Le « bien-être » animal: un choix de société

Le terme « bien-être » est de plus en plus associé non seulement à l’homme mais aussi aux animaux, et plus particulièrement à ceux que nous pensons connaître le mieux : les animaux domestiques. Parmi ceux-ci, les animaux d’élevage. Côtoyant l’homme souvent depuis des millénaires, ils ont brusquement vu leur environnement évoluer de manière sensible et rapide pendant la seconde moitié du XXè siècle.

Malgré les nombreux avantages essentiellement économiques qui en ont résulté, il est évident que l’adaptation de l’animal à ces changements n’est parfois pas optimale. Parallèlement à ce qui est appelé « l’intensification des méthodes d’élevage » s’est donc développée une polémique concernant les conditions dans lesquelles vivent ces animaux dits « de production »: poules pondeuses, veaux d’engraissement, truies attachées, canards gavés…

Ces préoccupations sont, paradoxalement, le fait d’une population très souvent ignorante de la situation réelle du secteur agricole. Elles sont néanmoins relayées par des groupes de pression de plus en plus efficaces et se concrétisent actuellement aux niveaux scientifique et législatif.

Malgré cela, la définition du « bien-être animal » ne fait pas l’unanimité et le concept donne même lieu à certaines dérives, en servant par exemple de prétexte à des considérations prônant à terme l’arrêt de tout élevage. Cette vision caricaturale et réductrice ne pourrait dès lors que servir les intérêts de ceux qui perçoivent encore l’animal comme une machine ou, au minimum, comme un être dépourvu de sensibilité.

Il est donc nécessaire de s’entendre sur ce que recouvre ce terme à la mode, mal compris suite à une information malheureusement trop souvent tronquée et basée sur le sensationnalisme.

La notion de bien-être se rattache principalement à celle de plaisir, comme le souligne une définition possible du terme, à savoir « un sentiment agréable qui résulte du fait d’être bien » (Larousse). Cet état ne pourrait donc être atteint qu’en cas d’absence de souffrances, qu’elles soient physiques ou mentales. Néanmoins, ces émotions ne peuvent pas (encore) être mesurées directement chez l’animal. Il semble donc difficile de fonder un concept uniquement sur cette base, aisément contestable.

Une autre voie, complémentaire, consiste à expliquer le bien-être en termes d’adaptation de l’animal à son milieu de vie. Il pourrait être défini comme un état de « bonne santé physique et mentale, où l’animal est en harmonie avec son environnement ». Evidemment, cette notion d’équilibre sera perçue différemment selon les intérêts de chacun ou selon les concepts prônés par chacun. Le producteur sera satisfait par des critères de productivité, le vétérinaire par l’absence de maladies, les scientifiques par des mesures physiologiques et éthologiques représentatives. Il est donc inutile d’apprécier le bien-être sans utiliser une combinaison de mesures variées.

En pratique, ce seront les signes de « mal-être », comme une chute de production, des maladies fréquentes, des symptômes de stress important ou des comportements anormaux, qui doivent être recherchés et associés aux diverses techniques de production.

Néanmoins, le bien-être absolu n’existant pas, il serait aussi nécessaire de décider d’un seuil: à partir de quel moment une situation doit-elle être considérée comme inacceptable? Les sensibilités peuvent être évidemment différentes, comme c’est le cas par exemple entre les pays membres de l’Union européenne. Les pays scandinaves et anglo-saxons ont une tradition de protection animale bien plus ancrée que les pays latins, ce qui rend la prise de décision souvent malaisée. La recherche scientifique devrait nous permettre de définir les jalons les plus objectifs possible d’une réflexion éthique sur le sujet. Cette réflexion ne doit pas négliger les paramètres économiques incontournables. L’amélioration du bien-être animal ne signifie pas nécessairement une chute de productivité: en plus du « bon sens commun » qui soutient l’idée qu’un animal heureux est un animal qui produit bien, de nombreuses études scientifiques ont pu confirmer cet adage. Toutefois, certaines modifications importantes peuvent s’accompagner d’un coût économique non négligeable et difficilement supportable par le producteur. Dans les sondages, le consommateur se dit souvent préoccupé par le bien-être des animaux d’élevage mais est-il prêt à traduire ses états d’âme dans son comportement d’acheteur, en négligeant d’éventuelles hausses de prix? Et même si c’était le cas, comment se positionner comme concurrents de pays ne disposant pas de législation contraignante dans ce domaine, dans le cadre d’une politique favorisant le libre-échange?

Prendre en considération le bien-être animal implique donc un choix de société. Il ne s’agit pas d’éviter toute souffrance ou de rechercher des conditions de vie parfaites pour l’animal, conditions que nous n’avons pas encore pu trouver pour nous-mêmes. S’en préoccuper, c’est plutôt être conscient que la situation peut être améliorée et qu’un nouvel équilibre peut être négocié en évitant autant le piège de l’anthropocentrisme que celui de l’anthropomorphisme.

par Marc Vandenheede, maître de conférences à la faculté de médecine vétérinaire de l’université de Liège

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire