Le calumet de la paix

Un sondage discret, dans le monde de la chasse, donne des résultats décoiffants. Chasseurs et écologistes: bientôt l’amour fou?

Bien sûr, ce n’est jamais qu’un sondage. Mais, même avec une marge d’erreur de 6 %, il vaut la peine qu’on s’y attarde un instant. Près de 8 chasseurs sur 10, dans la partie francophone du pays, désirent dialoguer avec les environnementalistes et les écologistes. Ce chiffre, issu d’une enquête téléphonique récente réalisée pour le compte du Royal Saint-Hubert Club (RSHC) (1) auprès d’un échantillon représentatif de 250 porteurs de fusil, ne reflète pas une simple incantation « politiquement correcte ». Une des questions posées portait, en effet, sur l’opportunité – très concrète – d’associer les sympathisants de la mouvance verte aux conseils cynégétiques, ces groupements qui gèrent de façon équilibrée les populations d’espèces comme le cerf.

En fait, c’est presque par hasard qu’on a abouti à un tel résultat. Au départ, le RSHC voulait analyser le degré de satisfaction des chasseurs – ils seraient 12 000 dans la partie francophone du pays – à l’égard d’une modification récente des dates d’ouverture des tirs. Il souhaitait aussi évaluer l’intérêt porté à la revue Chasse et Nature, où paraîtront prochainement les résulats du sondage. Et là, surprise! « Ce plébiscite en faveur d’un rapprochement avec les associations environnementales était dans l’air, commente Frédéric Hayez, le rédacteur en chef du mensuel, organe d’information du RSHC. Mais jamais nous n’aurions imaginé qu’il recueillerait autant de suffrages. »

Etonnant, vraiment? Depuis qu’il s’est attaqué à la réforme de la législation, José Happart (PS), ministre wallon de l’Agriculture et de la Ruralité, constamment flanqué – sur ce dossier – de son jumeau de sénateur (Jean-Marie), a fait couler beaucoup d’encre. Amateur de grandes battues conviviales et guindailleuses, ce duo de chasseurs a, malgré lui, réussi la prouesse de diviser le petit monde des chasseurs et pousser la plus grande partie d’entre eux à faire de l’oeil aux naturalistes et aux environnementalistes. Leur objectif: s’opposer à des réformes considérées – à bien des niveaux – comme rétrogrades par rapport à l’émergence d’une chasse plus éthique, plus ouverte aux impératifs de gestion de la faune et de conservation dynamique de la nature.

Le sondage a le mérite de quantifier cette fracture. Ainsi, les récentes réformes, jugées une à une par les chasseurs, ne recueillent qu’un faible taux d’approbation: de 22 à 29 % selon les cas. Seule l’obligation de participer à un conseil cynégétique pour chasser le cerf boisé, la perdrix et le lièvre (une mesure généralement saluée, il est vrai, pour son caractère éthique et responsabilisant) franchit la barre des 44 %.

Habitués à se regarder en chiens de faïence, chasseurs et naturalistes tomberaient-ils soudain dans les bras les uns des autres? Pas d’illusion! Certes, 68 % des chasseurs interrogés approuvent les clôtures « ouvertes ». Imaginées par le gouvernement précédent, ces dernières permettent la libre circulation des animaux. Mais les pommes de discorde persistent. Plus d’un chasseur sur deux désire, par exemple, veut continuer à lâcher de jeunes faisans et perdrix pour repeupler les territoires désertés par l’avifaune, une revendication qui a le don d’exaspérer les naturalistes. Plus fort encore de 25 à 35 % des chasseurs, selon qu’ils sont membres ou non du RSHC, estiment que ce groupe de pression doit défendre tous les modes de chasse, sans considération particulière pour l’éthique ni le respect de l’environnement. Chez Inter-Environnement, on n’en fait pas un fromage: « La dégradation de l’environnement continue à un tel rythme, explique Hubert Bedoret, que les naturalistes et les chasseurs éclairés ont de plus en plus d’intérêts communs, notamment face aux ravages de l’agriculture intensive. Chacun cesse, petit à petit, de « diaboliser » l’autre. » Puisse le duo Happart, et son dernier carré de grognards, ne pas rater ce train en marche…

(1)Le sondage a été réalisé en septembre dernier par Dedicated Research

Philippe Lamotte

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