La vie en mono

Toutes les familles monoparentales n’ont pas des fins de mois difficiles. Mais elles sont surreprésentées parmi les plus pauvres

Marie n’a jamais eu de chance. Toute jeune, elle a voulu fuir un milieu très pauvre et un père qui battait sa mère. Elle s’est empressée de se marier et d’avoir un enfant. Trop vite, sans doute. Seule avec sa fillette, Marie est allée travailler dans une petite entreprise, qui n’a pas résisté à la crise des années 1970. A 35 ans, Marie s’est retrouvée au chômage. A partir de là, les périodes d’inactivité ont alterné avec les petits boulots. Une vie au ralenti, à l’étroit, que la fille de Marie a, elle aussi, cherché à quitter au plus tôt. Sans charge familiale, Marie a perdu toute motivation à décrocher un job. Aujourd’hui, à 65 ans, aigrie, elle vit d’une maigre pension et de l’aide sociale dans un petit appartement qu’elle quitte rarement. Elle s’organise pour « ne manquer de rien », mais sans rien « demander à personne ».

Paul avait démarré dans la vie avec davantage d’atouts. Après une enfance heureuse, cet instituteur s’est marié et comptait enseigner dans un pays du tiers-monde. Mais, au dernier moment, son épouse s’est ravisée. Dès lors, pour Paul, plus rien n’a été. Après douze ans de vie commune, dont huit passés en hôpital psychiatrique, il a quitté sa femme et quatre enfants pour épouser une amie. Malgré une nouvelle naissance, cette union s’achève également par une rupture. Paul tente alors l’expérience de la cohabitation. Elle est puéricultrice et lui donne encore quatre enfants. Cette histoire se termine par un ultime échec. En congé de maladie, Paul va bientôt bénéficier d’une retraite anticipée. Il met néanmoins un point d’honneur à acquitter ses différentes pensions alimentaires, au prix d’une vie solitaire dans un modeste meublé. Accablé de factures impayées par son ancienne concubine, il s’accroche à l’espoir d’emménager un jour dans un appartement, pour pouvoir recevoir ses enfants.

Ces témoignages ont été recueillis par Jean-François Stassen, dans le cadre d’une étude, L’exclusion et l’insécurité en milieu urbain (éd. Luc Pire). Pour ce chercheur en sociologie aux universités de Liège (ULg) et de Genève, un conflit a souvent des conséquences bien plus radicales dans les milieux populaires. Les ponts entre les différents membres de la famille y sont définitivement coupés, ce qui accroît le risque d’exclusion sociale. Ce problème se pose avec une acuité particulière dans le sud du pays. Selon une enquête de l’ULg, en Wallonie, 13,21 % des familles sont monoparentales, pour 12,24 % à Bruxelles et 8,12 % en Flandre (chiffres de 1998). Le chef de famille est une femme dans la majorité des cas.

« Si monoparentalité ne rime pas systématiquement avec pauvreté, il s’agit toutefois de la configuration familiale la plus représentée dans les populations précarisées », notent Anne Gauthier et Barbara Stevens, également sociologues à l’ULg, au terme d’une étude réalisée récemment auprès de demandeurs d’emploi.

Les plus appauvries sont les divorcées peu ou pas diplômées, qui se sont mariées plutôt jeunes et se sont coulées dans le modèle ancien de la mère au foyer. « Selon le principe de l’homogamie, ces femmes ont épousé un homme de même « condition » socio-économique, poursuivent les deux sociologues liégeoises. En d’autres termes, les pensions alimentaires que doit verser un tel homme représentent pour lui une ponction très importante sur ses revenus, parfois à ce point importante que se défaire de ses obligations est sa seule chance de survie. »

A l’heure actuelle, seulement six pensions alimentaires sur dix sont payées régulièrement. Les bénéficiaires en sont généralement des femmes très diplômées, qui ont toujours travaillé. En revanche, « pour 35 % de l’échantillon global de femmes divorcées, de graves difficultés financières découlent directement du non-paiement ou du paiement aléatoire des créances alimentaires », précisent Anne Gauthier et Barbara Stevens.

Cela se traduit parfois de façon dramatique. Les familles monoparentales sont, par exemple, beaucoup plus nombreuses que les autres à renoncer à des soins médicaux. Selon l’enquête liégeoise réalisée auprès des demandeurs d’emploi, près d’un tiers des parents de ce type de foyer se privent de médicaments ou d’une visite chez un médecin spécialisé. 16,9 % des familles monoparentales reconnaissent même renoncer à des soins dentaires dont leurs enfants ont besoin, contre seulement 1,9 % des autres ménages de chômeurs.

D.K.

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