Le CD&V cherche son salut dans la crise

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Le parti des Peeters, Dehaene et autres Van Rompuy brandit ses valeurs-refuges dans la tempête économique. Pour mieux faire oublier ses gros déboires communautaires et le fantôme du regretté cartel avec la N-VA. Le CD&V ne désespère pas de rester incontournable en Flandre.

Le plus grand parti du nord du pays broie du noir. Il est entré en grosse déprime, sous les coups du sort qui s’acharnaient sur lui. Son couple brisé avec la petite N-VA le laisse inconsolable. La perte brutale de ses trois grosses pointures au gouvernement fédéral, le trio Leterme-Vandeurzen-Vervotte emporté par la saga Fortis, l’a un peu plus accablé. 2008, annus horribilis pour un CD&V en très petite forme pour aborder les élections de juin 2009. L’affaire s’emmanchait mal. L’euphorie de la victoire remportée en juin 2007 par les chrétiens-démocrates, bras dessus bras dessous avec les nationalistes, n’est plus qu’un lointain souvenir. Depuis ce scrutin qui a sonné son retour au pouvoir fédéral, le CD&V n’a connu que des déboires. La voie royale qui devait conduire sa  » star « Yves Leterme au 16, rue de la Loi, s’est transformée en chemin de croix. Neuf mois de calvaire, avant que  » Monsieur 800 000 voix  » n’agrippe sans gloire les rênes d’un attelage gouvernemental bancal. Le parti s’est ensuite mis à dé-sespérer de n’avoir rien à se mettre sous la dent pour calmer sa fringale communautaire. Jusqu’au bout, les francophones se sont ingéniés à lui couper l’appétit : une énième réforme de l’Etat dans les limbes, un dialogue communautaire au point mort, l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde toujours bien vivant. Maigre, très maigre pitance à proposer à l’électeur flamand, à qui le cartel CD&V/N-VA avait promis monts et merveilles. Le désaveu électoral de juin s’annonçait cinglant.

A quelque chose malheur est bon. La crise financière qui s’est abattue sur l’économie, mettant à mal la prospérité de la Flandre, a remonté le moral de l’ex-CVP. Qui retrouve ses marques dans un de ses rôles favoris : le parti-refuge dans la tempête. Cette reconversion providentielle s’est aussitôt traduite dans son slogan de campagne :  » Sterk in moeilijke tijden  » (fort dans les temps difficiles). Une façon habile de donner le change, mais que certains ont encore du mal à intégrer. En plein congrès électoral, la présidente du parti, Marianne Thyssen, s’emmêle les pinceaux en y allant d’un vibrant.  » Moeilijk in sterke tijden  » (difficile dans les temps forts). Révélateur, le lapsus… Ce samedi d’avril, à Gand, un casting de guides éclairés de premier choix prend possession du podium du congrès électoral, sous les applaudissements du peuple démocrate-chrétien. Kris Peeters, le ministre-président du gouvernement régional sortant, incarne tout le sérieux nécessaire pour maintenir le cap dans une Flandre déboussolée. Jean-Luc Dehaene, l’homme du douloureux redressement des finances publiques et de l’arrimage de la Belgique à la zone euro dans les années 1990, porte le combat à l’Europe. Peeters-Dehaene : le duo de choc que le CD&V avance, face au chaos. Rien de franchement enthousiasmant ou innovateur à offrir à l’électeur. Mais un remède, déjà éprouvé en d’autres temps, aux voies aventureuses des populistes de l’acabit de Jean-Marie Dedecker. Ce ticket rassurant est discrètement complété par l’impassible mais rassurant Herman Van Rompuy. Le Premier ministre n’est candidat à rien, mais sa personnalité ne dépareille pas dans le tableau.  » L’essentiel de ce scrutin, c’est de stabiliser. On marque très peu, mais au moins on n’encaisse plus « , résume un parlementaire CD&V. Stabiliser, limiter la casse : tel est l’objectif avoué d’un parti modérément confiant quant au verdict des urnes. Le CD&V signerait des deux mains pour capitaliser de 20 à 22 % des voix sur son sigle. Ce résultat, qui serait l’un des pires de la longue histoire de l’ex-CVP, serait pourtant considéré comme une belle victoire.  » Si nous ne sommes pas le premier parti de Flandre, ce sera une révolution interne « , appuie un sénateur. L’enjeu paraît pourtant à portée du CD&V, surtout depuis que ses rivaux les plus menaçants accusent le coup. Les démêlés de bas étage entre l’Open VLD et la Lijst Dedecker (débauchage avorté, recours à un détective privé) affaiblissent les deux partis dans les sondages les plus récents.

Au CD&V, l’appel incendiaire à voter… N-VA

Il n’empêche : le reflux CD&V tant redouté le 7 juin n’en rend que plus douloureuse l’implosion du cartel avec la N-VA, qui avait atteint la barre des 30 % des voix en juin 2007. Le prix du divorce risque d’être considérable :  » Perdre 10 % de notre électorat dans l’aventure, c’est dur. Tout cet électorat attaché au cartel, et qui était fidèle au CVP depuis les années 1960-1970, va nous claquer dans les doigts. Surtout au profit de la N-VA « , craint un député fédéral. Cette angoissante perspective suffit à rendre nostalgiques de l’alliance de nombreux militants, de la base au sommet.  » Le cartel, c’était une très bonne formule. Elle continue d’ailleurs à bien fonctionner au niveau local. Les ponts ne sont pas rompus « , souligne Jan, un militant quinquagénaire venu du Brabant flamand pour soutenir son parti au congrès de Gand. Lorsqu’en février l’impétueux bourgmestre des Fourons, Huub Broers, prend sa plume avec deux de ses pairs pour interpeller ouvertement la direction du CD&V, c’est avec l’assurance d’écrire noir sur blanc ce qu’on pense tout bas dans les rangs du parti.  » A la lumière du programme électoral du CD&V, il faut bien constater que le résultat obtenu sur le plan communautaire est nul. Nous n’avons rien engrangé : rien sur BHV, ni sur la réforme de l’Etat ! J’ai dit tout haut que le sommet du parti avait échoué et n’avait pas tenu parole. Qui nous croira encore, si nous ne pouvons concrétiser aucune de nos promesses ?  » s’enflamme Broers. Traiter son parti de capitulard face aux francophones, aller jusqu’à inviter à voter N-VA en juin : on en a déjà viré pour moins que ça. Rien de tel au CD&V : cette missive incendiaire n’a certes pas valu à ses auteurs des félicitations de la part d’une direction du parti embarrassée. Mais elle a suscité de la compréhension et n’a débouché sur aucune sanction. Révélateur : la moitié des bourgmestres CD&V sondés dans la foulée par la presse flamande manifestaient leur volonté de restaurer le cartel avec la N-VA.  » Ce cartel, c’était le Walhalla !  » s’exclame le bourgmestre frondeur de Voeren. Les troupes de Bart De Wever ne se lassent pas de l’entendre, raillant au passage un CDV embarqué dans un  » remake  » de Dallas, la série-culte de la télé américaine des années 1970.

Le soufflé est retombé, mais l’incident n’est pas clos. Au CD&V, on gamberge et on rumine. Zedelgem, petite bourgade de Flandre occidentale. Dans la salle paroissiale, une vingtaine de personnes rassemblées par la section locale des jeunes CD&V sont venues écouter le député local, Hendrik Bogaert, discourir sur la difficile situation financière du pays. Sur un coin de table, un vieux militant s’adonne au petit jeu des pronostics électoraux sur un sous-verre en carton :  » 18 % pour le Vlaams Belang, 14 % pour la Lijst Dedecker, 10 % pour la N-VA : ça va faire mal au CD&V « , lâche-t-il en grimaçant. Même en Flandre occidentale, sur les terres d’Yves Leterme qui poussera la liste aux régionales ?  » Leterme, il aurait mieux fait de rester ministre-président de la Flandre, au lieu de s’aventurer au fédéral. On l’a liquidé, à cause de ses 800 000 voix. C’était trop !  » Trop de promesses inconsidérées non tenues, aussi. C’est le même Leterme, en campagne pour le scrutin 2007, qui assurait que  » la scission de BHV ne nécessitait que cinq minutes de courage politique « . Le genre de propos virils que le CD&V ravalerait bien aujourd’hui. A l’entrée du congrès électoral du parti à Gand, une poignée de membres du Voorpost se font un plaisir de remuer le couteau dans la plaie en accueillant les militants.  » Wanneer vijf minuten politieke moed ? Splits BHV nu !  » s’égosille un flamingant. Dans la salle, on se rassure comme on peut.  » Ce ne sera pas facile pour le CD&V, c’est certain. Mais je reste optimiste : nos ministres régionaux ont fait du très bon boulot. En période de crise, l’homme de la rue regarde surtout son portefeuille. Il se préoccupe d’autre chose que du communautaire « , croit savoir Jan, notre militant brabançon. C’est dire l’énorme pression qui repose sur les épaules de Kris Peeters. C’est lui qui est à présent chargé, par son bilan jugé globalement flatteur à la tête du gouvernement flamand, de faire oublier la piteuse prestation d’Yves Leterme au fédéral et la cruelle absence de palmarès communautaire du CD&V.  » La Flandre et rien que la Flandre. Alles voor Vlaanderen. C’est la priorité de notre campagne « , résume un parlementaire.  » Celui qui vote CD&V aura Peeters II. Ou l’inverse : celui qui veut Peeters II,votera CD&V « , lançait au congrès électoral la présidente Marianne Thyssen. Autant dire que les chrétiens-démocrates flamands ne s’imaginent pas ne pas conserver le gouvernail du prochain gouvernement flamand. Promis juré : il remettra le couvert sur la réforme de l’Etat avec une hargne décuplée.  » Elle est in-dis-pen-sable !  » martèle à l’envi Kris Peeters. Mais, pour l’heure, le CD&V préfère éluder le sujet qui le déforce. Il croise les doigts pour que l’électeur ait la mémoire courte. Ou qu’il lui pardonne d’avoir manqué de courage politique pendant plus de cinq minutes…

Pierre Havaux

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