LE DÉFI IMMOBILIER

Prêché par nombre de professionnels, l’achat d’un bien en vue d’en tirer un rendement locatif n’est pas une opération gagnée d’avance à Charleroi. Explications.

En mars 2015, le Centre d’études en habitat durable (CEHD) remettait à la Région wallonne, commanditaire, un rapport sur la vacance immobilière résidentielle dans le secteur privé à Charleroi. Soit une recherche pilote destinée à recenser les logements vides sur la base du relevé des consommations d’eau et d’électricité. Résultat ? 2 636 logements ont été identifiés comme étant inoccupés, ce qui représente un taux de vacance avérée de 2,7 %.

Aujourd’hui, ces données sont confrontées à d’autres, officielles… à défaut d’être plus actuelles.  » Les chiffres du service des finances, qui prélève une taxe sur les immeubles inoccupés, font état de 1 078 biens soumis à l’impôt pour l’exercice fiscal 2013 « , indique l’échevine du Logement de la Ville de Charleroi, Ornella Cencig (MR), en rappelant qu’un délai de deux ans est toujours nécessaire pour obtenir les statistiques définitives d’une année fiscale. De quoi, par ailleurs, totaliser 993 578 euros réclamés pour l’enrôlement, précise l’élue, en admettant qu' » à ce jour, 31 % des contribuables sont en ordre de paiement  » ; les autres dossiers étant en contentieux.

Avec cette précision qu’il faut ajouter les données du secteur public à ce millier d’appartements et de maisons privés désertés…  » Au 31 mars 2016, 1 358 logements sur les quelque 10 000 unités qui composent le portefeuille de la Sambrienne (NDLR : la société carolorégienne de logement public) sont inoccupés, ajoute Ornella Cencig. Parmi ceux-ci, 597 font l’objet de lourds travaux de rénovation, 109 sont en processus de vente et 194 en cours d’attribution.  »

Et l’échevine du Logement de rappeler que Charleroi compte 205 000 habitants pour un parc résidentiel de 100 000 biens, dont 20 000 sont mis en location par des propriétaires privés.  » Même si c’est inconcevable d’avoir des logements inoccupés quand on sait les défis sociaux et démographiques auxquels la Ville se doit de faire face dans les années à venir, il faut néanmoins replacer les chiffres dans leur contexte et tenir compte de cette échelle au sein de la première métropole wallonne « , nuance-t-elle.

Offre et demande ne se rencontrent pas

Si la Sambrienne fournit une justification pour au moins 900 de ses logements vides, qu’en est-il du secteur privé ?  » Nous rencontrons souvent le cas de propriétaires privés qui héritent d’un bien et souhaitent le garder pour des raisons sentimentales ou en guise d’épargne-pension, mais qui ne disposent pas des fonds nécessaires pour sa remise aux normes en vue de le louer « , avance Ornella Cencig. Ceux-là attendent quelques années avant de procéder aux travaux, puis introduire le logement sur le marché locatif.

Michel Michalakis, gérant de l’agence immobilière Immo Tirou, a, lui, une autre théorie.  » Beaucoup de gens ont investi à Charleroi ces dernières années « , relate-t-il. Et ce, poussés dans le dos par des taux d’intérêt hypothécaires bas couplés à un maigre rendement de l’épargne et à une insécurité des marchés boursiers. Mais aussi par les conseils de professionnels de la brique ayant désigné Charleroi comme étant  » the place to be  » pour l’investissement en Belgique, forte de prix d’acquisition comparativement faibles par rapport aux loyers escomptés.  » Ces nombreux amateurs ont donc acheté des appartements à la pelle, les ont rénovés et remis aux normes, puis proposés à la location, reprend le courtier. Mais, à leur grand étonnement comme au nôtre, ils peinent à trouver des locataires.  » Car, si l’offre est abondante et  » globalement de meilleure qualité qu’avant « , la demande, elle, fait défaut.

 » Non pas qu’elle ne soit pas au rendez-vous, défend Michel Michalakis. Au contraire ! Il y a énormément de gens qui cherchent un logement à louer à Charleroi, mais ils ne rencontrent pas les exigences des propriétaires.  » C’est que la majorité des candidats à la location sont en situation professionnelle précaire et, bien souvent, dans l’incapacité de s’acquitter du loyer. Sans parler de la garantie locative…  » Comment trouver à se loger quand on gagne 950 euros par mois et que le premier studio à louer nécessite un loyer de 400 à 450 euros par mois sans les charges et les consommations d’eau, de chauffage et d’électricité ?, interroge le gérant d’Immo Tirou. Plutôt que de s’exposer à un risque d’impayés et à de lourdes procédures judiciaires pour l’éviction de son locataire, un propriétaire privé préférera garder son logement inoccupé en attendant un candidat présentant un meilleur dossier.  »

Conséquence, si, il y a encore trois ou quatre ans,  » on louait un bien en 15 jours à un mois de temps, désormais, il faut parfois patienter jusqu’à cinq à six mois avant de dénicher un « bon » locataire « , déplore l’agent immobilier, dénonçant une véritable  » opposition de principes  » et un  » paradoxe aberrant « .

La solution de l’AIS

Il existe pourtant une solution, avance Ornella Cencig : le recours à une agence immobilière sociale (AIS).  » Il s’agit d’un projet pilote initialement développé à Charleroi dès 1989 et étendu ensuite à d’autres villes du pays. En déléguant la gestion de son logement à l’AIS, le propriétaire privé s’assure de recevoir un loyer. Certes, celui-ci est un peu moins élevé que ceux pratiqués sur le marché locatif privé puisque le bien est destiné à héberger des ménages à revenus modestes, mais il est assuré. Le tout sans aucuns frais de gestion ou d’entretien.  » Un système d’application immédiate si le bien est aux normes, mais qui prévoit aussi une option pour ceux qui ne le sont pas encore, via l’intervention du Fonds wallon du logement.  » Une enveloppe de 55 900 euros est mise à disposition du propriétaire qui veut rénover son logement, à condition que sa mise en location soit assurée par l’AIS pour une période de 9 à 15 ans en fonction du nombre de chambres que compte l’immeuble « , détaille l’échevine.

Parmi les autres mécanismes mis en place par la Ville pour parer à ce vide locatif, l’élue épingle encore le  » capteur de logements « , institué sous la précédente législature.  » Sa mission est de convaincre des privés dont le bien est inoccupé de le réintroduire sur le marché locatif en les dirigeant vers l’AIS ou d’autres asbl actives en matière de logement à Charleroi pour un encadrement adéquat.  »

PAR FRÉDÉRIQUE MASQUELIER

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire