Une plongée dans les recoins les plus sombres de l'âme humaine. © Baus/La Monnaie

Le come-back des époux maudits

A La Monnaie, Macbeth Underworld, la création mondiale de Pascal Dusapin, confronte le couple régicide à l’horreur de ses actes. A perdre haleine.

Apeine était-il sorti, en avril 2015, des affres de sa furieuse Penthesilea (oui, la reine des Amazones qui déchiquetait son amant, sombre adaptation de l’oeuvre cruelle du poète dépressif Heinrich von Kleist), que Pascal Dusapin ruminait déjà un méchant dilemme : poursuivre dans la veine sépulcrale, ou passer à quelque chose d’un peu plus joyeux ? Convaincu, à 64 ans, que chaque opéra charrie indéfectiblement  » sa peine, son inquiétude, son indescriptible détresse « , le compositeur français n’est pas un grand comique. Le choix fut donc assez rapide : va pour l’exploration continue des immondes recoins de l’âme humaine. Et tant qu’à faire, avec le pire des timbrés : Macbeth…

Avant de se précipiter à La Monnaie pour découvrir, sur scène, cette énième exégèse de la plus courte des pièces de Shakespeare, rappelons-nous que son antihéros, général régicide aveuglé par les prophéties de trois sorcières et l’ambition dévorante d’une épouse fêlée, succombe à la paranoïa, décime son entourage et finit par périr sous le poids de la culpabilité. Utile car MacbethUnderworld est un récit de l' » après « . Dans sa dixième oeuvre lyrique, Dusapin force en effet le couple maudit à revivre en boucle ses obsessions sanglantes, en une féerie orchestrée dans une cour maléfique, où un trio de soeurs dérangées, les Weird Sisters, belles ensorceleuses mentalistes, organise une sorte de cérémonie chamanique du souvenir. Voilà l’ underworld, ce monde souterrain peuplé de créatures bizarres, qui est peut-être notre enfer à chacun, notre (in)conscience, notre impuissance, notre mélancolie…

Pour nous glacer les sens, le metteur en scène français Thomas Jolly, familier des univers macabres démesurés, a réalisé le plus stupéfiant plateau qui soit, à partir d’impressions recueillies auprès du compositeur. Ses décors fuligineux, sous la brume, donnent à voir tantôt des pans de châteaux écossais, tantôt des bouts de forêt, tous coulissants, et zébrés parfois de néons rouges. Sous la baguette d’Alain Altinoglu, qui convoque habilement orgue, archiluth et tambourins, sifflements d’oiseaux et instruments africains, d’extraordinaires tableaux fantomatiques s’y déroulent, qui empruntent à la fois aux esthétiques d’Alphonse Mucha, de James Ensor, de Tim Burton et des fêtes mortuaires mexicaines.

Hanté par l’enfance (un spectre de jeune garçon cornu, à la voix céleste, déambule sans cesse), les époux Macbeth (le baryton autrichien Georg Nigl, époustouflant dans ses passages du grave à l’aigu, et ses deux Ladies Magdalena Ko¸ena et Sophie Marilley, en alternance) s’égarent dans leurs folies destructrices, ressassant leurs crimes par leurs chants magnétiques. C’est fascinant, pourvu qu’on fasse abstraction du livret : collage de bribes de phrases de la tragédie d’origine, de paroles bibliques, de citations de Lewis Caroll, de berceuses anciennes, le texte anglais de l’écrivain- traducteur français Frédéric Boyer est pédant, inepte, réservé aux superinitiés. Mais pour plonger avec fascination au fin fond de ces ténèbres, nul besoin, bien sûr, de lire les surtitres…

Macbeth Underworld, de Pascal Dusapin : à La Monnaie, à Bruxelles, jusqu’au 5 octobre. www.lamonnaie.be

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