Le banquier Yves Delacollette règle les comptes

Etranger aux secousses financières qui ont fait trembler Dexia et Fortis, Yves Delacollette, patron de la Deutsche Bank Belgique, porte un regard sans complaisance sur les actes de ses pairs. Pas de quoi être fiers…

Fortis, Dexia : des banquiers contraints d’appeler l’Etat à la rescousse pour les sortir du pétrin. Quelle humiliation ! Le retour sur terre est cinglant ?

C’est comme si on avait rejoué le film C’est arrivé près de chez vous . C’est la faillite de tout un système fondé sur la poursuite effrénée de l’argent facile et rapide, la satisfaction obsessionnelle de l’intérêt immédiat de l’actionnaire, une prise de risque excessive aux Etats-Unis. Il semble que beaucoup de banques européennes, dont Fortis et Dexia, se soient laissé contaminer.

A propos de faillite de banques, on nous a assuré qu’elle était inimaginable chez nous….

On a évité deux faillites. S’il n’y avait pas eu ce risque, l’Etat ne serait pas intervenu comme il l’a fait.

Comment faire descendre les financiers de leur piédestal, les rappeler à l’ordre ?

Les codes de bonne conduite ( ndlr : comme le code Lippens de bonne gouvernance), c’est de la rigolade. L’expérience montre que cela revient à permettre au plus fort d’imposer sa loi.

A l’Etat de dicter sa loi à présent ?

A lui de fixer les règles du jeu et de sanctionner les manquements. Son rôle est d’arbitrer, d’encadrer, mais pas de jouer. L’Etat devait intervenir sur le plan financier pour sauver Fortis et Dexia. Mais il doit sortir au plus vite du capital des deux banques.

Un Etat actionnaire ne pourrait-il pas être aussi un meilleur gestionnaire, finalement ?

Non, il est démontré que, généralement, l’Etat est un mauvais repreneur. Le secteur privé est exécrable quand on lui demande de s’autoréguler, mais il est très fort pour créer de la richesse. A chacun son job.

Entendre le mot  » nationalisation « , cela vous fait sourire ?

Oui, un peu! D’un coup, on est revenu au  » bon vieux temps  » de la CGER et du Crédit communal. Cela me rend plutôt triste en tant que contribuable. Les citoyens sont devenus actionnaires à leur corps défendant. C’est le contribuable qui paiera, d’une manière ou d’une autre.

Là aussi, le gouvernement prétend que le contraire est vrai en disant que la facture devrait être minime. Veut-il calmer le bon peuple ?

Oui. Les 7,2 milliards d’euros empruntés par l’Etat pour contrôler partiellement Fortis et Dexia devraient lui coûter 360 millions d’intérêts par an. Ces deux banques devraient donc réaliser entre 1,2 et 1,5 milliard d’euros de profit net par an pour offrir un dividende net équivalent à cette charge d’intérêts. Fortis et Dexia ont-elles fait un tel profit avant ? Oui. Pourront-elles reproduire cette performance dans le futur ? Probablement pas.

L’Etat ne peut donc espérer faire une bonne affaire en revendant à terme les deux banques…

Je doute que l’opération soit un jour favorable au contribuable. Soit l’Etat les vendra à bas prix, soit il les vendra à perte. Car on le sait, il y a un excès d’offre bancaire en Belgique.

Vous êtes en train de nous dire que l’Etat, en plus de son sauvetage financier, va devoir exécuter le sale boulot en assumant la casse sociale ? Que personne ne voudra de Fortis et de ses 25 000 employés ?

( Yves Delacollette fait la moue. )

On a fait des révolutions pour moins que ça…

Le gouvernement n’avait qu’une crainte. Voir s’étaler dans les journaux du monde entier des photos montrant une foule en délire voulant lyncher son banquier pour récupérer son argent.

Entretien : Pierre Havaux

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