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Le cerveau de la femme, particulièrement sensible à la douleur chronique?

Un  » îlot  » cérébral extrêmement intrigant semble jouer un rôle majeur dans les différences de perception de la douleur d’un individu à l’autre, mais aussi plus spécifiquement chez les femmes.

La douleur se définit sur le plan scientifique comme une expérience sensorielle et émotionnelle déplaisante dont la cause (apparente) réside dans des dommages tissulaires réels ou potentiels. Elle est donc par définition subjective et dépend d’une foule de paramètres biopsychosociaux connus ou non… dont notamment des facteurs liés au genre ou au sexe.

Qui, des hommes ou des femmes, sont globalement les plus « douillets »? La réponse n’est pas simple. « Les processus douloureux ne se déroulent en effet pas tous de la même manière chez les hommes et les femmes. Les deux sexes ne sont donc pas égaux face à la douleur », explique le Pr Bart Morlion, coordinateur du centre d’algologie de Louvain. « Ainsi, un taux de testostérone plus élevé permet généralement aux hommes de supporter des douleurs aiguës un peu plus sévères. D’un autre côté, certaines douleurs chroniques sont liées à des facteurs hormonaux ; la migraine, par exemple, touche trois fois plus souvent les femmes et les jeunes filles à partir des premières règles. Si cette composante hormonale est loin d’être toujours établie, les femmes restent malgré tout beaucoup plus nombreuses que les hommes à souffrir de douleurs chroniques. Nous nous efforçons d’identifier, par des nouvelles techniques d’imagerie, ce qui peut contribuer aux différences de perception de la douleur à l’échelon individuel, mais aussi plus spécifiquement entre hommes et femmes. En ce moment, l’intérêt se focalise sur une zone bien spécifique du cerveau, l’insula ou cortex insulaire. »

Tout ce qui a un impact négatif sur nos émotions peut aggraver voire provoquer des douleurs.

Opérations inutiles

L’insula ou îlot de Reil, du nom d’un anatomiste allemand, est une zone du cerveau qui analyse toutes sortes de stimuli en provenance de nos sens ou de nos organes internes ; elle traite aussi certaines émotions. Et cette imbrication nous aide notamment à réagir d’une manière adaptée à ce qui nous arrive, comme nous inciter à la vigilance face aux stimuli susceptibles de nous faire du tort, ou faire preuve de résilience pour ne pas nous laisser déborder par ces signaux menaçants.

Cet équilibre fort utile entre vulnérabilité et résilience repose principalement sur celui entre deux signaux chimiques (ou neurotransmetteurs): le glutamate à l’effet excitateur et l’acide gamma-aminobutyrique (GABA) inhibiteur. Un déséquilibre en faveur du glutamate va provoquer un excès de vigilance et une hypersensibilité aux stimuli. « Dans ce cas de figure, même une stimulation normale des muscles du dos peut déjà être ressentie comme douloureuse, illustre le Pr Morlion. Si cette situation se prolonge, elle peut déboucher sur des douleurs chroniques en l’absence de tout problème structurel au niveau du dos ou de ses structures nerveuses. Une opération du dos sera alors inutile ; elle peut même endommager des nerfs au passage et donc provoquer encore plus de souffrances! Malheureusement, certains patients s’entêtent à chercher un médecin qui acceptera enfin de les opérer. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’ils consultent en parallèle une foule d’autres spécialistes, car un dérèglement du cortex insulaire en faveur du glutamate peut provoquer une réaction excessive à de nombreux stimuli, avec à la clé une multitude de plaintes douloureuses et autres sans cause identifiable (vessie hyperactive, intestin irritable, troubles du rythme cardiaque, fatigue, troubles du sommeil, anxiété, dépression…). »

Le cerveau de la femme, particulièrement sensible à la douleur chronique?

Quand la résilience défaille

La question cruciale est donc de savoir comment survient ce déséquilibre dans l’insula. « Lorsque celle-ci est correctement régulée, un dérèglement en faveur du glutamate est contrebalancé par un afflux d’endorphines (nos antalgiques naturels) et de neurotransmetteurs comme la sérotonine, l’hormone du bonheur, explique Bart Morlion. Sous l’effet d’un désagrément physique ou émotionnel, la quantité de sérotonine disponible va temporairement diminuer et l’équilibre va pencher du côté du glutamate. Dès que l’incident est passé, il va toutefois revenir à sa position de départ. »

Là où cela se complique, c’est lorsque nous vivons une expérience grave qui nous touche d’une façon très personnelle sur le plan physique ou émotionnel. « L’insula peut alors se trouver tellement déséquilibrée qu’elle n’est pas capable de revenir à sa position initiale après disparition du problème, comme un élastique qui aurait été trop étiré. Alors que vous êtes rétabli de votre accident, guéri de votre infection, délivré du harcèlement ou des maltraitances, le dérèglement persiste et vous restez donc plus sensible aux stimuli douloureux et autres. En plus, chaque nouveau ‘coup’ devient plus dur à encaisser, installant le déséquilibre au sein de l’insula et donc la douleur et les autres plaintes. »

L'insula ou îlot de Reil, est une zone du cerveau qui analyse toutes sortes de stimuli en provenance de nos sens ou de nos organes internes ; elle traite aussi certaines émotions.
L’insula ou îlot de Reil, est une zone du cerveau qui analyse toutes sortes de stimuli en provenance de nos sens ou de nos organes internes ; elle traite aussi certaines émotions.© Getty Images/Dorling Kindersley

De plus, nous affrontons différemment les événements marquants que nous vivons, du fait de nombreux facteurs dont nos gènes, notre tempérament, notre éducation et notre environnement. L’impact des aléas de la vie sur l’insula est donc unique et individuel, tout comme notre expérience de la douleur… et ce, que nous soyons hommes ou femmes. « En moyenne, les hommes semblent néanmoins un peu mieux protégés contre les dérèglements de l’insula, précise le spécialiste. Chez eux, des réseaux cérébraux comme le cortex insulaire sont en effet légèrement plus rigides et donc plus difficiles à perturber. Les mauvais souvenirs ont aussi tendance à rester moins longtemps gravés dans leur mémoire, raccourcissant l’impact dérégulateur. »

Contre le coronavirus… et la douleur

Heureusement, nous pouvons aussi exploiter l’imbrication de la douleur et des émotions à notre avantage. « Les émotions positives, les distractions et les pensées constructives qui boostent notre résilience contribuent en effet à maintenir l’équilibre entre glutamate et GABA, qui devient ainsi moins sensible aux dérèglements. Bouger suffisamment est un autre remède souverain, notamment parce que c’est une façon de stimuler la production d’antalgiques naturels. D’après des recherches récentes, cela mettrait aussi certains récepteurs du glutamate dans un état qui limite globalement son effet excitateur. »

Les personnes qui souffrent de douleurs chroniques (ou sont à risque accru d’en être victimes) n’ont donc pas seulement besoin de traitements médicotechniques, mais aussi et surtout d’interventions cognitives, psychosociales et motrices qui renforceront leur résilience! « Ce message est aujourd’hui plus important que jamais! », souligne Bart Morlion.

« Dans la foulée de la crise du coronavirus, nous nous attendons à une vague de douleurs et autres plaintes chroniques, comme après d’autres crises sanitaires de grande ampleur comme celles du SRAS ou de la grippe aviaire. Les infections virales provoquent en effet, du fait notamment de la production de substances inflammatoires, une hypersensibilité aux stimuli qui peut persister après le rétablissement. En outre, nombre de patients pourraient développer ce problème sans avoir eu l’infection elle-même, suite aux conséquences psychosociales de la pandémie… Car tout ce qui a un impact négatif sur nos émotions peut aggraver, voire provoquer des douleurs. »

Dans la foulée de la crise du coronavirus, nous nous attendons à une vague de douleurs et autres plaintes chroniques. Les infections virales provoquent en effet, du fait notamment de la production de substances inflammatoires, une hypersensibilité aux stimuli qui peut persister après le rétablissement.
Dans la foulée de la crise du coronavirus, nous nous attendons à une vague de douleurs et autres plaintes chroniques. Les infections virales provoquent en effet, du fait notamment de la production de substances inflammatoires, une hypersensibilité aux stimuli qui peut persister après le rétablissement.© GETTY

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