Lisette Lombé, des rimes et des rythmes. © amin bendriss

La vie, la poésie

Lumineuse et engagée, la poétesse Lisette Lombé fait du slam un outil de reconnaissance et d’empouvoirement pour les femmes. Son mot d’ordre ? Au slam, citoyennes !

D’emblée, elle cite Angela Davis et Audre Lorde, femmes de lettres noires américaines et militantes féministes.  » J’ai aussi une grande fascination pour Dalida, Simone Signoret, Madonna : j’adore les pionnières…  » Larges créoles aux oreilles, cheveux ras, grand regard droit qui considère son interlocuteur et lumière spéciale à l’intérieur, elle a, tatoués sur son décolleté, deux mots reliés en guise de collier :  » La vie La poésie « . La poésie, Lisette Lombé l’incarne. Les mots, cette ancienne professeure de français, née d’un père congolais et d’une mère belge, les fait sonner, s’entrechoquer ; elle les murmure, les crie, les scande.  » J’aime le passage de l’écrit à l’oral. De manière générale, j’aime les lieux de passage…  » Alors qu’on la rencontre, elle est justement en train de mettre la dernière main au sommaire du rageur On ne s’excuse de rien ! (1), recueil au féminin pluriel des meilleurs textes sortis des ateliers de slam qu’elle chapeaute avec puissance et douceur.

Le slam ? A priori, rien ne prédisposait celle qui se définit en souriant comme  » une Bettie Page postcoloniale  » à cette pratique d’oralisation de la poésie née à Chicago dans les années 1980. Mais en 2015, les circonstances de la vie l’amènent à bifurquer. Un divorce, une déflagration intérieure, un épuisement sont passés par là.  » Pendant les 48 heures qui ont suivi le verdict de burnout, je me suis mise en écriture automatique. C’était les retrouvailles avec une pratique que j’avais adolescente.  » Un peu par hasard, c’est le moment où un contact lui commande un texte pour la commémoration de la mort de Patrice Lumumba, à Bozar.  » Comme j’étais en burnout, j’étais chez moi, j’avais du temps d’écriture.  » Lisette monte alors sur scène. Déclame son texte. C’est une révélation.  » Je ne savais même pas que je faisais du slam. C’est juste un moment de ma vie où je n’étais plus habitée par aucune peur.  » Collages, installations, danse : Lisette expérimente diverses formes. Elle publie un livre sur sa résilience, La Magie du burn-out (éd. Weyrich). Surtout, elle poursuit le slam jusqu’à décrocher, la même année, une seconde place aux prix Paroles urbaines.

A hauteur de plume

Un départ pour l’Irak, où elle conduira des ateliers avec des réfugiées syriennes, lui confirme une vocation.  » J’ai eu un choc. Je me suis dit : « Cette capacité à aider les femmes, à les soutenir, tu peux la faire voyager : partout, il y aura ces mêmes besoins. »  » Suivront Dakar, le Canada, la Mauritanie… De retour en Belgique, celle que la Ville de Liège a fait citoyenne d’honneur impulse L-SLAM, un collectif de poétesses multiculturel et intergénérationnel. Son propos ? Organiser des ateliers et des podiums de slam pour des écoles et des associations qui font du travail social, de l’alphabétisation et de l’éducation permanente.  » Notre objectif, c’est d’entendre comment les gens veulent être entendus, et les aider à se hisser à la hauteur de leur plume.  »

Bien sûr, il arrive que Lisette Lombé travaille avec des groupes mixtes. Dans les écoles secondaires, par exemple.  » Certains professeurs de français programment une petite animation slam pour que les élèves connectent et puissent constater que les poètes ne sont pas que des hommes blancs, barbus et morts. Le slam, ça fonctionne bien pour ça…  » Mais le plus souvent possible, la poétesse afro-féministe utilise sa passion pour se reconnecter à sa première militance : l’émancipation des femmes. Femmes racisées, invisibilisées dans l’espace public, patientes en santé mentale, femmes victimes de violences ou apprenantes en français.  » Celles à qui il manque juste un peu de confiance dans la voix.  »

Les ateliers de L-SLAM : où retrouver du souffle.
Les ateliers de L-SLAM : où retrouver du souffle.© Serrano Raphael

La règle en slam est que chacun arrive librement avec ses sujets.  » Mais pour transmettre le feu sacré, il faut savoir d’où sort le texte. Qu’est-ce qui bouillonne assez fort à l’intérieur de la personne pour lui donner envie de la mettre en écriture ? Quelle est son urgence ?  » Violence faite à leur corps ? Crise amoureuse, ou identitaire ? Vécu de guerre ? Slut-shaming ? Pour dépasser le  » simple  » témoignage cathartique, le rôle de la métaphore est crucial : c’est elle qui permettra l’image, le détour. L’entrée en littérature. Le passage de la vie à la poésie. Celle qui se veut  » passeuse de feu  » et  » semeuse de graines  » le sait mieux que personne : un texte musclé et chiadé permet de faire entrer les êtres en résonance.  » Le je que j’utilise dans mes textes renvoie toujours à un nous parce que je suis consciente que ma présence sur scène, en tant que femme, métisse, mère de famille, peut avoir valeur d’exemple pour d’autres « , écrivait-elle d’ailleurs en guise de préface au puissant recueil Black Words qu’elle faisait paraître en 2017 (éd. L’Arbre à paroles).

Espèce d’espace

Dispositif light, absence de costume et de décor : le slam est un outil très simple. A priori le plus démocratique qui soit. Sauf que l’espace public reste le territoire privilégié des hommes. A l’heure de la mise en voix des textes, il faut donc repenser un cadre scénique propice à l’engagement physique, à l’incarnation, au dévoilement des participantes. Par tradition cercle de bienveillance et de non-jugement, le slam permet la création d’un safe space. Et compte sur l’intervention émancipatrice du collectif.  » Ce qui revient chaque fois, c’est la question de la légitimité : on la construit et on la renforce ensemble. Les participantes retrouvent une sororité, il y a un truc collectif, un souffle qui circule. Immédiatement, il y a de la connivence, on rit, il y a de l’espièglerie, ça se débride. Je suis toujours impressionnée par la rapidité avec laquelle elles se reconnectent à leur capacité d’imagination.  »

Recréer un lieu d’expression métissé croisant des vécus, des origines, des rapports à la langue et à l’espace public très variés nécessite de la patience, de l’écoute, mais aussi la déconstruction active de stéréotypes sexistes ou racistes : L-SLAM est un collectif agissant contre toutes les discriminations.  » Dans la vie de tous les jours de ces femmes, il y a leur âge, leur poids, la couleur de leur peau, leur voile… Et elles découvrent que tout ça peut devenir une force sur scène. Tu es âgée ? Eh bien, sur scène, soudain, tu as de la bouteille. Tu as du poids ? Eh bien, effectivement, tu pèses bien, tu as un ancrage… Dans les ateliers, les femmes se requalifient, elles se trouvent des métaphores qui les élèvent. Elles prennent confiance, elles se redressent, elles se redécouvrent en capacité à imaginer des choses. C’est la renaissance des créatrices. Une belle halte de renforcement.  »

Bénéfice collatéral de l’exercice : amener en littérature des voix venues parfois de loin, et qui n’y ont habituellement pas droit de cité – des voix jamais ou trop peu entendues. De quoi faire bouger les lignes dans les imaginaires collectifs : c’est ce qu’on appelle une claque, en slam. C’est ce qu’on appelle une claque, tout court.

On ne s’excuse de rien !, par le Collectif L-Slam, éd. Maelström reEvolution, 184 p.

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