La sonnette d’alarme

Le refus d’octroyer la licence professionnelle à plusieurs clubs illustre la fâcheuse habitude de beaucoup de vivre au-dessus de leurs moyens

Les clubs de l’Eendracht Alost, du Racing Zuid-West, du RWDM et du Football club de Malines se sont vu refuser la « licence professionnelle ». Ils ne pourront pas participer, la saison prochaine, aux championnats des deux premières divisions, réservés aux clubs en possession de ce précieux sésame. Celui-ci est attribué annuellement sur la base de critères très rigoureux, surtout financiers. Ainsi, les clubs ne peuvent être en retard de paiement de TVA, des cotisations à l’Inami, de précompte professionnel, de contributions directes au sens large, ni dépasser une limite d’endettement envers la fédération ou d’autres clubs. Certes, ces clubs ont introduit des recours. Mais la Commission d’évaluation reste sourde aux montages financiers présentés, qui ne sont qu’autant de nouveaux emplâtres sur une jambe de bois. Les solutions présentées ne font que reporter sur d’autres l’ampleur des dettes, mais ne résolvent pas le fond du problème.

Les quatre clubs concernés étaient déjà héritiers d’un passé lourd de difficultés. Le Racing Zuid-West et le RWDM sont le produit de fusions successives, rendues nécessaires à cause d’ennuis financiers antérieurs. Le RWDM est le fruit de l’union des clubs bruxellois du Daring, du Racing et du White Star, qui représentaient pourtant ensemble 12 titres de champion de Belgique. Or une fusion est toujours le reflet d’un échec sportif, économique et social. Quant à Malines, également champion national à trois reprises, il n’a pas survécu à une mode de construction financière fragile, instaurée au début des années 90: l’appel aux sociétes d' »invest ».

Ce système, introduit par feu John Cordier, PDG de Telindus et à l’époque président du club malinois, était, en fait, basé sur le principe du leasing. Une société parallèle (ici, représentée et financée par la famille Cordier) réunit l’argent pour acquérir les footballeurs, puis les loue, en priorité, au club ami. Celui-ci, locataire privilégié, peut ainsi faire appel à des joueurs de haut niveau sans devoir consentir un investissement important. Danger: ce n’est pas le club mais le consortium des prêteurs qui gère le portefeuille. Toutefois, quand celui-ci a besoin de son argent – comme cela a été le cas pour Cordier afin de sauver Telindus – tout s’écroule. Cordier a vendu une à une ses vedettes à Anderlecht, si bien que Malines, dépouillé, a dû considérablement battre en retraite, jusqu’à rétrograder en 2e division.

Les cas de ces cercles en difficulté pose, en réalité, le problème général de la gestion financière des clubs, qui est rarement saine. En football, on construit trop souvent des châteaux en Espagne. Ce milieu a toujours eu la fâcheuse habitude, en Belgique et ailleurs, de vivre au-dessus de ses moyens. D’où, chez nous, la création, depuis la saison dernière, de la licence professionnelle et, à partir de la campagne 2004-2005, d’un système analogue sur le plan européen, élaboré par l’UEFA.

De tout temps, entraînés par la soif de vaincre ou le besoin de se refaire, des clubs ont sans cesse engagé plus d’argent. Et accumulé ainsi les risques. En football, il est, en effet, difficile d’établir un budget prévisionnel: les dépenses sont réelles, mais les recettes parfois aléatoires. Or les dirigeants de clubs, pourtant généralement des hommes d’affaires avisés et productifs dans leurs sociétés, ont souvent tendance, en football, à sous-estimer les premières et à surévaluer les secondes, déréglant, dès lors, irrémédiablement la machine.

Ainsi, l’histoire des faillites dans le football belge est un éternel recommencement. Pour faire face aux premières situations financières délicates, dans les années 1960, beaucoup de clubs, à l’époque tous propriétaires de leurs installations, ont alors cédé celles-ci aux municipalités, lorsqu’elles avaient encore suffisamment d’argent pour les acquérir. A présent, en 1re division, sur 18 clubs, seuls ceux d’Anderlecht, du Standard, de l’Antwerp et du Lierse sont encore propriétaires de leur terrain. Lorsque les caisses des pouvoirs publics se sont vidées à leur tour, il a fallu trouver autre chose. Les clubs ont donc, ensuite, creusé le sillon de la publicité et du sponsoring. C’est au cours de la saison 1972-1973 que, pour la première fois, la publicité est apparue sur les maillots des footballeurs belges. Ensuite, à partir des années 1980, la création de loges et de business seats a permis des rentrées d’argent accrues de la part des annonceurs et de sociétés commerciales. Désormais, les recettes de la majorité des clubs professionnels belges proviennent encore pour moins d’un tiers des spectateurs et pour le reste du parrainage, de la publicité, du merchandising et des droits de télévision.

En Belgique, il subsiste toutefois une réalité qui fait toujours obstacle à l’épanouissement du professionnalisme: il y a trop de clubs dans des villes trop petites. On estime que pour atteindre un bon niveau européen un club professionnel viable doit pouvoir s’appuyer sur une assise potentielle d’environ 1 million d’habitants. Or, chez nous, celle-ci n’est en moyenne que de 600 000 habitants, pour 4,6 millions en Allemagne, 3,3 millions en France, 3,2 millions en Italie et 2,5 millions en Angleterre. Selon une autre étude, menée par Trudo De Jonghe, chercheur en sciences économiques à l’université de Gand, basée sur des critères géographiques, démographiques et économiques, il n’y aurait place que pour 14 clubs professionnels en Belgique, mais répartis différemment sur le territoire. L’un d’eux devrait, par exemple, être itué à Namur, où il n’en existe cependant aucun de ce niveau à la ronde.

Autre présage défavorable: les droits de retransmission télévisée réduits en Belgique et à la baisse partout ailleurs. Chez nous, la Ligue professionnelle n’a toujours pas trouvé d’accord avec les chaînes pour le renouvellement du contrat qui vient à échéance à la fin de cette saison. A diverses reprises, au terme des négociations, les clubs ont dû diminuer leurs prétentions. En effet, la valeur des droits de retransmission télévisée dépend du nombre de téléspectateurs qui suivent les émissions. Plus large est le marché, plus ample sera donc le potentiel publicitaire, grâce auquel les chaînes paient les clubs ou les fédérations ayants droit. En Belgique, celui-ci est, bien sûr, beaucoup plus réduit qu’en Italie, en Allemagne ou en Angleterre.

Pourtant, dans ces pays aussi, l’offre des chaînes, dont beaucoup ont investi démesurément dans le football, est en nette régression. Conséquence directe de la faillite de Kirch-Media, qui possède les droits de retransmission du championnat allemand: la Bundesliga pourrait ne jamais recevoir les 100 millions d’euros encore dus, mettant en difficulté de nombreux clubs. En Angleterre, les déboires financiers d’ITV Digital, qui possède les droits de retransmission de la Football League, qui rassemble les 72 clubs des 3 divisions sous la Premier League, plonge nombre d’entre eux dans l’angoisse, pour lesquels ces revenus représentent jusqu’à la moitié de leur budget. Perte globale: 300 millions d’euros. En Italie, la RAI veut diminuer de moitié le montant des droits de retransmission télévisée à partir de la saison prochaine.

L’UEFA, la fédération européenne, est attentive au climat inquiétant et à la menace qui pèse sur de nombreux clubs. En fin d’année dernière, la situation financière générale du foot professionnel français accusait un déficit de 290 millions d’euros. En Espagne, le prestigieux Real Madrid n’a rétabli un bilan financier déficitaire qu’en vendant, pour 300 millions, d’euros sa cité sportive à la ville de Madrid. Au Portugal, le club de Benfica Lisbonne accuse un endettement de plus de 100 millions d’euros. Pour éviter pareilles dérives, l’UEFA a décidé l’instauration d’un système de licence uniforme pour les clubs, nécessaire, à partir de la saison 2004-2005, pour participer aux compétitions européennes. Comme chez nous, son attribution reposera prioritairement sur des critères financiers. Une première réunion d’information a eu lieu, à Nyon (Suisse), le 19 avril dernier. Actuellement, six pays seulement imposent déjà un tel dispositif dans leur compétition: la France, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche, la Suisse et la Belgique.

Emile Carlier

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