. Les effets positifs étaient mesurables quatre semaines après l’arrêt des stimulations par la tDCS. D’autres chercheurs se sont intéressés aux capacités de fluence verbale, en étudiant l’impact de la tDCS sur le cortex préfrontal gauche. Les volontaires (une centaine) devaient prononcer, en nonante secondes, le maximum de mots commençant par une lettre donnée. Résultat ? Ils ont produit en moyenne 20 % de mots en plus grâce à la stimulation !

Expérience liégeoise

Le service de neurologie au CHU de l’Université de Liège est l’un des rares, en Wallonie, à pratiquer des études sur la tDCS. L’équipe du Coma ScienceGroup, dirigée par Steven Laureys, neurologue, directeur de recherche au FNRS et l’un des chercheurs les plus pointus en ce domaine, est spécialisée dans l’évaluation des capacités cérébrales des personnes dont le cerveau a été gravement endommagé.  » Notre équipe, multidisciplinaire, réunit des neuropsychologues, des mathématiciens, des ingénieurs et des kinésithérapeutes, explique Steven Laureys. Au Centre de recherche du cyclotron, nous tentons d’apporter une réponse motrice après un traumatisme crânien, une thrombose ou encore chez des personnes atteintes d’Alzheimer et ceux souffrant des troubles de l’attention, de la mémoire et du langage. Notre équipe est la première à démontrer que l’on peut améliorer la cognition après un coma. Nos indications sont donc purement médicales et scientifiques. La tDCS est une voie de recherche intéressante pour améliorer certaines tâches chez des patients ayant des problèmes médicaux. Quand il n’y a pas de problèmes particuliers et quand il s’agit d’améliorer les fonctions mentales ou augmenter son intelligence, il faut rester plus prudent.  »

Neurologie cosmétique ?

Accroître le rendement et la productivité de notre cerveau est un concept très tentant. Aujourd’hui, grâce à la chirurgie esthétique, on accepte facilement l’idée de remodeler son visage ou d’augmenter certains volumes de sa physionomie. Le public s’est habitué à considérer qu’une imperfection physique ou mentale, héritée ou acquise, peut être améliorée et traitée comme n’importe quel autre besoin, vital ou non. Alors, pourquoi ne pas  » augmenter  » son cerveau, booster ses facultés cognitives et sa concentration ? Certains neuroscientifiques n’hésitent pas à parler de  » neurologie cosmétique « . La société britannique MagStim propose sur Internet un dispositif de tDCS en kit.  » A des fins de recherche et d’usage clinique « , précise le site. Certes, mais il est impossible d’éviter les dérives. L’amélioration des capacités cognitives séduit le public. Les abonnés aux vidéos sur YouTube ont pu découvrir des  » cobayes  » ayant testé un dispositif tDCS  » fait maison « , bricolé avec des éponges et des fils électriques. Des expériences qui alertent et inquiètent les scientifiques.  » Comme toujours, le risque existe que nos connaissances soient mal utilisées, déplore Steven Laureys. Nous devons rester très vigilants et très attentifs. Les paramètres à manipuler sont multiples. La tDCS reste une technique avec beaucoup de points d’interrogation.  » La stimulation transcrânienne utilisée à des fins non thérapeutiques soulève aussi des questions sociétales, morales et juridiques. Pour certains, la possibilité d’améliorer nos performances intellectuelles serait une source potentielle de discrimination.  » Augmenter les capacités cérébrales est une espèce de fantasme dans lequel j’ai beaucoup de mal à m’insérer, conclut Yves Rossetti. Il est effrayant de jouer les apprentis sorciers. Le cerveau est un organe extrêmement complexe. Les neurones sont toujours en activité, on ne peut pas modifier un tout petit bout de cerveau. Il ne faut pas oublier qu’il y a 180 000 km de connexions dans le cerveau ! Tout fonctionne en interaction et il faut vraiment mesurer ce que l’on fait. Et ces interactions dans le cerveau ne sont absolument pas maîtrisées par les neurosciences. La complexité du fonctionnement cérébral doit être respectée. Il faut aller tout doucement. Quand les enjeux sont importants et quand il y a beaucoup à gagner, par exemple pour améliorer la motricité d’un hémiplégique, on peut prendre plus de risques. Mais pratiquer la stimulation cérébrale pour accélérer l’apprentissage du piano, je dis non !  »

BARBARA WITKOWSKA

Certains neuroscientifiques n’hésitent pas à parler de  » neurologie cosmétique  »

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