La saga Philippot

Sélectionné sur fond de marchandages et de tensions politiques pour prendre le gouvernail de la RTBF, Jean-Paul Philippot a une idée claire des défis qui l’attendent et des méthodes pour les relever

« Je suis d’un naturel prudent ». Il prend le temps de la réflexion avant de répondre, vous regarde droit dans les yeux à travers ses petites lunettes d’intello et découpe souvent son propos, toujours précis, en paragraphes numérotés. Jean-Paul Philippot a cessé, depuis quelques jours, d’être un inconnu du grand public. « Présélectionné » par le gouvernement de la Communauté française pour prendre la direction de la RTBF, il devait être officiellement désigné jeudi dernier, 31 janvier, pour autant que la dernière audition devant les ministres se déroule sans encombre… politique. Une audition, promettait le ministre de l’audiovisuel Richard Miller (PRL) « qui n’aurait rien d’une simple formalité ». Non seulement Ecolo était bien à coter sans concession cet examen oral mais une tension de dernière minute était apparue avec l’annonce, dans la presse, de l’usage, par Philippot, de données budgétaires confidentielles dans son dossier de candidature. Usage qui pourrait donner lieu à des recours. Même si d’autres candidats ont vraisemblablement bénéficié d’informations internes à la RTBF et s’il n’est pas anormal qu’un candidat collecte des données, une enquête administrative avait commencé mercredi dernier. Et quand on sait avec quelle facilité circulent les notes du comité permanent…

Sauf accroc majeur, le principe d’une curieuse alternance aura donc été respecté Boulevard Reyers. Depuis la fin de son monopole, la RTBF a constamment hésité, dans le choix de ses patrons, à privilégier le profil du gestionnaire ayant fait ses preuves ailleurs ou celui du professionnel de l’audiovisuel. Elle a donc essayé successivement les deux. L’ex-journaliste Robert Stéphane fut suivi par le juriste Jean-Louis Stalport. Un autre ancien journaliste, Christian Druitte, lui succéda pour faire place aujourd’hui, et pour six ans, au gestionnaire hospitalier Jean-Paul Philippot.

Un autre candidat à la fonction, Daniel Weekers, donné pour favori jusqu’à la dernière minute, avait le rare avantage d’être à la fois homme de télévision (ex-Canal + Belgique) et dirigeant de société (Deficom). Alors ? Il n’a pas su convaincre les 5 experts chargés d’interroger les candidats. Dans leur rapport, ils ont souligné à son propos « les problèmes de compatibilité que peuvent entraîner ses propres implications entrepreneuriales ». Ils ont aussi mis en question « son engagement profond dans le sens du service public ».

En revanche, Jean-Paul Philippot, néophyte en audiovisuel, ne l’est pas pour ce qui concerne le service public (lire l’encadré page 16). « Son souci de respect et de développement du service public paraît évident », note le rapport. Trois experts (MM. Clément, patron d’Arte-France, Cats et Drion, réviseurs d’entreprises) ont donc dit leur préférence pour ce candidat, aussitôt rejoints par le gouvernement de la Communauté française. Sans attendre la fin de la procédure de désignation, fixée au 31 janvier, l’équipe d’Hervé Hasquin (PRL) a donc « présélectionné » Philippot et personne d’autre, lui demandant une ultime audition devant le gouvernement avant d’être nommé.

Scandaleuse sélection partisane, ainsi que l’a dénoncé le PSC ? Ce n’est pas aussi simple. Que Philippot, comme ses rivaux les plus sérieux, soit proche du PS n’a rien d’anormal. Le mandat d’administrateur général de la RTBF est attribué à la famille socialiste, de même que la présidence du conseil d’administration revient aux libéraux. Auparavant, le président du PS avait tout à dire, en coulisse, dans la désignation du patron de la RTBF. Et voilà que Philippot s’impose, sans être le préféré d’Elio Di Rupo, et – heureuse coïncidence – avec la faveur d’experts désignés par chacun des partis de la coalition. Il n’a donc pas été « parachuté » selon les horripilantes méthodes d’antan.

Mais cela ainsi que la nouvelle procédure n’ont pas empêché d’invraisemblables marchandages entre partis, entre ministres ou entre ténors de la même famille. Ainsi, peu avant la « démission » de Christian Druitte, Elio Di Rupo réclame la tête de Mme Crombé, présidente de la RTBF. Louis Michel (PRL) la lui refuse mais accepte son exigence d’avoir le champ libre pour désigner seul le successeur de Druitte. Cette fois, c’est Daniel Ducarme (président du PRL-FDF-MCC) qui s’y oppose, exigeant une procédure plus transparente. Ce qui n’est fait qu’à moitié, car le Conseil supérieur de l’audiovisuel boycotte la procédure, faute d’une totale liberté d’action. Après l’avis des experts, Di Rupo s’incline et accepte Philippot, mais à une condition : ne pas attendre le 31 janvier pour le nommer, histoire d’éviter une reprise des débats au sein de son parti. En gouvernement de la Communauté, le 24 janvier, Hervé Hasquin (PRL) et Jean-Marc Nollet (Ecolo) n’apprécient pas cette précipitation. Rudy Demotte (PS) se fâche, exige la nomination, et en fait une affaire de gouvernement. Interruption de séance, échanges téléphoniques entre présidents de partis. Colère et menace de Di Rupo. Pendant une heure, la crise est ouverte, refermée par la décision d’entendre Philippot le 31 janvier.

Les valeurs fondatrices

Anecdotique, l’épisode (dont Di Rupo, dans La Libre Belgique du 30 janvier, donne une tout autre version, démentie par nos sources) souligne combien la RTBF aiguise encore, dans le monde politique en général, et au PS en particulier, un anachronique sentiment de propriété. Comment, ensuite, rassurer l’opinion sur l’indépendance du service public, quand les partis s’épuisent ainsi autour des nominations de ses dirigeants ?

Jean-Paul Philippot devra garantir cette indépendance. Pour l’heure, ses priorités se déclinent en trois phases : apprendre à connaître la RTBF, dresser l’état des lieux dans tous les domaines, tracer des perspectives d’action. Ses principes de gestion ? « Susciter de larges débats, et tant pis pour ceux qui ne donnent pas leur avis, en faire la synthèse, prendre des décisions, remettre régulièrement les choix en question », répond-il, annonçant déjà qu’il voudrait lancer à la RTBF une réflexion – « large et encadrée » – sur les valeurs fondatrices de l’entreprise publique. « Des valeurs autour desquelles se retrouver et fonder des choix. » Ceux-ci seront bien nécessaires pour répondre aux multiples défis du service public : maîtriser ses finances, repositionner ses chaînes, clarifier ses structures de décision (à ce propos, Philippot n’a pas l’intention, a priori, de se doter d’un cabinet), mais aussi remotiver le personnel, enrayer sa maladive propension à la critique permanente, permettre aux multiples talents que compte cette maison de créer et de produire dans la cohérence d’un projet commun, hors des rigidités (syndicales notamment).

Jean-Paul Philippot sait en tout cas où il veut aller. « La RTBF doit impérativement rester à la fois généraliste et thématique, nous dit-il, en offrant des programmes attirants, pour créer des espaces de rencontre avec les citoyens. Sa mission de service public doit s’exprimer par ses modes de production et par la façon dont elle traite les choses pour ses publics. » Le credo est séduisant. Le nouveau patron a six ans pour mener sa révolution tranquille.

Jean-François Dumont

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