La victoire des grands-pères immigrés

Michel Delwiche
Michel Delwiche Journaliste

Les sondages lui prédisaient une raclée, et c’est tout le contraire qui s’est produit : à Charleroi, avec 41 %, le PS a même gagné un 5e siège, et propulse de jeunes têtes au parlement wallon. Dont deux députés issus de l’immigration.

Graziana Trotta est la benjamine du parlement. A 24 ans, cette brune aux yeux bleus remplace à Namur Paul Magnette, qui a préféré rester au gouvernement fédéral.  » A la maison, on ne parlait jamais politique, confie-t-elle, et c’est à l’université que j’ai commencé à m’ouvrir au monde.  » Graziana est licenciée de l’UCL en sciences de gestion. A Louvain-la-Neuve, elle a commencé à s’intéresser à la chose publique. Et au PS.  » Mes deux grands-pères sont venus des Pouilles (sud de l’Italie) en 1957 avec leurs familles pour travailler dans les charbonnages de la région de Charleroi. Ils sont arrivés avec pas grand-chose, et cela a été difficile, l’un d’eux a très vite eu des problèmes de santé. J’ai grandi avec la conviction que c’est le parti socialiste qui les a aidés à surmonter ces difficultés. « 

Encore étudiante, elle prend contact avec le président de l’Union socialiste de Pont-de-Loup (Aiseau-Presle), suit quelques réunions, et entre aux Jeunesses socialistes (JS).  » En 2006, ils voulaient des jeunes sur les listes pour les élections communales. Ça tombait bien, parce que je voulais m’impliquer plus, et j’ai été élue. J’ai tout de suite adoré ce travail de conseillère communale, les rencontres avec les gens, ainsi que les aides des membres des JS, qui sont devenus des amis. « 

 » Cheminote, fille de cheminot « 

A la fin de ses études, elle est engagée par Infrabel (la filiale de la SNCB qui gère les infrastructures) au sein de la cellule stratégique chargée des contacts avec les autorités politiques des Régions wallonne et bruxelloise. Elle travaille sur les dossiers de la nouvelle gare de l’aéroport de Gosselies, du TGV fret et de Trilogiport à Liège, ou encore de Garocentre.

 » Je suis une cheminote, fille de cheminot « , affirme-t-elle fièrement.  » Papa m’a toujours encouragée à repousser mes limites, comme son père l’avait fait avec lui. Même dans les moments difficiles : l’université, pour moi, cela n’a pas toujours été évident, parce que je n’avais pas de modèle, je ne savais pas comment travailler. J’ai avancé pas à pas. Mais je n’oublierai jamais d’où je viens, c’est ma force, mon bagage. « 

Son travail à Infrabel en a fait une spécialiste des transports, de la mobilité et de la logistique, mais elle souhaite également être active dans les matières qui peuvent aider les gens : logement, aide aux personnes âgées, accueil de la petite enfance. Et encore toutes les matières qui concernent la jeunesse, l’enseignement et la formation.  » Je pense que c’est important que les jeunes se retrouvent dans des représentants jeunes comme moi, qu’ils aient le sentiment qu’on les écoute « , dit-elle.

Trois députés de moins de 35 ans

La liste PS à Charleroi comprenait huit candidats de moins de 35 ans. Trois d’entre eux sont devenus députés wallons : Graziana Trotta, Hugues Bayet (bourgmestre de Farciennes) et Serdar Kilic.

Celui-ci, bientôt 30 ans, est le premier député wallon musulman, même s’il n’est pas pratiquant, et préfère donner au ramadan un rôle social : un repas au Resto du C£ur avec les plus démunis plutôt que le jeûne.

Son grand-père est venu en 1964 du sud-est de la Turquie, non loin de la frontière syrienne, pour travailler sur divers chantiers. Il a, au départ, de la peine à vivre seul chez nous, et le mal du pays le pousse à y retourner pour s’occuper des champs de vignes et d’abricotiers. Mais cela ne suffisait pas à faire bouillir la marmite, alors il revient en Belgique, avec sa famille cette fois, qui comptera dix enfants, dont le père de Serdar.

Une bonne partie des enfants et petits-enfants se lanceront dans le commerce ou l’Horeca.  » Ce sont tous de petits indépendants, explique Serdar, et je suis le premier de la famille à avoir fait l’université.  » Licencié en sciences politiques de l’ULB, il a ensuite conquis un master en sociologie politique. Pendant ses études, il consacre ses week-ends à donner un coup de main dans l’épicerie familiale, notamment en s’occupant de la comptabilité.

 » On ne m’a jamais parlé de Jaurès « 

Lui aussi, c’est à l’unif que sa conscience politique s’est éveillée.  » C’est surtout grâce à mon épouse, confie-t-il. Son père, qui travaillait dur dans les carrières, a compris l’importance de l’enseignement et a poussé ses enfants vers les études supérieures. L’un de ses frères est prof de finances à l’UCL et à Lyon. Tout en étant de gauche, comme nous. Moi, on ne m’a jamais parlé de Jaurès ou de Vandervelde, mais je voyais les gens qui recevaient de l’aide après avoir perdu leur emploi, je voyais les soins de santé pour tous, l’accès à l’enseignement… Tout ce qui permet de conserver sa dignité humaine. « 

Serdar devient membre actif du PS en 2003, et est élu aux communales de 2006. Il refuse toutefois d’être répertorié dans le camp des  » rénovateurs  » du PS carolo, ceux qui entendaient, après les différentes affaires, repartir sur de nouvelles bases.  » Certains ne l’ont pas compris, dit-il, mais je voulais rester en dehors, ce n’était pas mon combat, je défends des idées, pas des hommes. « 

La campagne pour les régionales a été intense.  » Sur les marchés ou en porte à porte, on se faisait traiter de bande de voleurs. Puis les gens se sont rendu compte qu’on les écoutait. On a réalisé à ce moment-là que les sondages qui prédisaient le pire au PS à Charleroi avaient sans doute été réalisés dans les belles rues commerçantes, et qu’ils n’avaient rien à voir avec la réalité. Les gens ont compris qu’il y a eu des voleurs, mais que le reste de la famille est correct. Le nettoyage a été fait, à Charleroi. « 

Au parlement wallon, où il remplace Philippe Busquin, l’élu surprise qui a préféré  » laisser la place aux jeunes « , Serdar Kilic souhaite pouvoir traiter des matières sociales. Normal : il était devenu fonctionnaire à la Région wallonne, au sein du service intégration sociale et égalité des chances. L’intégration, pour un descendant d’immigré, c’est  » pouvoir s’identifier à l’étiquette de citoyenneté tout en gardant ses particularités, qui font sa richesse personnelle et qui ne doivent plus être un frein aux contacts avec les autres. Mais la demande doit aussi venir de la société qui accueille, c’est la société qui doit intégrer. « 

MICHEL DELWICHE

 » Les gens ont compris qu’il y a eu des voleurs, mais que le reste de la famille est correct « 

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