Frustrés, » en réserve de la république de l’euphorie fédérale « , les partisans du vice-Premier MR oeuvrent en coulisses à un rapprochement avec les socialistes. Pour préparer la prochaine étape : le confédéralisme. Tout en soutenant leur Premier ministre, Charles Michel… Du moins provisoirement.
L’histoire politique est faite de paradoxes et et de retournements de veste. La législature qui vient de débuter pourrait en offrir une incroyable démonstration du côté du MR. Ainsi, par un concours de circonstances inédit, Charles Michel est devenu Premier ministre d’un attelage atypique, très à droite, avec la N-VA, l’Open VLD et le CD&V. » C’est une ironie cruelle, glisse un membre du bureau du parti. En accédant au 16, Charles a en réalité été jusqu’au bout d’une logique portée jusqu’ici… par Didier Reynders. » Reynders, que Michel a déboulonné de la présidence interne en 2011 après une terrible lutte fratricide, était le dépositaire d’une droite libérale décomplexée, d’une farouche volonté de bipolariser le débat politique. Il fut aussi le premier à avoir initié les contacts avec la N-VA. Tout a été concrétisé, alors que Charles Michel avait juré qu’il ne prendrait jamais l’initiative de négocier avec la N-VA s’il avait la main.
» Auparavant, le MR a été purement et simplement jugé indésirable par le PS et le CDH en Wallonie et à Bruxelles, poursuit cette source influente au sein du parti. Or, l’engagement de Charles quand il est devenu président, n’était-ce pas précisément de nous faire revenir au pouvoir dans les Régions ? Visiblement, nous avons été immédiatement ostracisés par le PS. Il n’y a eu qu’une rencontre entre Charles Michel et Paul Magnette après les élections, à l’issue de laquelle le rideau a été toute de suite tiré. » D’où une frustration qui commence à s’exprimer parmi les partisans de Didier Reynders sur l’absence des libéraux à la table des Régions, à l’heure où la Wallonie et Bruxelles devraient prendre des mesures décisives pour construire leur avenir de façon autonome.
Préparer le confédéralisme
Retisser des liens dans les Régions : voilà donc la tâche à laquelle vont désormais s’atteler dans l’ombre… les » reyndersiens « . Ce sont les seuls qui restent pour l’instant » en réserve de la République de l’euphorie fédérale « , pour reprendre l’expression de l’un d’entre eux. Selon nos informations, les partisans de Reynders envisagent d’ores et déjà la prochaine étape. En coulisses, ils ont désormais la volonté de renouer rapidement… avec les socialistes. A très bonnes sources, Le Vif/ L’Express a appris que des contacts vont être initiés, notamment avec le ministre-président wallon Paul Magnette. Objectif ? Apaiser les tensions, travailler ensemble là où c’est possible, évoquer l’avenir des Régions et… préparer le virage confédéral que ne manquera pas de réclamer la N-VA pendant la seconde partie de législature. Avec, in fine, l’espoir d’un retour au pouvoir dans les Régions en 2019. La vengeance est un plat qui se mange froid. Les » reyndersiens » attendent aussi du nouveau président du MR, Olivier Chastel, qu’il s’émancipe peu à peu de Charles Michel.
En ce début de législature fortement dominé par les débats au fédéral, on a tendance à oublier que le MR se trouve dans une situation inconfortable : seul francophone au gouvernement fédéral, il est exclu des gouvernements régionaux – une constante depuis 2004. Or, à la barre de l’opposition libérale en Wallonie, deux » reyndersiens » de premier plan sont amenés à porter la critique face au projet PS-CDH, le chef de groupe Pierre-Yves Jeholet et Jean-Luc Crucke. Tous deux espéraient plutôt devenir ministres fédéraux. Le second a même été concrètement pressenti pour le Budget, avant d’hériter de la vice-présidence du parti. » Le régionaliste que je suis ne manquera pas d’utiliser son droit de parole à ce niveau-là, souligne Jean-Luc Crucke. Nous allons être dur, mais sans vociférer comme Laurette Onkelinx à la Chambre. L’enjeu n’est pas mince : la plupart des compétences en matière de mobilité, d’environnement, d’emploi… se trouvent désormais à l’échelon wallon, a fortiori depuis la sixième réforme de l’Etat. »
Le » Pearl Harbor » wallon
Si le fédéral a joué cartes sur table au point de s’attirer les foudres syndicales, le gouvernement wallon a, dans un premier temps, camouflé ses chiffres. Lors du débat budgétaire de cette semaine au parlement, le MR a joué son rôle d’opposition en carbonisant la dette wallonne cachée par les socialistes. » Le PS et son acolyte, le CDH, c’est un peu l’histoire du chaperon rouge, ironise Jean-Luc Crucke. Il se voulait le plus beau, mais maintenant qu’il montre son panier, on s’aperçoit que le contenu n’est pas très joli. Même la FGTB le dit, ce n’est pas anecdotique. Ce faisant, elle donne du grain à moudre au PTB… » Le PS, regrette-t-il, risque d’être poussé dans une logique dépassée à l’heure où les défis budgétaires sont immenses.
» Certains observateurs politiques ont parlé d’une majorité kamikaze au fédéral, mais personne n’a évoqué la coalition Pearl Harbor mise en place en Wallonie, appuie Richard Miller, député wallon pendant dix ans, aujourd’hui élu à la Chambre. Les Wallons commencent à se rendre compte que ça ira mal dans leur Région. La dette s’élève à 18 milliards d’euros, et non à 6 milliards comme le gouvernement précédent a tenté de le faire croire, et la sixième réforme de l’Etat prévoit la fin des transferts nord-sud dans un délai de dix ans – nous en sommes à huit aujourd’hui. Or, rien n’a été fait… »
Le MR, disent-ils, est soucieux de ne pas laisser la Région s’engluer dans des réponses qui lui semblent inadéquates à un moment-clé de son histoire. » Paul Magnette et Jean-Claude Marcourt ont une âme wallonne, ce sont des intellectuels, je ne peux pas croire qu’ils fassent l’erreur de compromettre l’avenir « , plaide Jean-Luc Crucke. En toile de fond, cette conviction : l’agenda nationaliste avoué de la N-VA et l’affrontement actuel avec le PS mèneront inéluctablement à de nouvelles avancées vers le confédéralisme. Il serait indécent de ne pas s’y préparer, en parallèle avec les avancées libérales souhaitées au fédéral. Et en veillant à ce que le Parti socialiste ne tombe pas durablement dans les bras du CDH, voire d’Ecolo ou du PTB.
Voilà pourquoi, en coulisses, les libéraux vont tenter de renouer les contacts avec les socialistes. Le président du PS, Elio Di Rupo, a entrouvert la porte au moment de sa réélection : » Les ponts entre les mandataires PS et MR ne sont pas rompus. Il s’agit simplement de s’opposer à un projet politique. » Traduisez : parlons-nous…
Didier Reynders : » Chacun son rôle »
En Région bruxelloise, la situation est à peine différente. Les deux présidents des régionales PS et MR sont des personnalités qui se connaissent bien : Laurette Onkelinx et Didier Reynders ont tous deux des origines liégeoises, ont usé leurs fonds de culotte à l’université ensemble et porté de concert la voix francophone au gouvernement fédéral durant plus de dix ans. Cette fois, Onkelinx répercute les critiques socialistes au fédéral tandis que Reynders prend, grâce aux Affaires étrangères, une distance » physique et émotionnelle » après avoir avalé bien des couleuvres. Il rêvait d’être Premier ministre un jour, avait déjà approché ce Graal en 2007, mais c’est son rival de parti qui lui a brûlé la politesse cet automne. Il s’était déclaré intéressé par la Commission européenne, mais un forcing du CD&V – » surréaliste » selon son entourage – lui a coupé l’herbe sous le pied, Marianne Thyssen étant finalement l’heureuse élue au bout d’une nuit épique.
Depuis, Didier Reynders a observé avec une distance certaine les approximations successives des ministres MR Jacqueline Galant (sur les chiffres de la SNCB) et Marie-Christine Marghem (sur le nucléaire). Le message est clair : l’homme ne volera pas au secours de ces excellences qui ne sont pas de son bord. Il réserve d’ailleurs ses premières expressions de vice-Premier ministre pour plus tard, quand il y aura la possibilité de déployer une vraie vision libérale et francophone. » Chacun son rôle, plaide-t-on parmi ses proches. Didier ne va pas assumer des responsabilités qui ne sont pas les siennes. » Ce qui ne signifie évidemment pas qu’il voit d’un oeil favorable les accents très clairs du gouvernement fédéral, tout en observant avec ce cynisme qui le caractérise les efforts stériles du CD&V pour obtenir une taxation des plus-values ou la difficulté pour la commissaire Marianne Thyssen d’imposer un agenda social au niveau européen.
» Didier a sans doute encore du mal à accepter la situation, observe un libéral. Mais on ne va pas lui donner deux sous dans la rue, non plus. Il est quand même vice-Premier et dispose avec les Affaires étrangères d’une visibilité certaine. » Dont il compte bien profiter, positivement.
Mais ce n’est pas tout ce dont il dispose dans sa besace. Stratégiquement, il s’est doté d’outils lui permettant de poursuivre son implantation régionale dans la capitale. » Désormais en charge de Beliris ainsi que de la tutelle sur les institutions culturelles, je suis heureux de pouvoir m’investir plus à Bruxelles « , disait-il au lendemain de sa prestation de serment. Dans son entourage, on confirme que son intention est bel et bien de s’investir dans ces deux compétences importantes pour la capitale, de prendre du temps sur le terrain pour son implantation dans sa Région d’adoption tout en retissant les liens avec Laurette Onkelinx – » Même s’il y a des divergences entre eux et c’est heureux… »
En retrait, Didier Reynders veille aussi sans le dire à préserver son image des éventuels coups qui pourraient fragiliser Charles Michel, qu’ils soient issus des provocations à répétition de la N-VA, de la forte contestation sociale ou d’une fragilité inhérente à l’équipe fédérale (le casting MR, la fébrilité du CD&V). Pour être disponible, si jamais cela devait mal se passer…
Un parti » en lévitation »
Cinquante jours après la mise en place du gouvernement fédéral, et en dépit des critiques d’une forte opposition PS-CDH-Ecolo-FDF-PTB au fédéral ou de la mobilisation sociale en front commun syndical, une forme d’euphorie généralisée règne toutefois dans les rangs libéraux francophones. » Chaque jour qui passe, nous percevons davantage combien nous avons une occasion unique de réaliser une partie substantielle du programme libéral « , déclarent plusieurs ténors. La confiance semble inébranlable et unanime : une fois les couacs du début oubliés, la machine fédérale tournera à plein régime. Les principales figures réformatrices proches de Charles Michel, que ce soit le nouveau président, Olivier Chastel, ou les ministres Hervé Jamar (Budget) et Willy Borsus (Classes moyennes), répètent un credo clair comme une méthode Coué : oui, ce gouvernement ira jusqu’au bout des cinq ans.
Administrateur aussi du centre d’études Jean Gol, Richard Miller ne s’en cache pas : la période est » passionnante « . » De façon inédite, nous nous retrouvons dans une configuration politique qui permet de mettre vraiment en oeuvre le projet libéral : assurer la sécurité sociale par le développement de l’économie et la création de richesses, souligne-t-il. Je ne vais pas être méchant avec nos partenaires des gouvernements précédents mais tout à coup, nous sommes désencombrés des socialistes. C’est un défi dans lequel tous les libéraux se retrouvent, qu’ils soient militants, sympathisants ou mandataires. Nous n’avons plus été unis à ce point depuis vingt ans ! »
Quant aux critiques, il les balaie d’un revers de la main. » Il y a malheureusement eu une instrumentalisation du combat syndical. La présence de Di Rupo, d’Onkelinx à la manifestation… Alain Mathot avait mis une petite chemise, Frédéric Daerden un gros pull pour montrer qu’ils avaient manifesté. Ce sont des signes clairs. Comme la campagne de communication qui nous présentait comme des voleurs, avec des accents un peu fascisants. Mais qu’est-ce qui fait que Marc Goblet (NDLR : secrétaire général de la FGTB) n’en dort plus et se demande quelle opération il pourrait bien mener pour casser le gouvernement après avoir brisé nos vitres ? Je suis convaincu que ce qu’ils craignent, ce n’est pas que l’on prenne des mesures : ça, c’est ce qu’ils disent aux ouvriers. Ce qu’ils craignent, c’est que ces recettes marchent. »
En dépit du mécontentement qui s’exprime dans la rue et des approximations initiales liées à un casting » faible « , le parti semble en lévitation. » La formule est bien choisie, sourit Alain Destexhe, député régional bruxellois, sénateur et désormais chroniqueur pour le quotidien français Le Figaro. Oui, tout va bien. Ce gouvernement a été extrêmement compliqué à mettre en place, il y a eu quelques couacs ou sorties solitaires mais honnêtement, pas tant que ça. L’opposition et une certaine presse ont joué un rôle dans le fait que tout soit monté en épingle. Mais je suis optimiste. Il règne en interne une ambiance comme je n’en ai rarement connu, nous obtenons en quelques heures des réformes dont nous n’aurions jamais pu rêver parce que nous négocions avec des partenaires plus à droite que nous. Et la N-VA joue parfaitement le jeu… »
Au siège du parti, le directeur administratif fait des bonds de joie. Le nombre de membres explose. Alors que la moyenne habituelle des recrutements est bon an, mal an de trois nouveaux sympathisants par jour, elle était de six entre les élections et la formation du gouvernement fédéral, le 10 octobre (770 nouveaux membres) et de 17 par jour depuis la mise en place du gouvernement Michel (712 nouveaux membres, entre le 10 octobre et le 23 novembre). Au total, le MR compte désormais 36 504 sympathisants, dont 23 595 sont membres en ordre de cotisation.
Chastel songe aux » prochaines échéances »
Le 12 décembre, Olivier Chastel, ministre fédéral du Budget pendant cinq ans, prendra la présidence d’un parti en plein boom, pour lequel il est le seul candidat. Il sera chargé de trouver l’équilibre entre la participation majoritaire au fédéral et l’opposition au régional, entre les » reyndersiens » et ces » micheliens » dont il faisait partie au temps du groupe Renaissance (NDLR : en 2011, ce groupe autour de Charles Michel s’était opposé à la présidence de Didier Reynders). Tout en veillant à sortir le MR de son isolement francophone. » Lorsque nous avons décidé unanimement comment nous redéployer, il est apparu que je pourrais faire la synthèse « , dit-il. Sans nier la complexité de la tâche : » Ce n’était pas forcément mon plan de carrière, mais c’est un beau challenge auquel j’entends me consacrer à plein temps. J’ai décidé de ne pas reprendre mes fonctions d’échevin à Charleroi. »
L’homme a entrepris il y a un mois le tour des fédérations pour expliquer l’action du MR au gouvernement fédéral. » Je ne parlerais pas d’euphorie, mais nous rencontrons des militants qui ont très clairement le sentiment que ce gouvernement fédéral a pris ses responsabilités « , soutient-il. Ils ont vraiment le sentiment que c’est un projet pour l’avenir et, contrairement à ce que l’on veut nous faire croire en Wallonie, un projet qui va sauver la Belgique grâce à des réformes qui vont permettre la pérennité de la sécurité sociale. On va apaiser la vision qu’ont certains d’une Flandre encore plus indépendante en montrant que les Wallons savent prendre leurs responsabilités. »
Cap, désormais, sur le soutien aux groupes parlementaires d’opposition en Wallonie en dénonçant les mesures qui touchent les familles ou les entreprises, comme les limitations sur les titres-services ou le précompte sur les outillages industriels » qui font frémir tous ceux qui veulent investir en Wallonie « . » La différence avec le fédéral, c’est qu’on a vraiment l’impression que les mesures du gouvernement sont uniquement là pour boucher les trous budgétaires. »
Oui, Olivier Chastel dit avoir gardé » de bons contacts personnels » avec les autres présidents de partis francophones » qu’il voit régulièrement « . Oui, il est conscient de la nécessité de se parler pour » faire fonctionner le fédéralisme de coopération, même si le Comité de concertation entre le fédéral et les entités fédérées joue un rôle important « . » L’optique d’un président, c’est aussi, évidemment, d’avoir les prochaines échéances électorales en tête « , insiste-t-il encore.
Face à la N-VA qui risque de revenir à son agenda communautaire et aux risques d’instabilité qui en découleraient, le MR mesure qu’il doit se retrouver rapidement une place sur l’échiquier francophone. Pour exister, Olivier Chastel sera peut-être celui qui devra écouter les frustrations des » reyndersiens » pour recréer un dialogue massacré par les choix d’après-scrutin du PS et du MR. » Si Olivier ne s’émancipe pas, nous l’y aiderons « , sourit un membre influent du clan Reynders.
Par Olivier Mouton
» Paul Magnette et Jean-Claude Marcourt ne peuvent pas compromettre l’avenir wallon »
» Si Olivier Chastel ne s’émancipe pas, nous l’y aiderons »