La revanche de Keynes

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

L’argent public au secours de l’économie : à la faveur de la crise, le credo de John Maynard Keynes revient en force. La Belgique lui doit pourtant, indirectement, un endettement colossal hérité des errements budgétaires des années 1970.

Son nom est Keynes. John Maynard Keynes (1883-1946). L’un des penseurs économiques les plus influents du xxe siècle paraissait complètement discrédité avant la crise, quand le libéralisme et le  » moins d’Etat  » triomphait. D’où il est, il savoure peut-être sa revancheà

Son credo. L’Etat au chevet de l’économie de marché, lorsque celle-ci se porte mal : popularisée dans la foulée de la Grande Dépression, le socle de la théorie keynésienne est la relance de l’activité économique défaillante par des investissements publics massifs. Il faut combattre la crise et le chômage sans craindre de creuser des déficits budgétaires, affirme l’économiste britannique.

Un endettement record. Appliquées sans grand discernement pour amortir les effets des chocs pétroliers des années 1970, les recettes keynésiennes ont mené l’Etat belge au bord de la faillite. Déficits budgétaires abyssaux, endettement colossal (jusqu’à 137 % du PIB, en 1993), inflation galopante. Le tout sans effets mira-culeux sur la santé de l’économie et de l’emploi.

Après moi, l’austérité. On a rendu Keynes responsable de tous les maux qui ont affligé la Belgique ; on a alors jeté aux orties ses théories. Durant vingt ans, les gouvernements Martens-Gol, d’abord, et Dehaene, ensuite, se sont attachés à renverser la vapeur, au moyen d’une austérité budgétaire prononcée. Cette politique s’est accompagnée  » d’une mise de côté du rôle de l’Etat « , relève Vincent Bodart, professeur d’économie à l’Ires (UCL).

Retour en grâce.  » Le constat est excessif. Les Etats-Unis ont déjà mis en £uvre des politiques économiques de relance de type keynésien « , nuance Vincent Bodart.  » Tout le monde est aujourd’hui un peu keynésien « , confirme Mathias Dewatripont, professeur d’économie à l’ULB. Nécessité fait loi : les dérèglements financiers érigent l’Etat en valeur-refuge. Du coup, Keynes et ses disciples reviennent en grâce, surtout auprès de la gauche. Au PS, Di Rupo, Onkelinx, Demotte enfoncent le clou : il faut lancer de grands travaux publics, oser des déficits budgétaires temporaires et contrôlés. Et les verts recyclent Keynes à leur sauce.

Keynésianisme éclairé.  » Relâcher un peu la discipline budgétaire pour financer un plan de relance et limiter d’importants dégâts sociaux peut être légitime. Mais les marges de man£uvre sont limitées en Belgique « , déclare Vincent Bodart. Le poids de la dette, quoique diminué (83,9 % du PIB, en 2007), exige la plus grande prudence.  » Il ne faut pas s’installer dans des déficits permanents pour des dépenses de relance qui doivent rester temporaires, prévient Mathias Dewatripont. Et il faut calibrer ses choix.  » Autrement dit, accélérer des investissements publics à la SNCB peut être vertueux, mais exploiter à nouveau l’Etat comme gisement d’emplois pour masquer le chômage serait désastreux.

Keynes contre les pensionnés ? Il ne faut surtout pas perdre de vue le défi crucial et imminent que représente  » le coût du vieillissement « , insiste Vincent Bodart. Et là, il y a danger :  » Les responsables politiques, habitués à avoir le nez sur le guidon, ont tendance à oublier les échéances à moyen terme.  » Cela s’est encore vérifié pendant l’ère Verhofstadt.  » On s’est contenté de retrouver un équilibre budgétaire et on a consacré les surplus qui s’étaient dégagés à des politiques diverses, comme la réforme fiscale « , poursuit l’économiste. Il ne s’agit pas seulement de creuser des déficits quand le climat est à la crise, il faut aussi engranger des moyens en période de vaches grasses. Sans quoi les recettes du professeur Keynes pourraient être très salées.

Pierre Havaux

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