Joseph Henrotin, chargé de recherche à l'Institut de stratégie comparée de Paris (ISC), rédacteur en chef de la revue Défense et sécurité internationale. © Frédéric PAUWELS/huma

Reconnaissance faciale : « La question n’est plus technique. Elle est politique »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Pour Joseph Henrotin, chargé de recherche à l’Institut de stratégie comparée de Paris, la reconnaissance faciale a une utilité en matière de sécurité et de défense. Mais un contrôle politique s’impose.

La reconnaissance faciale a-t-elle une réelle utilité dans les matières de sécurité et de défense ?

L’utilité est réelle. Mais une utilité pour quoi ? La question principale est celle du projet politique qui sous-tend le recours à la reconnaissance faciale. La première mesure que beaucoup d’Etats prennent dans le cadre de la lutte contre-insurrectionnelle est d’octroyer des cartes biométriques aux citoyens. Pourquoi ? Parce qu’elles permettent de les identifier dans des pays où les actes de naissance ne sont pas nécessairement bien tenus et au-delà, de suivre leurs mouvements, y compris s’il s’agit de  » suspects  » en fonction d’affinités politiques, religieuses, etc… Il est clair que ces technologies seront de plus en plus utilisées dans les domaines du contre-terrorisme, de la contre-insurrection, de la contre-guérilla. Leur utilisation pose le problème de l’analyse des données. La multiplication des capteurs entraîne l’augmentation des données. Le risque est de ne pas pouvoir assurer leur traitement, sachant qu’elles sont susceptibles d’être intéressantes non pour 99,9 % de la population mais pour le 0,1 % restant. Comment débusquer ce 0,1 % ? Si les personnes en mesure d’utiliser ces outils ne sont pas assez nombreuses ou pas suffisamment formées, le système ne fonctionnera pas. C’est ce que vous disent les responsables des services de renseignement : leur difficulté est de trouver des analystes de données. Le recours aux nouvelles technologies n’élimine pas les problèmes classiques de personnel humain. Il peut être utile mais peut aussi s’avérer trompeur. Pas mal de sociétés vendent ces technologies comme permettant de réduire la charge en personnel. Ce n’est pas si vrai. C’est le côté bling-bling de ce genre de technologies.

Difficile pour un politique de dire qu’il va se priver d’un outil qui pourrait permettre l’arrestation d’un terroriste.

Un cadre politique n’est-il pas indispensable à l’utilisation de ces technologies ?

Complètement. On est à l’apex de deux problématiques. La première est la fonction régalienne de l’Etat, sa mission prioritaire, à savoir protéger les citoyens. Or, la protection du citoyen ne se limite pas à sa protection physique. Elle concerne aussi la protection de ses droits et, notamment, celui à la vie privée. Si vous couvrez le territoire de capteurs qui vous permettent d’observer qu’à 10 h 51, un tel était à tel endroit et qu’à 13 h 12, il était cinquante kilomètres plus loin, un hiatus apparaît pour le moins en matière de respect de la vie privée. La véritable question n’est de toute manière plus technique – les technologie sont là et elles ne feront que s’affiner et être plus performants -, elle est politique. Utilise-t-on la reconnaissance faciale uniquement sur des opérations extérieures ou aussi en sécurité intérieure ? La rejette-t-on en estimant que cela risque d’aller beaucoup trop loin ? La question ne se posait pas il y a dix ans parce que l’on n’était pas capable de tout surveiller. Aujourd’hui, l’évolution est telle que le politique doit prendre position. On dispose tout de même, en Belgique, de garde-fous. Notre pays n’a pas connu d’affaires à la François Mitterrand impliquant une cellule secrète qui fliquait des journalistes ou des opposants politiques. La loi et la culture belges ne sont à cet égard pas si mauvaises. Il n’empêche que si un jour un parti extrémiste accédait au pouvoir, la tentation viendrait peut-être d’aller surveiller un opposant X ou Y. Je viens de terminer la lecture du livre de Pascal Delwit sur le PTB (NDLR : PTB, nouvelle gauche, vieille recette, éd. Luc Pire, 2016). C’est le genre de technologies qui pourraient être intéressantes dans une optique d’application du socialisme tel que ses dirigeants l’entendent… Même inquiétude avec le Vlaams Belang. Historiquement, tous les partis extrémistes arrivés au pouvoir ont mis en place des polices politiques. La Chine et la Russie sont des exemples classiques. Même des pays plus soft comme la Yougoslavie de Tito y ont eu recours. Les derniers garde-fous dont nous disposerons seront le droit et la culture politique. Le premier est décidé, techniquement, par les majorités au pouvoir. Et la seconde n’est pas immuable…

A terme, tout citoyen pourra-t-il être contrôlé par des systèmes de reconnaissance faciale ?

Oui. En cas de couverture territoriale suffisante au niveau des capteurs, il est absolument envisageable d’ici à 2025 d’avoir un contrôle quasi permanent de la population, avec des systèmes qui auraient des taux d’erreurs de 2 à 3 %. Si cela permet de mener la traque d’un terroriste ou d’un ravisseur d’enfant, il est très difficile pour un politique de dire aux citoyens qu’il va se priver de tels outils. Le champ politique ainsi ouvert est considérable. Et je ne sais pas si on trouvera une solution qui rencontre les préoccupations de sécurité et de protection de la vie privée… Il s’agit là d’un vrai sujet.

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