Le crime droit dans les yeux

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Cédric Kahn suit la cavale meurtrière d’un tueur aberrant dans Roberto Succo, constat aussi précis que terrible

Les figures criminelles ont toujours exercé sur le cinéma une attraction intense, assurément productive et bien souvent ambiguë. De L’enfer est à lui à Seven, en passant par La Nuit du chasseur, L’Ombre d’un doute, Bonnie and Clyde et Pierrot le fou (pour ne citer que quelques titres marquants), les portraits ne manquent pas de ces bandits à la gâchette facile ou de ces tueurs psychopathes, horrifiant et fascinant, tour à tour et parfois simultanément, cinéastes et spectateurs. Le dernier avatar en date de cette prolifique série (noire) s’intitule simplement Roberto Succo.

Le film est l’adaptation d’un livre (1), lui-même inspiré par la trajectoire d’un authentique criminel. Meurtrier de ses parents, jugé irresponsable, libéré de l’institution psychiatrique où il avait été interné, Roberto Succo quitta son Italie natale pour la France où une suite d’actes sanglants allait faire de lui l’ennemi public n° 1, au début de l’année 1988. Arrêté en Italie, dans son quartier de Mestre où il était retourné, ce jeune criminel imprévisible, puéril et halluciné se suicida en prison, épilogue lamentable d’un itinéraire aussi aberrant que terrifiant, laissant derrière lui d’énormes dégâts humains.

Du livre qui lui révéla le parcours de Succo, Cédric Kahn a retenu d’abord la précision dans le récit des faits. Le jeune réalisateur de Bar des rails, de Trop de bonheur et d’une adaptation marquante du roman d’Alberto Moravia L’Ennui nous invite à suivre non seulement la cavale finale du tueur, mais aussi l’enquête menée par un gendarme français. Il nous emmène dans l’intimité des victimes de Succo, et dans celle de sa petite amie, une adolescente. Cette multiplication des points de vue élargit le propos en même temps qu’il place le film à l’abri de toute identification manipulatrice. Kahn ne fait pas du hors-la-loi un héros, ni une victime de la société. Il ne le réduit pas non plus à un monstre sans âme. Il nous invite plutôt à regarder le crime et le criminel en face, droit dans les yeux. Pour y apercevoir, peut-être, l’abîme d’une folie meurtrière comme l’être humain peut parfois en être saisi, et dont aucune explication socio-psychologique ne saurait totalement percer l’épais et terrifiant mystère.

Servi par des interprètes très vrais (dont Stefano Cassetti, dans le rôle-titre), Roberto Succo bénéficie d’une mise en scène inspirée, jouant avec rigueur de la distance et de la proximité. Cédric Kahn s’y acquitte remarquablement du double impératif cinématographique et moral qui était le sien en abordant le film. Peu de réalisateurs avant lui avaient réussi cette délicate balance, sans lecture idéologique ni fascination morbide.

(1) Je te tue. Histoire vraie de Roberto Succo assassin sans raison, par Pascale Froment, Gallimard.

Louis Danvers

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