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Laurent Taskin

Professeur de management à l’UCLouvain et coauteur du livre Management Humain.

La crise sanitaire est-elle l’opportunité à saisir pour amplifier le bien-être des travailleurs?

Absolument! C’est l’occasion d’inscrire le télétravail dans une stratégie d’entreprise globale axée sur le bien-être, la mobilité, la digitalisation, etc. La nécessaire (re)valorisation du travail dans sa dimension collective est un enjeu clé qui découle aussi de cette expérience d’isolement social vécue par de nombreux Belges. L’heure est venue de développer un management humain axé sur le travail concret et sa reconnaissance, jusqu’ici souvent effacés, au profit du maintien des processus, de la visibilité des résultats et de la formalisation des interactions et des activités.

Quel rôle le travail à distance peut-il réellement jouer dans ce processus?

Tout indique que le télétravail va croître. Ceux qui y aspiraient ont pu le pratiquer et souhaitent poursuivre ; ceux qui télétravaillaient en veulent encore plus. Le plus intéressant est que cette envie de plus de télétravail va de pair avec celle de retrouver plus de temps « ensemble ». Ce qui augure d’un « demain » où l’on serait moins ensemble au travail, mais mieux ensemble. L’absence (de l’autre) a en effet révélé l’importance de sa présence pour certaines activités, et l’entreprise comme communauté de travail.

Le télétravail n’est-il pas surtout un moyen pour l’employeur d’économiser des coûts de fonctionnement? Voire de déforcer l’aspect collectif du personnel?

Le « business case » à l’origine du développement du télétravail incluait en effet une dimension de réduction des coûts, notamment immobiliers. Mais le télétravail n’est souvent qu’un élément d’une stratégie bien plus large et plus coûteuse englobant le réaménagement des bureaux, le déploiement d’un nouveau style de management, le soutien à des solutions de mobilité, etc. Ici, le défi entrepreneurial doit s’envisager sur du long terme touchant à la dimension humaine. Telle que la capacité de collaborer, d’innover, de s’investir dans son travail, pour son entreprise, en distanciel comme en présentiel. Cette performance est davantage liée aux conditions de travail, à la qualité du management et à la vision de l’entreprise.

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Quels effets positifs indéniables la systématisation du télétravail aura-t-elle pour l’individu?

Dans un scénario idéal, il serait synonyme de meilleure qualité de vie dans le travail, de sentiment d’efficacité, d’une meilleure conciliation entre vies privée et professionnelle, d’une performance accrue, notamment grâce à une digitalisation de haut niveau. Cependant, un télétravail performant ne devrait s’envisager qu’à temps partiel. En effet, les recherches scientifiques montrent qu’au-delà de deux jours de télétravail par semaine, les effets positifs précités s’estompent.

Repenser le management est-il essentiel pour réussir cette (r)évolution?

Il est urgent de stopper toute gestion sur la base d’indicateurs car elle déshumanise le travail en réduisant les employés à des « ressources ». Travailleurs comme managers, tous aspirent aujourd’hui à trouver du sens dans leur boulot. Cela passe par un « management humain » orienté vers la reconnaissance des personnes et de leur activité. Reconnaître, c’est « voir », là où le management financiarisé ou la gestion traditionnelle des ressources humaines invisibilisent les individus derrière des chiffres, des statistiques, des horaires, des process, etc. A priori, le distanciel pourrait participer à cette invisibilisation du travail réel. Mais force est de constater qu’aujourd’hui, le télétravail apparaît davantage comme le déclic d’une belle opportunité à se lancer dans ce management humain d’avenir.

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