La vie suspendue

Guy Gilsoul Journaliste

Aujourd’hui octogénaire, Co Westerik fait partie de ces artistes très recherchés qui ont, à l’écart des salons et des modes, construit une ouvre à nulle autre pareille.

Personne n’entre dans l’atelier du peintre hollandais Co Westerik. Situé en plein c£ur du quartier muséal de Rotterdam, l’homme y travaille dans le silence, très lentement et dans le secret. Aucun texte explicatif, aucune déclaration. Les formats sont confidentiels : 30, 50, 75, centimètres de largeur. Depuis plus de quarante ans, son £uvre est pourtant très recherchée par les conservateurs de musées et choisies par des commissaires d’art très contemporains comme Jan Hoet ou Rudi Fuchs. Elle est aussi exposée dans des lieux prestigieux comme le Palazzo Grassi à Venise, le musée Boijmans de Rotterdam ou encore le Gemeentemuseum de La Haye où a été organisée la dernière rétrospective en 1996.

Si Co Westerik appartient à la génération Cobra des Alechinsky et autres Karel Appel qui, dans les années 1950-1960 aux Pays-Bas, font figure de héros de l’art nouveau, extraverti, audacieux, gestuel et coloré, il n’en partage ni les idéaux, ni la pratique. Comme d’autres du même âge, Lucian Freud en Angleterre, Rustin en France, Gnoli en Italie et Octave Landuyt chez nous, il opte pour le réel comme support propice à la méditation sur le monde. Il faut dire que ce rapport au figuratif n’a jamais cessé d’interpeller les peintres hollandais depuis le xviie siècle de Vermeer, Rembrandt ou Willem Claesz Heda jusqu’à nos jours où de nombreux artistes contemporains se réclament de l’art figuratif. L’intérêt est tel qu’en 1997 s’est ouvert le musée Scheringa de l’art réaliste à Spanbroek, au nord d’Amsterdam. Aujourd’hui, il compte plus de 500 £uvres allant de Chirico et Georges Grosz à Pat Andrea et Marlène Dumas. Co Westerik y occupe une place de choix avec une dizaine de pièces. On comprend alors la fierté de la galerie Mineta à Bruxelles qui, pour la première fois, réunit à ses cimaises un ensemble consistant de dessins, estampes et quelques toiles dont la plus grande jamais réalisée, annoncée à 200 000 euros.

Une méditation sur le temps

Si, au début des années 1950, Co Westerik privilégie des sujets empruntés au quotidien (un homme et son vélo, une vendeuse de poissons face à son étal…), le dessin puis la peinture conjuguent quelques-unes des audaces venues tout à la fois de l’expressionnisme et de Picasso. Fait de distorsions légères, de renversements de perspectives, de déformations inattendues, de gros plans surprenants et de teintes légères que vient, çà et là, perturber une note plus acide, l’£uvre s’impose pas à pas, solide et monumentale. L’étrangeté, d’emblée au rendez-vous, se renforce au fil des ans et avec elle, surtout depuis les années 1990, une forme d’émotion grave. La maladie puis la mort de sa fille, atteinte d’un cancer, occupent, mais sans jamais le dire, l’essentiel d’une méditation sur le temps qui passe et le souvenir. Le corps en tout ou en parties, acéphale ou limité au visage apparaît comme une masse de chair, presque de la viande attaquée par les nuances de couleurs, des bribes de traits, des éraflures, du blanc. La figure émerge ou se noie engloutie. Sur l’une des toiles exposées à Bruxelles, le corps s’offre, figé autant qu’étalé sur un lit d’hôpital. Sur une autre, un visage seul flotte suspendu et immobile, tel un ange, par-dessus un paysage de campagne et de canaux, redressé à la manière d’un parapet. Vert. Stilleven, disent les Hollandais. Vie suspendue. Du tout grand art.

Bruxelles, Mineta Contemporary. 38, av. G. Macau. Jusqu’au 25 avril. Du mercredi au samedi, de 14 à 18 heures. www.mineta.org

Guy Gilsoul

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