Le combat identitaire

Guy Gilsoul Journaliste

A l’occasion de la Biennale de Venise, Le Vif/L’Express interroge divers aspects de l’art actuel. Cette fois, la dernière : la voix des minorités

Si une grande part de l’art actuel s’inscrit dans un processus de mondialisation au risque de faire le jeu de ses stratégies et de son idéal (argent, pouvoir et violence), une autre part revendique un retour tout à la fois à un lieu et à une culture locale. La grande exposition Making Worlds organisée à l’Arsenal par Daniel Birbaum en offre un exemple convaincant, celui du Tibétain Gonkar Gyatso. S’il vit aujourd’hui à Londres, son parcours mérite le détour. Né en 1961, onze ans après l’invasion du pays par l’armée chinoise, il subit de plein fouet le système d’éducation imposée par l’occupant. Le palais du Potala est fermé. Les monastères, inaccessibles ou détruits. A l’école, étant doué pour le dessin, il exécute, selon les normes d’une esthétique de propagande, des dessins à la gloire de Mao. En fait, il ignore tout de sa propre culture. Tout change une première fois quand, en 1980, il rejoint Pékin. Car, quatre ans après la mort du Grand Timonier, la Chine semble vouloir renouer avec son passé. Il entre donc dans une école où il apprend l’art traditionnel de l’encre et du pinceau. Il découvre aussi l’art occidental à travers des revues et des expositions. De retour au Tibet, quatre ans plus tard, il devient professeur à l’université de Lhassa. Mais très vite, il mesure combien il n’est pas  » chinois « . Combien, par exemple, l’usage de l’eau et de l’encre, reflet d’un pays traversé de brumes et de pluies, ne peut convenir au caractère aride et rocailleux du Tibet. Quelques mois plus tard, il fonde la  » Sweet Teahouse « , un lieu de débats et d’expositions pour tous ceux qui, comme lui, s’interrogent sur cette étrange absence d’identité. Bientôt infiltrée par des artistes hans chinois, il peint en réaction des bouddhas en sang ou blessés. Cette colère va encore se renforcer lorsque, arrivé à Pékin quelque temps après les événements de Tiananmen, il devine chez les jeunes Chinois la même désespérance. C’est alors qu’il parcourt un livre évoquant la manière dont, en Inde, les exilés tibétains tentent de sauver leur culture. Il quitte alors, à son tour, le Tibet, passe par le Népal et gagne Dharamsala où il étudie le bouddhisme et la peinture des Thangkas.

Mais quand, peu après, il gagne l’Angleterre, un autre choc l’attend. A quoi servirait une £uvre qui ne serait comprise que par les Tibétains ? Qui ne concernerait que le Tibet ? Après sept mois de silence, il va trouver sa réponse. Elle passe par la projection de la question identitaire dans le monde très contemporain des stickers et autres signes colorés de la mondialisation. Ainsi, l’£uvre exposée à Venise qui montre un bouddha parinirvana (c’est-à-dire, au moment où il quitte son corps et se disperse dans le nirvana), auréolé de mille et une teintes sucrées des publicités et autres icônes. On dirait une aura autour d’un corps presque transparent habité par des signes chinois et tibétains inscrits à l’encre dans des carrés qui sont à la fois traditionnels et propres aux mots d’ordre de l’occupant. En s’approchant de cette multitude de signaux à la fois universels et spécifiques, on découvre aussi des fragments de textes parus dans les journaux, des informations, des injonctions, des slogans. Le tout, avec un humour, voire une gaieté qui étaient les armes de notre Bruegel qui, en son temps, dans un pays militairement occupé, trouvait aussi les moyens pour  » le  » dire…

Venise, Biennale, Construire des mondes, Arsenale. Jusqu’au 22 novembre. www.labiennale.org

GUY GILSOUL

Humour et gaieté, les armes aussi de Bruegel

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