Pierre Tilly (UCLouvain). © DR

« Le changement de contexte doit conduire à revoir la loi de 1996 »

On a souvent annoncé la mort de la concertation sociale, constate Pierre Tilly, chercheur en histoire économique et sociale de la période contemporaine à l’UCLouvain. Mais elle existe toujours. Malgré les coups de canif subis et la confiance plusieurs fois rompue entre partenaires. La concertation sociale évolue mais elle reste solide.

Les partenaires sociaux ont-ils encore la volonté de trouver des accords entre eux?

Structurellement, la démocratie sociale est basée sur l’autonomie des partenaires sociaux qui se sont donné les moyens institutionnels de mener une négociation sans recourir à l’acteur politique. Même si, depuis trente ou quarante ans, les syndicats ont des liens plus évidents avec les partis, ils ont la volonté de s’autonomiser. Le camp patronal n’a, lui, pas de lien formel ou institutionnalisé avec les partis, ce qui ne veut pas dire qu’il n’exerce pas d’influence. Les partenaires sociaux sont-ils encore en volonté ou en capacité de trouver des accords en toute autonomie? Ils ont en tout cas intérêt à le faire car lorsque le politique intervient, en l’absence de consensus, le résultat est toujours aléatoire pour les deux parties en présence. Généralement, donc, patrons et syndicats essaient de s’entendre. Dès lors que le gouvernement doit intervenir, il me semble que c’est un échec, lourd de conséquences pour tous les acteurs.

Depuis vingt ou trente ans, les gouvernements sont plus sensibles aux demandes patronales que syndicales.

L’échec est-il toujours aussi lourd de conséquences, quelle que soit la couleur du gouvernement en place?

Depuis vingt ou trente ans, les attentes patronales en matière de flexibilité, de modération salariale, de compétitivité, sont plus entendues par les gouvernements, et en particulier par le gouvernement Michel. Davantage que les demandes syndicales. Que le gouvernement soit plus marqué à gauche ou à droite, la logique en matière économique relève toujours de ce même registre, même si des inflexions peuvent être différentes.

Patrons et syndicats ont-ils les mêmes attentes par rapport à l’Etat?

Les patrons vont estimer que l’Etat doit rester dans une position de neutralité par rapport à la négociation et jouer un rôle de notaire. Côté syndical en revanche, on attend de l’Etat qu’il prenne position, loin d’une posture de notaire: qu’il prenne la main, arbitre et trouve lui-même un consensus politique. Or, l’Etat n’est pas un acteur neutre. Il est lui aussi traversé par des clivages. Mais il pourrait créer un rapport de force qui lui donnerait plus de pouvoir par rapport aux partenaires sociaux et lui permettrait d’imposer ses vues. La concertation est un mode de gouvernement, ce n’est pas une finalité en soi. On a certes du mal à imaginer que ce gouvernement aille à l’encontre d’une logique de compétitivité et de flexibilité mais, dans les années 1990, le gouvernement Dehaene a pris la main contre les partenaires sociaux et imposé le pacte social avec pour objectif l’adhésion à l’euro. On pourrait concevoir que si un compromis n’est plus possible entre partenaires sociaux, le gouvernement et, derrière lui, la bureaucratie, occupent le terrain de la démocratie sociale délaissé.

La loi de 1996, qui encadre les salaires, doit-elle être amendée?

Elle s’inscrivait au départ dans un contexte où l’Allemagne nous servait de mètre-étalon et où le modèle rhénan donnait le ton. Aujourd’hui, ce n’est plus nécessairement l’Allemagne qui doit jouer ce rôle. Il faut analyser les choses non plus seulement par rapport à nos partenaires commerciaux européens mais dans une approche économique plus globalisée, incluant par exemple la Chine et les pays les plus en pointe pour répondre, en matière de production technologique, aux défis du développement durable. Ce changement de contexte doit conduire à revoir cette loi sur la compétitivité. Cela dit, le banc patronal, dont on entend très peu les discussions internes et les points de vue hétérogènes, semble en position de force pour ne pas la repenser. Même si des voix internes souhaitent discrètement l’évolution de celle-ci, le patronat ne paraît pas demandeur d’une révision de la loi.

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