La stratégie de l’épouvante

A coups d’essais nucléaires, Pyongyang multiplie les provocations. Un pouvoir de nuisance qui obligera Washington à redéfinir sa politique dans la région.

Dans une scène du Dictateur, un sosie d’Adolf Hitler, sous les traits du génial Charles Chaplin, joue dans son vaste bureau avec un globe terrestre, à la manière d’un ballon. Sous les ors de son palais, Kim Jong-il en fait-il parfois autant ? Le maître de la Corée du Nord et son curieux régime n’ont pas les moyens, que l’on sache, de faire sauter la planète : l’essai nucléaire entrepris le 25 mai par Pyongyang était d’une puissance comprise entre 2 et 4 kilotonnes, soit de 3 à 6 fois moins que la bombe employée à Hiroshima. Mais la désinvolture et les éclats de rire de Chaplin rappellent les frasques de Kim et de sa clique, qui ont érigé l’incompétence en mode de gestion. Il y aurait presque de quoi sourire, en effet, si plusieurs millions de Nord-Coréens n’étaient pas morts de faim ou des conséquences de la misère, depuis une quinzaine d’années, dans ce pays pourtant riche en matières premières. C’est une vérité que l’on oublie trop souvent : depuis son accession au pouvoir, en 1994, Kim s’est toujours montré plus dangereux pour son propre peuple que pour les Etats de la région.

Reste que ce grand amateur de films d’épouvante semble prendre un certain plaisir à faire peurà En début de semaine, comme si ses actions précédentes ne suffisaient pas, Pyongyang semblait préparer un nouveau tir de missile à longue portée. En 2006 et en avril dernier, déjà, la Corée du Nord aurait testé un missile Taepodong-2 (équipé, ou non, d’un lanceur de satellite), capable en principe d’atteindre l’Etat américain d’Alaska. Dans le même temps, le régime multiplie les menaces à l’encontre de la Corée du Sud, au point de dénoncer l’armistice de 1953. En théorie, les deux pays sont en état de guerre.

Que se passe-t-il, alors, au sommet de l’Etat nord-coréen ? Rétabli de l’accident vasculaire dont il a été victime en août 2008, Kim Jong-il est apparu amaigri et se déplaçait avec une lenteur inhabituelle, le 10 avril, lors de la réunion du Congrès suprême du peuple. Selon les services de renseignement du Sud, son troisième fils, le mystérieux Kim Jong-un, aurait été désigné pour lui succéder. Agé de 25 ou 26 ans, il a appris l’anglais, l’allemand et le français dans une école suisse. Déjà, une chanson officielle glorifie, dit-on, le nouveau  » commandant Kim « . Les gesticulations de ces dernières semaines s’expliqueraient-elles par une épreuve de force entre la dynastie familiale au pouvoir et les forces armées ? Les hautes sphères de Pyongyang sont si opaques que la moindre interprétation est sujette à caution.

Comment les pays de la région devraient-ils réagir ? La politique de la main tendue ( sunshine policy), prônée dix ans durant par la Corée du Sud, n’a livré que des résultats décevants. La Corée du Nord demeure dans une situation catastrophique, au point de sembler embarrasser l’un de ses derniers alliés historiques, la Chine. La capacité de nuisance est, plus que jamais, l’une des seules cartes qui restent entre les mains des maîtres de Pyongyang.

En Asie du Nord-Est, la Chine, la Russie et la Corée du Nord disposent d’un monopole nucléaire, face à des démocraties, en Corée du Sud, au Japon et à Taïwan, sagement rangées sous le parapluie nucléaire des Etats-Unis. Avec chaque essai nucléaire nord-coréen, cependant, la pression augmenteà Que cela plaise ou non à l’administration Obama, Washington sera amené, dans les mois à venir, à s’engager plus résolument dans la région. Ce sera le prix à payer afin de rassurer Tokyo, Séoul et Taipeh.

MARC EPSTEIN

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