Le culte du secret

Nicolas Sarkozy a oublié sa promesse de publier des communiqués ; en 2008, François Fillon rechignait à évoquer publiquement son mal de dos ; Jacques Chirac a cultivé l’opacité à la fin de son mandat… En France, les dirigeants n’aiment pas la transparence.

Janvier 2009 : tous les médias sont braqués sur une clinique du XVIe arrondissement de Paris, où la garde des Sceaux, Rachida Dati, accouche d’une petite Zohra. Au même moment, dans le plus grand secret, un autre ministre est hospitalisé, pour des raisons nettement moins heureuses : le secrétaire d’Etat à la Fonction publique, André Santini, passe, cinq jours durant, une série d’examens au Val-de-Grâce, un établissement habitué à accueillir en toute confidentialité les personnalités. A la fin de février, il subit une nouvelle hospitalisation. Là encore, l’information n’est pas divulguée.

Les responsables politiques français rechignent à faire £uvre de transparence sur leur santé, un sujet ô combien privé, mais aux retombées souvent publiques. L’exemple vient du sommet. Pendant la campagne électorale, Nicolas Sarkozy évoque la question à deux reprises. Le 2 mars 2007, invité de Canal +, il assure que,  » bien sûr « , il diffusera des communiqués. Le 5 mai, dans Le Monde, il se montre plus précis. S’il indique que les Français  » n’ont pas besoin d’avoir accès à l’ensemble [du] dossier médical dans les moindres détails « , il s’engage à  » publier un bulletin de santé dès [son] entrée en fonction, au moins deux fois par an, et plus si l’évolution de [son] état de santé devait le justifier « .

Aussitôt dit, aussitôt fait. Le 24 mai, soit une semaine après son investiture, le nouveau président tient parole. Le Dr Jean-Elie Henry-Mamou certifie que Nicolas Sarkozy est dans un état  » bon et intégralement compatible avec l’exercice de ses fonctions présidentielles « . Le document est daté du 11 mai 2007. Depuis, c’est le silence total. Le deuxième communiqué est d’abord prévu pour novembre 2007, puis promis pour le début de la deuxième année du mandat, en mai 2008. Il ne sera jamais publié.  » C’est au bon vouloir du président et du service de santé, répond officiellement l’Elysée. Le problème ne s’est pas posé, mais il faudra qu’on publie un autre bulletin. Cela dit, le rythme du président suffit à démontrer qu’il est en pleine forme. « 

Le flou demeure la règle. Pendant l’automne 2007, Le Vif/L’Express, averti d’une hospitalisation du chef de l’Etat au Val-de-Grâce pour un phlegmon à la gorge, avait sollicité une confirmation de l’Elysée. Qui refusa de la donner. Elle viendra, quelques mois plus tard, dans un livre de deux journalistes, Denis Demonpion et Laurent Léger, auteurs de Cécilia. La face cachée de l’ex-première dame.

Depuis son élection, Nicolas Sarkozy n’est plus suivi par un médecin personnel, mais par le service médical de la présidence, dirigé par le Dr Christophe Fernandez, qu’il a nommé en janvier 2008. Pour son hygiène de vie, le chef de l’Etat écoute surtoutà lui-même. Il est ainsi resté longtemps persuadé que manger des chocolats donnait de l’énergie. Son dynamisme est l’un de ses atouts : il en dévorait sans compter. L’été dernier, au détour d’une conversation avec un diététicien, il a appris que le cacao n’avait aucune incidence sur la vitalité des individus. Du coup, il a nettement diminué sa consommationà

Sur la santé, en dire le moins possible est une habitude que respectent volontiers tous les dirigeants français. François Fillon fut peu loquace sur son mal de dos de 2008.  » Une sciatique assez rude « , précise-t-il. Chaque fois qu’il s’exprime sur le sujet, il annonce qu’il est sur la voie de la guérison. Ce qui revient à pratiquerla méthode Coué – ça va aller mieux – plus qu’à dire la vérité – ça n’allait pas du tout. L’opinion ne s’est donc pas rendu compte de ce qu’endura le chef du gouvernement.

Il dut renoncer à des activités officielles : il ne participa ni au sommet de l’Union de la Méditerranée ni à la garden-party du 14 Juillet. A l’hôtel Matignon, il était obligé d’emprunter l’ascenseur pour descendre du premier étage. Ou de rester debout lorsqu’il recevait certains visiteurs. Une fois guéri, il racontera même à un ministre qu’il avait envisagé de démissionner si la douleur avait persisté.  » Quand le physique va mal, le moral va mal, confie un proche. Il a beaucoup plus souffert qu’on ne l’a dit, il est normal qu’il se soit demandé s’il pourrait continuer. « 

Evidemment, ses conseillers se sont interrogés. Jusqu’à quel point le Premier ministre devait-il communiquer ?  » C’est à double tranchant, explique l’un de ses collaborateurs. Cela peut attirer la sympathie ou souligner la vulnérabilité. De toute manière, il n’avait pas envie de parler et, dans ce cas, si on se résigne à le faire, on le fait mal. « 

Le juste équilibre entre information et intrusion dans l’intimité n’est toujours pas atteint. Après la mort de Georges Pompidou, qui n’avait jamais révélé la gravité de sa maladie, Valéry Giscard d’Estaing s’engagea à communiquer sur sa santé, mais ne le fit pas. François Mitterrand usa de bulletins mensongers. Le cancer de la prostate dont souffrait le président socialiste apparut à la fin de 1981 et fut seulement révélé en 1992. Pour éviter pareille mésaventure, Jacques Chirac décida de demeurer silencieux.

Jusqu’au 2 septembre 2005 : victime d’un accident vasculaire cérébral (AVC), il fut hospitalisé en urgence. Trois communiqués, émanant de l’hôpital militaire du Val-de-Grâce ou de sa tutelle, le ministère de la Défense, furent rendus publics – à sa sortie, le mois suivant et huit mois après son AVC – pour indiquer que les examens de contrôle étaient tous  » satisfaisants « .

 » La fonction a masqué beaucoup de choses « 

La réalité de la fin de son mandat, notamment pendant sa longue convalescence, est plus nuancée – même si elle ne saurait être comparée aux derniers mois du second septennat de Mitterrand. Le palais de l’Elysée était alors habitué, depuis l’élection de 1995, à vivre retranché sur lui-même. Ce qui facilita, dix ans plus tard, l’opacité autour de Jacques Chirac, surtout quand ses collaborateurs s’aperçurent, à son retour de l’hôpital, qu’il souffrait d’un problème de mémoire immédiate.  » Sa fille Claude a été magistrale, elle a fait oublier l’état du président « , se souvient un conseiller ministériel.

Dans Des hommes d’Etat, paru en janvier 2008, Bruno Le Maire commence à lever un voile sur la période. Il décrit des réunions. Celle du 10 novembre 2005 : Jacques Chirac  » bâille encore, il est pris d’un accès de somnolence contre lequel il lutte de toutes ses forces. Il lutte contre sa santé. Il défendsa fonction « . L’anciendirecteur du cabinet de Dominique de Villepin à Matignon cite aussi une réflexion du Premier ministre, en date du 20 décembre 2005 :  » Le président, vous savez, il se bat pour la vie, c’est la seule chose, la vie. Tout le reste, le pouvoir, le gouvernement, les élections, le parti, ça ne l’intéresse plus. « 

Aujourd’hui, sous couvert d’anonymat, les langues se délient peu à peu. Un ancien proche conseiller de Jacques Chirac :  » C’est à ce moment-là, et non à son départ de l’Elysée, qu’il est devenu un vieil homme. L’AVC a réduit son champ visuel, ce qui nous a amenés à grossir les polices de caractère de ses textes et à réduire la longueur de ses discours.  » Un ancien membre du gouvernement :  » La fonction a masqué beaucoup de choses, car il était nettement plus diminué qu’on ne l’a cru. Heureusement, à ce niveau-là, on peut choisir ses moments. Le plus frappant reste le premier Conseil des ministres après son accident : il est arrivé, les yeux exorbités, chancelant, sans aucune vision latérale.  » Un ancien garde du corps :  » Il s’endormait souvent dans sa voiture. « 

Avec le recul, les amis de Dominique de Villepin relèvent l' » absence  » du chef de l’Etat pendant la crise des banlieues, puis pendant celle du contrat première embauche :  » Il était dans un calendrier de survie, il ne s’est pas battu.  » De la santé du président, ils font une donnée politique de l’époque. Ce qui suppose qu’elle soit l’objet, un jour, d’un minimum de transparence.

éric mandonnet

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